Une vendetta valdo-valaisanne

A la fête de la châtaigne à Fully, les voitures vaudoises furent décorées d’un tract qui leur reprochait d’avoir voté la lex Weber. Bien évidemment les voitures ne votent pas et une plaque vaudoise ne prouve pas que le conducteur ait mal voté au sentiment de quelques patriotes valaisans.

 En fait c’est le contraire, seule une petite minorité des conducteurs vaudois ont commis ce forfait. En effet,  il y a 31% d’étrangers qui ne votent pas dans le canton de Vaud,  le taux de participation des Vaudois s’éleva à 51,6%, et il n’y eut qu’une majorité de 52,6 % des votants dans le canton de Vaud pour soutenir cette initiative. Tous calculs faits 0,69 x0,516 x0,526 = 0,19, il y a 19% des habitants du canton de Vaud qui ont commis la félonie de soutenir Weber, moins d’un automobiliste sur cinq.

Et donc 81% des automobilistes invectivés ne sont pas responsables de ce qu’on leur reproche. Mais dans l’esprit de quelques patriotes valaisans, tous les habitants de Vaud sont collectivement responsables du choix de 19 % d’entre eux. Telle est la logique antique de la vendetta : la faute des uns incombe aux autres s’ils appartiennent au même clan. On ne punit pas une personne, on sanctionne un groupe.

Dans la démocratie directe helvétique, cela deviendrait ainsi une faute collective d’avoir voté dans un canton différemment d’un autre. Les vrais citoyens suisses devraient donc tous voter de la même façon. Pourquoi avoir conservé les cantons alors ? Pourquoi avoir donné le droit de vote à chaque citoyen? Il y en a qui rêvent de scores électoraux staliniens. Si on les laisse faire, cela finira par arriver.

Cette mentalité archaïque est encore plus répandue qu’on ne le croit. Si certains Valaisans en veulent à tous les Vaudois, certains Suisses en veulent à tous les étrangers, certains catholiques aux protestants et certains chrétiens aux musulmans. Ce qui est décisif, c’est l’appartenance à une communauté. On en voit des manifestations sanglantes au Moyen-Orient, après les avoir vécus dans les Balkans.

A titre personnel, certains correspondants anonymes me reprochent régulièrement les votes du PDC, même et surtout si j’ai voté le contraire. D’autres remontent d’un demi-siècle et m’imputent la défaite de l’armée belge en 1940 et d’autres encore, munis d’une mémoire implacable, me dénoncent comme responsable des massacres de Congolais au XIXe  siècle par Léopold II. Et comme catholique, je suis naturellement coupable des fautes du Vatican.

En somme, cela me rassure : face à tous ces crimes collectifs, mes fautes propres deviennent insignifiantes. Coupable de tout, je ne le suis plus de rien.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.