Gérer n’est pas gouverner

Ainsi nous voterons pour soutenir ou renoncer aux bilatérales. Mais il a fallu que cette démarche indispensable résulte de l’initiative populaire RASA, qui a collecté plus de cent mille signatures sans soutien politique. Depuis le 9 février 2014, depuis dix-huit mois le Conseil fédéral tergiverse, atermoie, barguigne : il sait et il avoue que l’UE n’acceptera pas que la Suisse contrôle son immigration par des contingents.

Dès lors, il envoie un de ses meilleurs négociateurs Jacques De Watteville à Bruxelles, dans le but non pas de réussir l’impossible, mais de confirmer brillamment que l’échec est inévitable. En mathématique cela s’appelle une démonstration par l’absurde. Au terme de celle-ci, peut-être le gouvernement oserait-il se tourner vers le peuple souverain, afin de lui demander de revenir sur sa malheureuse décision. Mais grâce à RASA, ce conditionnel est devenu un futur : nous voterons. Le Conseil fédéral ressemble à un apprenti parachutiste que son moniteur a dû pousser dans le vide.

Cela ne s’appelle pas gouverner, c’est seulement gérer la routine, avec la prudence maladive d’un gratte-papier, qui est arrivé en fin de carrière et qui refuse tout risque d’un faux pas. Certes le peuple peut s’obstiner et aller jusqu’à refuser les bilatérales, d’autant plus que l’UDC dépensera les millions de Blocher pour enfoncer davantage le pays dans l’impasse. Et donc le Conseil fédéral pourrait échouer. Mais s’il ne prend aucune initiative, il est sûr d’échouer, sauf que cela ne paraîtra pas de sa faute. La Nature aura décidé, un long fleuve charriant les soldes de l’Histoire dont la devise est démission.

Ainsi le destin de la Suisse ne seras pas décidé par un acte de gouvernement, lucide et courageux, mais par l’opposition entre deux initiatives populaires, contre ou pour l’ouverture du pays. C’est le schéma d’une guerre civile plutôt que d’une décision de l’exécutif. Ce n’est pas la première fois. Les sauvetages de Swissair et de l’UBS, l’abandon du secret bancaire, la surévaluation du franc suisse, l’incapacité de gérer l’assurance maladie et les pensions, le moratoire sur les OGM, l’interdiction du diagnostic préimplantatoire, l’effritement de l’armée, autant d’indices d’un pouvoir faible. Celui-ci est conçu en fonction d’une mythologie à base de concordance, de fédéralisme et de démocratie directe. Ne blâmons pas le Conseil fédéral en dernière analyse, puisqu’il n’a pas le pouvoir.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.