J’ai assisté les 24 et 25 octobre au colloque organisé par la Direction du développement et de la coopération sous l’égide du département des affaires économiques et sociales de l’ONU. Cela s’est tenu à Montreux dans un palace. On ne saurait tarir d’éloges à la fois sur l’agencement du colloque par l’administration et sur le fonctionnement exemplaire de l’hôtel. L’organisation intellectuelle et matérielle fonctionnait de manière parfaite, à la suisse. Notre pays essaie vraiment d'aider, de coopérer, de développer parce qu'il n'a pas de passé colonial, qu'il n'est pas suspect de néo-colonialisme. Et à sa taille, il y réussit.
Cela mettait implacablement en lumière l’esquive du sujet à de rares exceptions par les invités , à savoir « la coopération au développement après 2015 : un développement durable pour tous ». Comment dans un monde fini permettre aux nations défavorisées d’accéder au bien-être des nations industrialisées, avec la consommation concomitante et le gaspillage obligé de ressources non renouvelables ou surexploitées comme le pétrole, les terres arables, l’air et l’eau ? Comment les pauvres vont-ils accéder au statut des riches, qui surexploitent déjà la planète?
La réponse quasi unanime tint dans la répétition en boucle de la vision politiquement correcte en 2013 : il suffit de mobiliser des capitaux, il faut que les budgets des riches consacrent 0.7% à la coopération et que le financement privé épaule le financement public. Mais tous l’argent du monde ne va pas freiner le changement climatique, l’assèchement du Sahel, la noyade du Bangla Desh, le conflit pour l’eau entre Israël et ses voisins, sauf si on le consacre effectivement à la diminution des gaz de serre projetés dans l’atmosphère. Cette optique n’est manifestement pas du goût des participants. Ils ne sont pas capables de résoudre le problème dans la mesure où ils en font partie.
Le palace constituait un lieu privilégié, une sorte de laboratoire aseptisé pour observer et comprendre le tourment de l’Afrique contemporaine en la personne incarnée de sa bourgeoisie politique. Le continent se déchire entre sa structure tribale et la mise en place d’une démocratie parlementaire à l’occidentale. Il est représenté par sa nomenklatura occidentalisée : anciens, présents ou futurs ministres ; parlementaires ; fonctionnaires internationaux ; représentants des ONG. Tous, ils courent le monde de réceptions en colloques. Ils sont les prébendiers inamovibles de ce tourisme politique dans la mesure où ils maîtrisent la langue de bois, l’art de ne rien dire en barbotant dans le vocabulaire du politiquement correct. Toute idée originale est bannie, toute référence à la triste réalité africaine serait sacrilège, les souffrances des peuples sont dissimulées dans l’abstraction, la théorie, la doctrine, le système. C’est la mathématique de la faim, de l’épidémie, de la guerre civile. Liturgie pour prêtres cravatés en complet veston de bonne coupe.
Ce ballet diplomatique n’est pas gratuit. Les maigres ressources de budgets squelettiques sont dépensées en frais de déplacement en des lieux somptueux hérités de la grandeur passée de l’Europe décadente. Ce faste donne de l’allure à d’indigents échanges sur des problèmes insolubles, parce que les solutions ne sont pas envisagées et qu'on ne veut pas qu'elles le soient. Chaque nuit d’hôtel à Montreux coûtait l’équivalent de la subsistance annuelle d’un Africain. L’une explique l’autre.