L’archevêque de Paris, cardinal André Vingt-Trois s’est opposé au projet de mariage homosexuel, en débat au parlement français, par une parole stupéfiante : « C'est ainsi que se prépare une société de violence ». On peine à voir le rapport, sinon en opérant un grand écart. Lequel ?
La France, mais surtout les Français, souffrent d’une économie nationale, qui ne satisfait plus les exigences du travailleur ou les besoins du consommateur. Il s’agit de problèmes graves et urgents, qui créent des souffrances individuelles et des tensions sociales. Or, ni la majorité au pouvoir, ni l’opposition ne parviennent à formuler des solutions réalistes et efficaces ou même à laisser espérer qu’ils puissent en trouver. La France a maintes fois connu des situations semblables de déficience des institutions, qui les ont déstabilisées. Comment faire face à une telle impasse politique, sinon en escamotant sa réalité par l’organisation d’une diversion ? C’est pour esquiver le véritable débat, que le mariage gay a servi à susciter des passions exacerbées, aussi prévisibles qu’attendues. Il remplit de la sorte une fonction politique classique. Lors de la chute de Byzance en 1453, les théologiens locaux discutaient du sexe des anges.
Non seulement le mariage gay sert d’alibi dans un jeu politicien où l’Eglise n’a rien à faire, mais il devrait constituer pour celle-ci un non-problème. En effet, il s’agit du mariage républicain instauré en 1792 comme préalable légal au mariage religieux, qui lui est ainsi subordonné et accessoire. Même si ce rite civil a pris une signification forte pour les citoyens, il n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Tout mariage a deux aspects. Le premier, strictement matériel, sert à formaliser par la loi ou par un acte notarié le partage des tâches, les prérogatives, la succession, la solidarité contractuelle : il relève de l’Etat et seulement de lui. Le second est infiniment plus important : c’est l’engagement mutuel de deux personnes à vivre dans la solidarité et la fidélité, en principe pour la vie : il relève du mariage religieux, tandis que l’Etat n’a pas vocation à solenniser une relation interpersonnelle. Le mariage civil fut conçu à l’origine comme un substitut du mariage religieux, voire comme une tentative de le supprimer.
Si l’on garde bien cette distinction à l’esprit entre aspect légal et aspect interpersonnel, on peine à comprendre en quoi l’Eglise se sent concernée par l’extension du mariage civil aux homosexuels. La condamnation, qu’elle a portée, constitue une interférence dans un débat purement politique, sans incidence religieuse. Toute autre serait la question du mariage religieux d’un couple homosexuel, qui constituerait un débat interne à l’Eglise. Son intervention publique dans un débat politique sur le mariage civil a pour effet paradoxal de sacraliser celui-ci.
Le rôle de l’Etat dans cette affaire est nécessaire, mais il n’a rien de sacré. En s’y opposant, l’Eglise est tombée dans un piège et elle est maintenant instrumentalisée par les partis. Elle aurait dû au contraire observer une réserve totale. Si elle souhaite intervenir dans le débat public, qu’elle se consacre au véritable problème actuel, celui de la justice sociale, pour lequel elle a une vocation légitime d’intervenir. La naïveté de certains prélats est consternante.