La démographie: un argument ignoré

Le peuple suisse a refusé l’initiative UDC sur la famille, mais on est bien emprunté de savoir quel a été l’argument qui l’a emporté. Evidemment une initiative UDC, quelle qu’elle soit, part déjà en clopinant, car toutes les thèses de ce parti rebutent la majorité des Suisses et, en particulier, la conception ancestrale de la famille traditionnelle que l’initiative entendait sournoisement soutenir. Mais au soir de ce refus, la Suisse n’a pas pour autant une politique familiale satisfaisante, elle n’en a même pas du tout. Elle dit non à une vision passéiste, elle ne dit pas oui à son avenir démographique.

De part et d’autre de la frontière entre Suisse romande et France, le taux de fécondité varie de 1.4 enfant par femme à 2. Puisqu'il faut un taux de 2.1 pour maintenir une population, cela signifie qu’à chaque génération les Suisses d’origine disparaissent pour un tiers, tandis que la population française se maintient à peu près. Comme ces deux populations appartiennent à la même culture, parlent la même langue, ont la même mentalité, cette différence ne peut donc provenir que des institutions politiques et, en particulier, d’une politique familiale plus généreuse en France qu’en Suisse.

Pour que la population suisse se maintienne, il faudrait 120 000 naissances par an alors qu’il n’y en a que 80 000. Néanmoins les problèmes résultant forcément de la dénatalité, en particulier l’effondrement de l’AVS, ne se manifestent pas parce que l’immigration de 80 000 étrangers vient compenser le déficit des naissances. Le résultat paradoxal et ignoré des médias comme de la population, c’est que la Suisse est, avec l’Australie, la championne des pays d’immigration : un quart de la population est née hors des frontières. Il y a cependant une différence de taille : les Australiens en sont conscients, les Suisses non. Ils rechignent à intégrer les étrangers comme le vote simultané des Bernois sur le durcissement de la naturalisation le démontre.

Et donc le non à une initiative UDC sur la famille présage deux non aux initiatives du PDC portant sur des objets similaires, qui viendront l’année prochaine dans les urnes. Mais il augure aussi que le peuple risque de soutenir aveuglément l’année prochaine les initiatives visant à réduire l’immigration, tant les deux questions sont jointes.

Jamais le Conseil fédéral, garant de la pérennité de la nation, n’a utilisé l’argument décisif de la démographie: il faut ou bien une politique familiale dynamique, ou bien une immigration massive. Le moins que l’on puisse dire est que manque cette vision d’ensemble, le lien étroit entre familles, immigration, pensions, formation, etc.  Le peuple suisse veut un gouvernement national faible, qui ne puisse abuser de son pouvoir. Celui-ci se garde donc bien de prendre des initiatives de suggérer des réformes de fond, d’évoquer les problèmes du long terme.

Peu importent les outils d’une politique familiale, allocations, dégrèvements fiscaux, soutien des crèches, congés maternité et paternité. Tous peuvent et doivent être utilisés concurremment. Seul compte le résultat : éviter le dépeuplement, la stagnation, la décadence démographique, l’envahissement étranger compensateur. On attendra longtemps cette politique concertée car au fond elle n’intéresse personne. Les peuples inconscients finissent par disparaitre dans les sables de l’Histoire avant même de s'en rendre compte.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.