Le canton de Vaud abandonnera, contraint et forcé par une loi fédérale, la pratique du curateur de milice, obligé de gérer les biens d’une personne protégée. Cette charge n’était jusqu’à présent ni volontaire, ni vraiment rémunérée. C’était une application du système de milice qui sous-tend toutes les institutions suisses. Mieux vaut que des citoyens bénévoles se chargent de certaines tâches d’intérêt public que de recruter des professionnels, d’augmenter le nombre de fonctionnaires et par conséquence les impôts des citoyens. C’est à ce titre un excellent système pourvu qu’il ne prétérite pas le milicien en matière de justice distributive.
Jadis lors des siècles barbares, les autorités ne parvenaient pas à prélever des impôts et les remplaçaient par des corvées : les paysans devaient par exemple entretenir les routes, les nobles assurer la sécurité par l’équivalent d’un service militaire. La curatelle obligatoire est une des survivances de ce système médiéval, qui présentait la faiblesse supplémentaire de ne pas assurer non plus un service optimal. Tout le monde n’est pas doué ou compétent pour assurer n’importe quelle tâche. Remplir sa déclaration d’impôt est déjà à la limite des capacités du citoyen moyen.
La professionnalisation de la curatelle vaudoise préfigure celle d’autres applications du système. Ainsi l’armée de milice est l’objet de la même interrogation. Est-ce un système à la fois juste et efficace ? Juste parce que les trois quart des jeunes y échappent, la moitié des garçons et toutes les filles. Efficace parce que les tâches de la sécurité nationale sont de plus en plus complexes et éloignées de la simple défense territoriale. De même le parlement fédéral de milice peine à remplir sa mission : représenter la volonté du peuple dans l’élaboration des lois et la vérification de leur application.
La plupart des emplois ne sont pas compatibles avec une centaine de jours de présence à Berne : il n’y a donc guère de travailleurs de base dans les travées de l’hémicycle mais beaucoup de juristes, de médecins, de paysans, d’entrepreneurs, de permanents syndicaux. Et le travail hâtif du plenum en cinquante-deux jours par an est souvent contredit par la volonté du peuple lors d’une consultation. Simultanément l’administration, qui est professionnelle, conquiert de fait un pouvoir croissant à mesure de la complexification des tâches. Il est de beaux principes élaborés jadis qui survivent à leur pertinence et deviennent des fardeaux auxquels nul n’ose toucher jusqu’à ce qu’une crise grave oblige de les jeter par-dessus bord dans la précipitation et l’improvisation. La gestion du secret bancaire est l’exemple de ce genre de débâcle qui attend d’autres vaches sacrées.