Oui et non. Oui parce que toute la population est scolarisée dans de bonnes conditions et peut accéder, si elle le souhaite, à des hautes écoles qui sont parmi les meilleures du monde. Par ailleurs, les jeunes ne s’orientent pas tous vers les hautes écoles et ceux qui ne le font pas bénéficient d’un système d’apprentissage qui fait l’envie du monde entier. Non, parce que cet excellent système comporte des lacunes qu’il serait facile de combler mais qui demeurent béantes, faute d’une vision politique du Conseil fédéral, faute surtout d’un conseiller fédéral en charge de la formation et seulement de la formation.
Pour être concret on peut se pencher sur deux lois récemment discutées au parlement.
La loi sur la formation continue repose sur un principe hautement discutable à savoir que celle-ci est de la responsabilité individuelle. Il n’a pas été possible en commission de noter que les entreprises et les pouvoirs publics sont tout autant intéressés à maintenir le niveau de qualification des travailleurs et, surtout, sont en position d’investir des moyens en temps libre et en finances qui sont hors de portée de l’individu. Le problème est devenu crucial parce que la votation du 9 février nous interdira de puiser dans la main d’œuvre étrangère et parce que le vieillissement de notre population imposera tôt ou tard de prolonger la période d’activité. Or déjà maintenant l’âge moyen de prise de la retraite est inférieur à l’âge de référence, 65 ans, parce que les travailleurs âgés peinent à retrouver un emploi en cas de chômage.
L’autre loi en question est celle sur les bourses d’étude, qui est le prototype d’une coquille vide. En ce sens qu’elle énonce pesamment les conditions formelles selon lesquelles un jeune doit se conformer s’il veut postuler. En sens inverse, il n’y a pas de contraintes pour aboutir à une harmonisation matérielle de la valeur de ces bourses, qui sont attribuées par les cantons dans une grande disparité. Et donc on peut en conclure que des jeunes soucieux de se former ne le peuvent parce que leurs familles n’en ont pas les moyens, c’est-à-dire un investissement de l’ordre de 20 000 CHF par an. D’où la nécessité pour beaucoup d’étudiants de travailler en parallèle à leurs études au détriment de celles-ci. Si on réfléchit à l’esprit qui anime ces deux lois, la Suisse privilégie toujours l’accès aux études et à la formation continue à une élite. Elle n’exploite toutes ces ressources en matière grise dont on répète à chaque discours que c’est sa seule ressource naturelle.
Par ailleurs lorsque des jeunes accèdent aux hautes écoles, ils proviennent de 26 systèmes différents de formation, ce qui pose des problèmes sérieux aux enseignants chargés de donner cours à un auditoire hétérogène. Comme il existe des cantons – Fribourg et Valais pour la Suisse romande – qui font de meilleurs résultats systématiquement que les autres lors de l’enquête PISA, on doit en déduire que ces autres ne font pas tout ce qu’ils pourraient.
Un effort est consenti pour harmoniser la formation obligatoire et post-obligatoire dans le cadre du projet Harmos. Mais celui-ci est géré par la CDIP composée des directeurs de l’instruction publique de tous les cantons. Il s’agit donc d’un gouvernement d’assemblée, enclin à s’aligner sur les cantons les moins exigeants. A titre d’exemple démonstratif, l’enseignement de la trigonométrie n’est pas obligatoire.
Au bilan, c’est donc oui et non ou plutôt ni oui, ni non, bien au contraire, Faute d’une direction nationale les efforts restent dispersés et inférieurs aux possibilités. D’une façon ou d’une autre, il faudra affaiblir le respect du fédéralisme dans un projet qui conditionne notre avenir tout autant que l’infrastructure des transports ou la fourniture d’énergie. En matière de formation et de recherche, le but n’est pas d’être simplement bon : il est d’être sinon le meilleur, ou du moins parmi les meilleurs. On attend donc un ou une leader charismatique qui sortira la Suisse de cette gestion par un gouvernement d'assemblée aligné sur le moins-disant.