Pourquoi voter non à l’équité fiscale?

Faut-il abolir les privilèges fiscaux? Le peut-on? Ces deux questions furent amalgamées lors du débat au Conseil national, au point qu’il est aussi difficile qu’indispensable de les distinguer. Surtout parce que ce privilège est réservé à des personnes jouissant de trois qualités dont le contribuable suisse est démuni par définition: pour en bénéficier, il devrait ne pas être Suisse, ne pas travailler et avoir une fortune importante. Or le contribuable de base est classiquement citoyen du pays qu’il habite, il travaille parce qu’il doit gagner sa vie et il n’amasse pas de fortune parce que c’est impossible à cause des impôts qu’il paye, d’autant plus qu’il appartient à la classe moyenne.

Quand on a fait le tour de cet aspect de la question, la conclusion s’impose: il faut abolir ce privilège. C’est donc évidemment oui. Malheureusement la seconde question demeure: peut-on accomplir ce que l’on devrait faire? Et la réponse est tristement non. En effet, le propre de cette catégorie de privilégiés c’est qu’ils le sont au-dessus et en dépit de toutes les lois nationales, par le triple effet de leur oisiveté (souvent prétendue), de leur fortune (parfois immense) et de leurs passeports munis d’autant de visas qu’il faut pour se déplacer vers d’autres paradis fiscaux.

Les riches ne seraient pas riches s’ils avaient vraiment payé des impôts. Tous les échappatoires leurs sont ouverts. Il n’y aurait plus de classe sociale si l’équité fiscale était réellement réalisable. Il en fut toujours ainsi. Sous l’Ancien Régime en France, cette vérité de bon sens était légalisée: les nobles et le clergé ne payaient pas d’impôts du tout. Le monarque vertueux qui voulut abolir ces privilèges fut décapité pour assouvir la hargne du petit peuple. Et les nobles émigrèrent, et l’Etat fit faillite.

Or le souverain en Suisse est précisément le peuple qui n’est heureusement pas décapitable. Il pourrait dans un légitime mouvement de colère abolir le privilège des riches et oisifs étrangers. Ceux-ci partiraient aussitôt, leurs impôts ne seraient plus versés et il faudrait les prélever sur la classe moyenne, la seule à payer vraiment des impôts qui pèsent lourds sur des budgets en équilibre précaire. Et donc l’enjeu de la votation n’est pas celui que l’on prétend.

La question posée est radicale: est-il possible de réaliser une véritable équité fiscale? L’expérience a démontré que ce n’est pas réalisable. Le véritable choix est donc entre la triste réalité et l’utopie vertueuse. Jean de La Fontaine l’a dit: il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or. Le soutien de la gauche à l’initiative provient d’une situation de fait: elle représente ceux qui ne payent pas ou peu d’impôts et qui ne se sentent donc pas menacés. L'argent public est prélevé sur les autres. Cela s'appelle la redistribution. J’espère qu’un jour les conditions permettront l’équité. Mais ce n’est pas encore le cas. L’erreur a été commise en 1934 lorsque la loi fédérale fut élaborée. Depuis lors, nous sommes entrés dans un cercle vicieux, nous sommes devenus dépendants de cet apport, drogués, manipulés.

Pour gagner quelque subside aux budgets des collectivités publiques nous avons éreinté le principe constitutionnel d’égalité fiscale. Mais comment priver le canton de Vaud des 60 millions d’impôts que cela rapporte sans les extorquer plus tard à la masse des contribuables? Je voterai non à contrecœur avec le sentiment de commettre une mauvaise action. Dans la majorité des parlementaires de droite et du centre qui refuseront cette initiative, combien voteront dans le même état d’esprit?

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.