L’achat des Gripen n’a aucune justification avouable

C'est la seule bonne raison: ne pas acheter des avions dont nous n'avons pas besoin. Quel est le cahier des charges de la police du ciel suisse? Bien malin qui le dirait. Essayons de deviner. Il y a trois cas de figure: l’avion de tourisme égaré qu’un radar suffit à remettre dans le droit chemin; l’avion de ligne régulière comme le Boeing éthiopien qui fut détourné voici quelques jours; enfin l’avion militaire animé de mauvaises intentions. Dans les trois cas, il n’est nul besoin d’acheter des avions supplémentaires, Grippen ou autres, pour assurer cette police.

Tout d’abord, on sait par une note de motivation du 30.11.11. que les Forces aériennes assurent une mission de sauvegarde de l’espace aérien durant les seuls jours ouvrables par suite des ressources limitées en personnel et en finance. Les radars de Swisscontrol en revanche surveilleraient tout le temps et permettent de résoudre les problèmes en dehors des heures de bureaux. Mais dès lors que le font-ils tout le temps? A quoi sert d'avoir des avions en l'air huit heures par jour ouvrable?

Dans le second cas, l'avion de ligne détourné, à quoi sert un Gripen? L'avion éthiopien récemment détourné sur Genève ne pouvait être abattu puisqu'il emportait des passagers. Et comment l'abattre sur les quelques kilomètres entre la frontière et Genève? De toute façon lorsque l'incident s'est produit, l'appel aux forces aériennes débouchait sur un répondeur. Et donc dans la situation actuelle, ce qui manque, ce ne sont pas les appareils mais les pilotes. Que ne dépense-t-on l'argent prévu pour engager ceux-ci et utiliser nos 32 FA/18?

Dans le troisième cas, celui d'un avion militaire, on apprend enfin que de toute façon, en temps de paix, abattre un objet volant non coopératif n’est pas autorisé. Là aussi le ministre en charge, Ueli Maurer, n’est pas au courant. La seule fois, où récemment des avions militaires violèrent notre espace aérien, se produisit pendant la guerre d’Irak: des avions américains, un peu pressés, traversèrent notre ciel sans demander la permission. Interrogé au parlement sur sa réaction au cas où cela se reproduirait, le ministre affirma froidement que ces avions seraient abattus. Cela procède donc de sa seule imagination et de la pose héroïque qu’il affecte dans le débat politique.

Enfin on peut se demander si un Grippen serait capable le cas échéant, les jours ouvrables, de remplir cette mission d’interception, sachant qu’un avion militaire de haute performance traverse le ciel suisse en huit minutes et que le Gripen n’est pas un avion parmi les plus rapides. Bref on ne sait pas ce que signifie la police du ciel. C’est un objectif vague, prétexte à justifier des dépenses injustifiables. Quelle est la véritable motivation de l’achat du Gripen? Ce sont les retombées pour l’industrie suisse des compensations prévues par la Suède.

En un mot, on achète un avion inutile et inutilisable pour subventionner une industrie en difficulté. On choisit le Gripen parce qu’il ne coûte pas trop cher et que ses performances n’ont au fond aucune importance puisqu’il ne servira jamais. Si l’on devait subsidier l’industrie, pourquoi plutôt ne pas le faire pour un secteur d’avenir, les énergies renouvelables, les biotechnologies, les systèmes d’information?

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.