La loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite est en cours d’élaboration parlementaire en vue de donner une base légale aux blocages de compte de potentats que le Conseil fédéral décide de temps à autre. Ceci ne veut pas dire qu’il n’ait pas pu le faire dans le passé. Le précédent historique en est le blocage et la restitution aux Philippines de 685 millions de dollars investis en Suisse par la famille Marcos. Sur base de la Constitution, le CF peut agir de la sorte, mais il souhaitait mettre la procédure sur une base légale plus solide. Et un texte circule donc entre les deux Conseils.
Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si les conditions pour réaliser un blocage ne comportaient une prescription étrange : « le blocage n’est admissible que si le gouvernement ou certains membres du gouvernement ont perdu ou sont en passe de perdre le pouvoir ». Aussi longtemps que ce n’est pas le cas, pas de blocage possible. C’est une forme de prime helvétique à l’efficacité d’une dictature. Tant qu’elle se maintient solidement au pouvoir par la force, la police, l’armée, la torture, la Suisse accepte avec reconnaissance les fonds détournés par le dictateur et son entourage. Dès que la dictature vacille, qu’elle témoigne de faiblesse, qu’elle penche vers la démocratie, la Suisse bloque les fonds. Si la dictature est stable et que le dictateur meurt de sa belle mort dans son lit, cet argent est pieusement transmis à ses héritiers. C’est une prime à l’instauration de dynasties, façon Corée du Nord. Si Bachar El Assad réussit à écraser la révolution syrienne, ses fonds sont garantis. En revanche, la défaite de Kadhafi a signé la perte de son patrimoine familial.
En somme, les dictatures ont un intérêt strictement financier à utiliser tous les moyens imaginables pour se maintenir. Telle est la leçon que leur dépêche la législation suisse. Des tentatives pour amender ce texte afin d’empêcher les régimes corrompus de dissimuler leurs capitaux détournés en Suisse ont toutes échoué à Berne. Il serait cependant plus simple, plus efficace et plus éthique de ne pas accepter de tels capitaux. C’est déjà le cas si un trafiquant de drogue se ponte dans une banque genevoise avec une valise bourrée de billets. On n’attend pas que le réseau soit démantelé pour agir. Mais un dictateur n’est pas un trafiquant. Il possède l’aura du pouvoir, même s’il l’a détourné.
Le gouvernement suisse ne va pas sanctionner un autre gouvernement, quelle qu’en soit les assises. Il lui assure l’immunité pourvu qu’il soit conséquent avec sa définition initiale : prendre et garder le pouvoir pour s’enrichir.