Une très longue loi pour un très court résultat.

La meilleure partie de la première semaine de décembre du Conseil national sera consacrée à la stratégie énergétique 2050. La loi s’étale sur 118 pages, elle requerra vingt heures de débat et des dizaines de votes. Le résultat sera mitigé: on aura précisé qui paiera quoi mais pas ce que l’on a décidé résolument de faire. La volonté du Conseil fédéral de publier enfin un plan de reconversion énergétique s’est heurtée à de nombreuses motions de minorité de la droite conservatrice qui témoignent d’une ignorance des données purement techniques.

La réalité du monde physique est remplacée par des illusions naïves :

1. Le marché et la recherche garantiront un approvisionnement indéfini en ressources fossiles, charbon, gaz, pétrole et uranium. Il en existe une source infinie, qu’il est légitime de consommer aussi longtemps qu’on y trouve un profit immédiat

2. Il est impossible de se passer du nucléaire, énergie durable, sûre, bon marché et non polluante

3. Les énergies renouvelables sont diffuses et trop coûteuses à récupérer. Sur base de la première illusion, le système technique de la Suisse fonctionne actuellement à 80% sur du non renouvelable.

Or, quoi que l’on fasse, quelque technologie neuve que l’on invente, quelques gisements nouveaux que l’on découvre, il existe, quelque part dans le sol, un baril de pétrole ou une tonne d’uranium qui n’apportera pas plus d’énergie dans le système technique qu’il n’en aura coûté à extraire, à transporter et à raffiner. Le Conseil fédéral propose de passer à 60% de non renouvelable en 2050. Ce n’est certainement pas faire preuve de témérité mais d’un aveuglement que l’histoire à venir mettra en évidence.

Pour achever de noyer le poisson, la commission en charge du dossier a renoncé à fixer des objectifs chiffrés. Les valeurs annoncées d’économie et de production de renouvelable ne sont plus des « objectifs » mais des « valeurs indicatives de consommation ». En d’autres mots on sait déjà que les objectifs annoncés ne seront pas atteintes et qu’il faut les rétrograder au rang de velléités.

La seconde illusion, c’est-à-dire l’énergie nucléaire, s’est révélée décevante au point que, cinquante ans après que le premier réacteur ait divergé, on ne produise toujours que 5 % de l’énergie de la planète par ce moyen, autant que ce que l’on produit en brûlant du bois, de la tourbe ou de la bouse de vache. Il s’agit d’une ressource énergétique tout à fait marginale, mais qui est à la fois coûteuse et très dangereuse, en fait coûteuse parce que dangereuse.

Le coût réel est dissimulé pour deux raisons : tout d’abord la charge du démantèlement des centrales existantes sur des décennies et celle de gestion des déchets, qui s’étendra sur des dizaines de millénaires, reposera sur des générations qui ne sont pas encore nées, qui ne peuvent faire entendre leur point de vue et qui ne tireront aucun bénéfice de la production de cette énergie.

Une seconde fois le coût est dissimulé par la confusion entre deux composantes du risque : sa gravité (son potentiel de destruction) et sa probabilité (le risque que cela arrive). La gravité d’un Fukushima à Mühleberg est maximale : il faudrait évacuer définitivement Berne, Fribourg, Neuchatel et Bienne, selon les plans actuels, soit un million de personnes pour lesquelles aucun plan n’est disponible. La probabilité est considérée comme très faible avec une certaine légèreté : en fait sur 500 réacteurs en service, 5 ont eu un accident majeur avec fusion du cœur, soit 1%. Comme nous avons cinq réacteurs sur notre territoire, cela signifie que nous avons une chance sur vingt d’éprouver ce type d’accident. En supposant même que le risque soit proche de zéro, le produit de l’infini par zéro n’est pas zéro en bonne mathématique. La vraie valeur est estimée par les assurances qui refusent actuellement d’assurer le risque réel. S’il était assuré, le nucléaire serait hors de prix.

Résumons. Supposons un instant que la Planète Terre soit une SA, pour laquelle le bilan se calcule non par des francs mais par l’énergie. Son capital est composé de charbon, gaz naturel, pétrole, uranium. Son revenu est représenté par le rayonnement solaire et la géothermie. Aujourd’hui, pour la Planète SA, les dépenses courantes ne représentent que 1% du revenu parce que le rayonnement solaire n’est pas capté : l’entreprise est gérable. Mais ces dépenses sont en fait couvertes à 95% en puisant dans le capital : la planète est mal gérée. Pour la Suisse nous fonctionnons en bénéficiant de 20 % de revenu et en puisant à 80% dans le capital : c’est un peu mieux mais ce n’est pas satisfaisant. On ne sait pas jusqu’où le capital permettra de couvrir les dépenses. Toute gestion saine d’une entreprise consiste à couvrir les dépenses par le revenu et à investir le capital pour accroître le revenu. On puise sans compter dans un capital, découvert au début de la révolution industrielle, pour financer les dépenses courantes. Pour une firme ordinaire, c’est la voie assurée vers la faillite

Tel est l’enjeu, qui est grave. Il dépasse infiniment ce que nous percevons de la réalité future. Il dépasse infiniment les querelles de chapelle entre droite et gauche. Maintenant que nous savons les risques que nous courons et les coûts qui ne sont pas couverts, nous réalisons, mais un peu tard, que ces centrales n’auraient même pas dû être construites et qu’il faut donc les arrêter le plus vite possible.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.