1:12 symbole d’une division

Cette division arithmétique qui sert d’énoncé à l’initiative lancée par les Jeunes Socialistes symbolisera une division politique entre deux blocs gauche droite et une division psychologique pour chaque électeur, communément appelée schizophrénie.

D’une part il saute aux yeux qu’un tel rapport entre les salaires les plus hauts et les plus bas d’une administration est déjà largement suffisant pour rémunérer les différences de compétence et assurer le bon fonctionnement. Ce rapport suffit pour un département de l’administration fédérale : les 475 000 CHF d’un conseiller fédéral divisés par 12 donneraient 39 583 CHF, alors que la classe de salaire 1 est à 61 068 CHF, soit un rapport de 7.77. Il en est de même dans les EPF ou les universités, les administrations cantonales ou communales.

D’autre part ce n’est déjà plus vrai pour un service public. Aux CFF, entre le salaire le plus bas de l’entreprise et le plus élevé, le rapport est de 1 à 25. Autrement dit, l’employé le plus modeste devrait travailler pendant 25 ans pour toucher le salaire qu’Andreas Meyer perçoit en une année.  

Dès lors, une entreprise privée présentera forcément des rapports encore plus élevés. Daniel Vasella pour Novartis a battu tous les records avec 40,3 millions par an soit 160 000 CHF par jour, bien plus que ce que touche un modeste employé sur une année. Le rapport doit ici approcher 1:500. Le CEO de cette entreprise privée touche 85 fois le salaire d’un conseiller fédéral.

C’est évidemment choquant. Cela laisse entendre que le pouvoir politique est peu de chose face au pouvoir réel de l’économie. Mais celle-ci fonctionne bien, si on considère le niveau de vie en Suisse, le revenu moyen d’un ménage, le taux de chômage, la dette des pouvoirs publics. C’est donc un mal pour un bien. Car, en sens inverse, une économie soviétique où les rapports (apparents) de salaire étaient de 1 à 2 a démontré qu’elle ne fonctionnait pas, tout simplement parce que les travailleurs n’étaient pas motivés. Et bien entendu les détenteurs du pouvoir politique, la haute bourgeoisie de la nomenklatura, étaient hors catégorie.

Et donc l’initiative 1:12 est viciée à la base. Prétendre assainir l’entreprise privée comme si c’était une administration mène à la ruine nationale. La preuve a été administrée. Ceux qui ignorent l’histoire sont condamnés à la recommencer.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.