L’ivresse bien tempérée à la vaudoise

Le mardi après-midi 25 novembre, le Grand Conseil vaudois s’est enlisé dans un débat marathon portant sur un objet dérisoire. Ce fut une application édifiante d’un principe énoncé jadis par l’immortel Northcote Parkinson : le travail se dilate pour occuper le temps disponible. Ainsi le conseil d’administration d’une entreprise accepte en cinq minutes l’achat d’un superordinateur car aucun administrateur n’est compétent et que tous gardent un silence prudent. En revanche la distribution gratuite d’une tasse de café à dix heures du matin au personnel suscite un débat passionné, car tous les administrateurs savent ce que c’est qu’une tasse de café.

Le 25 novembre les députés vaudois se sont empoignés sur un sujet passionnant : la vente « à l’emporter » des boissons alcooliques doit-elle être limitée dans le temps et dans l’espace ? Faut-il interdire entre 20 heures et 6 heures la vente sur tout le canton ou bien entre 4 et 6 heures à Lausanne ? Entre ces propositions extrêmes tous les intermédiaires furent envisagés. Chacun y alla d’une déclaration la main sur le cœur invoquant tantôt la liberté du commerce et des citoyens, tantôt la protection de la santé des jeunes et de la tranquillité des dormeurs.

Bien entendu, cela n’interdit ni de vendre ces boissons dans les bars, ni de faire des provisions avant les heures interdites. Bien entendu, il ne fut pas question d’interdire la vente du vin, produit noble du terroir vaudois par opposition à la bière des barbares du Nord et à la vodka des arriérés de l’Est. Il n’est pas question d’interdire l’ébriété pourvu qu’elle profite aux tenanciers des bistrots et aux vignerons bien de chez nous. Il n’est pas question non plus de l’interdire aux jeunes gens nantis d’un sens de l’anticipation s’étendant sur plus que quelques minutes.

Oui à la biture planifiée par des individus au portefeuille bien garni, non au réflexe improvisé du minus désargenté. Oui au vin blanc, non au scotch. Le vice est admissible s’il s’accompagne d’un respect du commerce local. Les jeunes doivent apprendre à rester à leur place : aux âmes bien nées le privilège de l’éthylisme distingué, aux impécunieux l’obligation d’une vertueuse abstinence propice à leur fonction sociale de soutiers de l’abondance.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.