Selon une tradition bien ancrée dans le sérail politique en Suisse, toute tête qui dépasse doit être coupée. C’est à la fois une assurance tout risque pour les médiocres et le refus viscéral d’une improbable dictature. Ce scénario ne fut jamais aussi évident que lors de l’éviction en 2010 de Karin Keller Sutter au bénéfice de Johann Schneider-Amman pour le poste de conseiller fédéral. Cette candidate trop compétente et intelligente suscita le refus instinctif des médiocres de tout bord, qui ne constituaient pas une majorité, mais qui reçurent le renfort des socialistes, réticents à soutenir une candidate PLR aussi brillante. Au contraire la grisaille de Schneider-Amman convainquit: on était au moins sûr qu’il ne risquait pas d’avoir des idées ou de prendre des initiatives, c’est-à-dire qu’il affaiblirait son parti plutôt que de le rehausser.
Actuellement, le même psychodrame se répète à l’UDC vaudoise qui convoque un congrès impromptu afin de démettre sa présidente, Fabienne Despot, et de la retirer des listes électorales. Pour tout crime, elle a enregistré une conversation à bâtons rompus avec quelques caciques du parti, sans les prévenir. Occasion rêvée pour s’en débarrasser. Car une présidente doit être sans défaut et ne commettre aucune erreur. Si on a la bonté, voire la faiblesse, d’élire une femme, c’est à titre probatoire. Il faut qu’elle se tienne au garde-à-vous, qu’elle se confine dans la discrétion et la retenue. Or la présidente Despot a commis un autre crime, celui qui vraiment la fait condamner : elle s’est prononcée contre l’énergie nucléaire. Non seulement elle a dévié de la ligne du parti, mais elle a des opinions personnelles, elle réfléchit, il parait même qu’elle est diplômée en chimie. Le 13 août elle risque non seulement de n’être plus présidente mais aussi de devenir inéligible.
Dans d’autres partis, on pourrait bassement s’en réjouir. Si l’UDC s’affaiblit, les autres se renforcent par siphonage des voix. Mais en fait tous pâtissent car l’opinion publique, prévenue d’un mini-scandale fabriqué de toute pièce, en étendra aussitôt l’amplitude selon la formule du tous-pourris. Cela renforcera le plus grand parti de Suisse, celui des abstentionnistes.
Même scénario avec Christa Markwalder menacée de sanctions pour avoir transmis des informations qui étaient du domaine public, sans parler de ce qui s’est passé avec Ruth Metzler et Elisabeth Kopp, toutes deux liquidées sous des prétextes futiles. Et Eveline Widmer-Schlumpf fut exclue de son parti pour avoir accepté son élection au conseil fédéral. La société suisse fut, est et reste machiste. Il ne suffit pas à une femme d’être meilleure qu’un homme pour accéder au gouvernement. Il faut encore que cela ne se voie pas trop.