L’impuissance de l’Europe est aussi la nôtre

A la Commission des Affaires extérieures, nous avons perçu un étonnant organigramme en couleur, qui répartit les pays européens en différents ensembles selon leur appartenance. Il y a l’UE avec 28 partenaires, le sous-ensemble de la zone euro avec 18 de ceux-ci, l’OTAN avec 28 Etats, qui sont un sous-ensemble de l’UE plus la Norvège, l’Islande, l’Albanie, la Turquie, les USA et le Canada. Il y a encore la bande à part de l’AELE avec 4 Etats, l’Espace Schengen avec 26 Etats dans et hors UE, l’Espace économique européen avec 31 Etats, toute l’UE plus la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, le Conseil de l’Europe avec 47 Etats, l’OSCE avec 57 partenaires.

La Suisse appartient à quatre de ces superstructures, hors UE faut-il le préciser. Et puis encore de petits clubs, CEI à trois, OTSC à six, GUAM à quatre. Au-dessus de ce pittoresque grenouillage, plane l’ombre gigantesque des Nations Unies, aussi universelles qu’impuissantes. C’est donc un travail frustrant que de démêler cet écheveau.

Ce diagramme d’ensembles enchevêtrés apporte en tous cas un message clair et fort: l’Europe géographique est le lieu d’une diversité de douze coalitions fondées constamment sur l’égoïsme national. Chaque Etat sélectionne les partenaires, qui promettent plus d’avantages que d’inconvénients, plus de bénéfices que d’investissements, et se tient à l’écart des autres. On est bien loin d’un enthousiasme premier pour la création d’un vaste pays-continent, porteur d’une culture qui a irrigué le monde entier, berceau de cinq langues qui ont conquis la Terre au-delà de leur frontière, origine de la science, de l’économie et de la technique planétaires.

Ce continent qui a uni la planète est incapable de s’unifier. C’est l’Europe à la petite semaine, qui réunit les gagne-petits et les pense-petits dans une commune félicité politique. Et le plus mauvais élève est bien la Suisse qui se demande ce que l’Europe pourrait bien lui apporter sans se rendre compte qu’elle pourrait apporter beaucoup, à commencer par la culture du fédéralisme et du consensus. Car la multiplicité des superstructures européennes ne signifie pas que les objectifs soient atteints. En parole oui, en fait non. Comme douze organisations visent les mêmes buts, aucune n’a de pouvoir de décision. Les assemblées de parlementaires internationaux votent des résolutions qui restent lettre morte faute de pouvoir de décision.

Mais qui a eu l’idée folle d’inventer les Etats-Nations? Un concept d’exclusion et d’enfermement qui suppose l’existence universelle de peuples homogènes sur des territoires intouchables, qui nie le multiculturalisme, qui fragmente le continent en une poussière d’Etats impuissants face à la Russie de Poutine. Nous défendons tellement notre indépendance que nous finirons par la perdre.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.