Copinage et chipotage sont les deux mamelles des conseils d’administration

Comment le parlement en est-il arrivé à élaborer un contreprojet à l’initiative Minder, qui soit aussi outrageusement faussé, au point que les deux tiers des électeurs s’en rendent compte, même s’ils n’ont pas la pratique de la gouvernance des affaires ? En particulier, la suppression de la clause pénale signifie à l’évidence que la nouvelle version de la loi sera violée comme le fut l’ancienne. Or, la plupart des parlementaires sont administrateurs. Et voilà pourquoi votre fille est muette : ils n’avaient vraiment pas envie de risquer la prison, tout juste bonne pour les petits délinquants.

Le contre-projet a été conçu pour que ses prescriptions puissent êtret tournées. On en a eu deux exemples extravagants durant la campagne électorale. Il n’a même pas fallu attendre le vote pour qu’UBS serve deux milliards et demi de bonus à ses cadres, correspondant exactement à ses pertes.  La direction de la banque a pour but visible d’en dévorer la substance au détriment des clients, des actionnaires et des employés. Même scénario avec les 72 millions de parachute doré offerts à Daniel Vasella : le conseil d’administration eut simplement la pudeur de le déguiser tantôt comme une clause de non-concurrence, tantôt comme un remerciement pour services rendus. Le renoncement à l’indemnité par l’intéressé a été le dernier clou du cercueil : personne de sensé ne renoncerait à un tel pactole s’il était réellement dû.

Ainsi la votation du 3 mars atteindra le résultat contraire aux attentes des milieux d’affaires, qui n’ont même pas su restreindre leur rapacité le temps d’une campagne électorale. Le système est taré à la base. Les actionnaires, trop dispersés, n’ont et n’auront qu’une influence négligeable sur la rémunération des dirigeants. Le conseil d'administration est soigneusement recruté en fonction de l'inexpérience des administrateurs dans le domaine administré afin de livrer tout le pouvoir à la direction, comme les débacles de Swissair et d'UBS le démontrent de façon éclatante.

Dans un ou deux ans nous voterons donc sur l’initiative socialiste prévoyant une fourchette maximale de 12 sur les rémunérations. D’ici là, le parlement fédéral essaiera avec la plus grande maladresse de vider cette initiative-là de son contenu. A force raisonner à la petite semaine, on finira par déraisonner totalement. L’abominable Marx aurait-il eu raison ? Dans une république idéale, il n’y aurait pas de gauche réformiste, si la droite n’était pas aussi massivement stupide. Comment gouverner avec un parlement dont les deux ailes sont également incapables d’affronter la réalité, en fonction de deux logiques diamétralement opposées ?

Initiative Minder: le dossier de L'Hebdo

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.