Dieu est-il Suisse?

De source bien informée, nous avons obtenu le discours qui sera prononcé par Christoph Blocher le 1er août

"Mes chers compatriotes,
En ce jour de premier août, fête nationale s’il en est, il faut tourner nos esprits vers le ciel afin de remercier le Seigneur d’être ce que nous sommes, c’est-à-dire de n’être pas comme les autres. Pourquoi ? Qu’avons-nous fait pour mériter d’être les meilleurs ? Il faut d’abord dissiper un malentendu, bien trop courant.
Selon certains, le Seigneur nous aurait choisi comme peuple élu et répandu ses bénédictions sur nous. Non, hélas, Dieu n’est pas suisse. La démonstration est élémentaire, si l’on raisonne par l’absurde. Supposons un seul instant que Dieu soit suisse. Dès lors, il hésiterait toujours à créer le monde, sachant dans sa prescience infinie que celui-ci ne sera pas parfait. Dieu attendrait donc que les conditions idéales soient réunies pour générer un univers propre en ordre. Comme celles-ci ne se produisent jamais, Dieu ne crée pas l’univers. Faute d’univers, il n’est point de Suisses et Dieu, forcément, ne peut en être.

Dans la réalité, le Seigneur n’a pas hésité, on le sait. Il a même accompli sa tâche en sept jours. Cet univers prématuré et bâclé a forcément échoué dès le début. Adam et Eve n’étaient pas de quelques instants sans surveillance qu’ils se sont précipités sur le seul arbre qui leur était interdit. A peine eurent-ils des enfants, que l’un assassina l’autre. Au bout de quelques générations, Dieu complètement dégoûté de sa propre création, noya quasiment tout le monde hormis Noé, qui à son tour inventa le vin et s’enivra.

Tous ces ressortissants du Moyen Orient, Dieu, Adam, Noé et j’en passe, n’étaient donc pas Suisses. On peut douter, même après quelques milliers de générations, qu’un couple aussi déplorable qu’Adam et Eve ait pu finir par engendrer des Suisses. Ce serait absurde, voire abject. Dès lors que les premiers Suisses ne pouvaient hériter leur nationalité par le sang, qu’ils ne pouvaient pas devenir Suisses par le droit du sol et qu’il n’y avait forcément aucun Suisse pour les naturaliser, l’existence de véritables Suisses, comme nous le sommes, pose un problème insoluble.

Il faut bien admettre que nous ne descendons pas d’Adam et d’Eve. Alors qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Certains de nos concitoyens se posent à ce sujet une question audacieuse : les Suisses seraient-ils d’origine divine? Même si Dieu n’est pas Suisse, pourquoi les Suisses ne seraient-ils pas des dieux ? J’avoue qu’il y a du pour et du contre. Nous pensons que tout ce que nous faisons est bien et qu’il n’y a pas moyen de faire mieux. En ce sens, nous sommes bien à l’image du Seigneur tel que le représente le premier chapitre de la Genèse. Dès qu’il avait créé quelque chose, il s’exclamait que c’était bon. La différence est bien évidemment que nous gardons pour nous l’excellente opinion que nous avons de nous-mêmes tandis que la Bible regorge de manifestation de vanité déplacée. Bâcler l’univers et se féliciter de ce que l’on a fait est un comportement contraire à nos traditions. On a vu où cela a mené. Même en Suisse. Si nous avions créé les Alpes, elles ne seraient pas tellement hautes. Nous aurions calculé la pente pour que les avalanches et les glissements de terrains ne puissent plus se produire. Le Gothard et le Simplon auraient été percés dès l’origine pour le passage des CFF. D’où une économie de vingt milliards sur le budget des nouvelles traversées alpines. Les vaches auraient eu d’origine deux pattes plus courtes que les autres pour pouvoir brouter les pentes dans une position horizontale. Le Seigneur est donc un étranger, auquel nous ne donnerions jamais un permis de travail au vu de ce qu’il a accompli. Sa préférence pour la Palestine est révélatrice. Oui, il faut s’en souvenir. Dieu était juif."

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.