La révision de l’article 119 de la Constitution, soutenue par le Conseil fédéral, une large majorité des deux chambres du parlement et presque tous les partis politiques importants, se heurte à la condamnation des évêques, selon les arguments cités ci-dessous :
« Les évêques suisses refusent fermement cette modification de la Constitution. Une société est authentiquement humaine lorsque, tout en luttant contre la souffrance et la maladie, elle se montre capable d’accueillir chaque personne dans sa dignité. Il faut refuser de considérer la sélection d’êtres humains comme un progrès. Il ne faut pas refuser la science, mais demander au contraire à celle-ci d’être créatrice et innovante pour trouver les meilleurs moyens. Par le DPI on ne soigne pas une maladie, mais on l’évite en supprimant le porteur de la maladie, ce qui est injustifiable ! De plus la congélation d’embryons sera implicitement autorisée. Cette cryoconservation pose de graves problèmes éthiques, car il atteint directement la dignité humaine. »
Cet argument repose entièrement sur la définition de l’être humain. Il suppose qu’il soit constitué dès la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovule. Or, à partir de ce moment-là et durant les premiers jours, il s’agit de quelques cellules totipotentes. La totipotence est, en biologie, la propriété d’une cellule de se différencier en n’importe quelle cellule spécialisée et de se structurer en formant un être vivant multicellulaire. Ces cellules donneront naissance plus tard à la peau, aux muscles, aux os, aux neurones. Mais il n’y a au départ ni système nerveux, ni cerveau. Peut-on déjà parler d’une personne ?
La difficulté à laquelle se heurte la théologie est de définir le seuil : est-ce le moment précis où le spermatozoïde pénètre l’ovule imprégné, est-ce le moment de la fusion des deux ADN en un seul qui définit le destin du nouvel être, est-ce le moment de la multiplication de la cellule initiale ? Ou bien faut-il attendre la constitution du système nerveux et du cerveau, seul capable d’enregistrer la souffrance ? Ou bien celui de la naissance ? Le choix d’un seuil est forcément arbitraire, théorique, dogmatique. En réalité, la constitution d’un être humain adulte est un processus continu qui va prendre au-delà de la naissance une vingtaine d’année. Ainsi en fut-il de nos ancêtres les plus lointains dont on peut disputer indéfiniment pour décider du premier couple humain. Etaient-ils Australopithèques, Homo habilis, Homo sapiens ?
L’humain et l’humanité surgissent lentement et continument : il y a donc tous les intermédiaires entre la matière inerte, la vie et la pensée, aussi gênant que cela puisse paraître. Chacun d’entre nous a de très lointains ancêtres qui étaient manifestement des animaux. Le refus d’admettre ce concept de continuité, l’obstination à définir un seuil unique, mène à une contradiction qui surgit dans la suite du raisonnement des évêques :
« Certains avancent que si le diagnostic prénatal (DPN) est autorisé, suivi d’un avortement lorsque le fœtus est handicapé, il importerait de légaliser le diagnostic préimplantatoire (DPI), lequel est moins invasif et moins traumatisant Mais les deux procédures ne sont pas semblables. Dans le cas d’un DPN, le couple de parents se trouve confronté à un grave dilemme. Cette situation est donnée : elle n’a pas été voulue et chacun comprend le drame consistant à résoudre la tension. Dans le cas du DPI en revanche, la situation est voulue et délibérément provoquée : on y choisit de produire plusieurs embryons dans le but explicite d’en détruire plusieurs. La décision malintentionnée est inscrite dans le processus même du diagnostic. C’est donc à la loi d’y suppléer et, en ce sens, il n’est pas absurde de protéger davantage l’embryon in vitro que l’embryon in utero. »
On arrive au bout de ce raisonnement à défendre la thèse absurde selon laquelle un avortement constituerait une faute plus légère que le DPI qui serait gravissime. Quand en mathématique on part d’une hypothèse et que l’on en découvre logiquement une conséquence manifestement fausse, cela signifie que l’hypothèse était fausse : c’est le mécanisme d’une preuve par l’absurde.
La révision de l’article 119 Cst. a de bonnes chances d’emporter une majorité du peuple et court un gros risque de se heurter à une majorité des cantons où le poids de la Suisse primitive l’emportera. Ces cantons catholiques seront influencés par la position des évêques. Si la révision de la Constitution échoue, il naîtra des enfants gravement handicapés, promis à une vie de souffrances et à une mort prématurée. Ce serait la conséquence d’une conception archaïque de la vie en général et de la personne humaine en particulier. D’une part cela ne ferait pas progresser la médecine et d’autre part cela n’améliorerait pas la crédibilité de l’Eglise catholique .