Après l’imposition des couples mariés, la RFFA ?

Alors que le Tribunal fédéral a, il y a quelques semaines, annulé la votation de 2016 sur l’initiative populaire sur l’imposition des couples mariés, c’est maintenant la votation du 19 mai sur la RFFA qui est contestée. Le POP vaudois l’avait annoncé avant la votation : si le peuple devait accepter la RFFA, un recours serait déposé auprès du Conseil d’Etat vaudois. Ce weekend, la section de La-Chaux-de-Fonds du POP neuchâtelois a annoncé vouloir en faire de même auprès du Conseil d’Etat neuchâtelois.

La raison de ces recours? Une violation alléguée du principe de l’unité de la matière. Celui-ci impose qu’un rapport intrinsèque existe entre les différentes parties d’un projet soumis au vote. La personne appelée à voter ne devrait en effet pas se retrouver dans la situation où elle serait favorable à une partie et s’opposerait à une autre partie d’un même objet, qui seraient sans lien l’une avec l’autre. Cette situation l’empêcherait d’exprimer valablement son vote.

Si la Constitution fédérale mentionne expressément le principe de l’unité de la matière en ce qui concerne les révisions de la Constitution, ce principe est applicable également lorsque les citoyennes et citoyens se prononcent sur une loi fédérale. Il découle en effet dans la garantie des droits politiques ancrée à l’art. 34 Cst., qui a pour but de protéger “la libre formation de l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de leur volonté” (al. 2). Il est admis toutefois que le principe soit appliqué de manière plus souple pour une loi que pour une révision constitutionnelle.

En ce qui concerne la RFFA, le respect du principe de l’unité de la matière a fait débat. L’OFJ a conclu dans un rapport de mai 2018 que “lier les nouvelles réglementations sur l’imposition des entreprises avec celles sur le financement de l’AVS constitue, a n’en point douter, un cas limite”. Selon les opposants qui ont annoncé les recours, on serait ainsi au-delà du cas limite.

Une fois les recours déposés auprès des gouvernements cantonaux, ceux-ci auront 10 jours pour se prononcer. L’affaire pourra ensuite éventuellement être portée devant le Tribunal fédéral.

Si ces autorités venaient à considérer que le projet ne respectait pas l’unité de la matière, le scrutin serait-il automatiquement annulé ? Non ; de manière générale, une irrégularité en matière de votation ou d’élection ne mène pas forcément à cette issue. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les autorités de recours doivent encore arriver à la conclusion que cette irrégularité est grave et qu’elle a pu influencer l’issue de la votation, soit en d’autres termes que le résultat aurait pu être différent en l’absence de l’irrégularité.

Indépendamment du fond, on peut également se poser la question du respect du délai pour recourir. L’art. 77 de la loi sur les droits politiques impose que le recours soit déposé dans les trois jours “qui suivent la découverte du motif du recours” (mais, en tous les cas, au plus tard trois jours après la publication des résultats dans la feuille officielle du canton). Les opposants n’auraient-ils dès lors pas dû déposer leur recours avant la votation, au lieu d’attendre le résultat de celle-ci ?

Guillaume Lammers

Docteur en droit, Guillaume Lammers est avocat à Lausanne et chargé de cours à l'UNIL. Il s'intéresse de près aux différents aspects du droit constitutionnel, domaine dans lequel il a rédigé sa thèse de doctorat ainsi que différentes contributions. Il est également auteur au sein du think tank foraus.

9 réponses à “Après l’imposition des couples mariés, la RFFA ?

  1. On pourrait aussi penser que le (les) POP, avant d’engager des frais, attendent de voir l’issue de la votation?
    Cet argument de “mauvaise foi” a déjà été mis en avant par Mme Sandoz sur ces mêmes blogs et pour les mêmes “mauvaises” raisons.

    Or, le résultat des urnes indique, sans aucun doute, que la liaison des deux objets a joué un rôle crucial.

    Comme en toute chose, une justice digne ne devrait pas établir de délais ou prescription en rien, pour le moins avant vingt ans, voire ad aeternum, comme c’est le cas pour les successions.

    Le plus grave, à mes yeux, en incombe au Parlement d’avoir le culot de lier l’imposition des entreprises avec la couverture vieillesse (déjà misérable) de son peuple!

    1. P.S. Les politicien.es suisses autant que leurs électeur.trices doivent bien prendre la mesure du “désastre” des élections européennes… elle était déjà ingouvernable, mais elle a perdu son volant (pas Joker)!

      Alors il faudra bien qu’une des “meilleures démocraties du monde”, qui avait fait des merveilles avec de vrais consensus et même si le monde a changé, se rende compte qu’à force de polarisation, elle n’aura plus grand chose à dire, malgré son talent, sa richesse autant que sa petitesse.

      Une première mesure urgente:
      publication sur le site de la Confédération de tous les intérêts/jetons, etc. de chaque politique élu. Simple à mettre en oeuvre et transparent.

    2. Merci pour votre commentaire. Je ne cherche pas à sous-entendre que les recourants auraient agi de mauvaise foi en déposant le recours après la votation, mais aborde ce point sous l’angle de la procédure. A mon avis, il aurait fallu déposer le recours dans les 3 jours qui suivent la découverte du motif. A voir comment se prononceront les gouvernements vaudois et neuchâtelois, puis éventuellement le TF.

  2. C’est un privilège pour nous de pouvoir échanger avec l’auteur de l’article qui est Docteur en Droit. La question de fond est de savoir qui a l’autorité suprême parmi les institutions? (je n’évoque pas ici le peuple souverain). Si le TF annule la votation est-ce que le CF peut maintenir les résultats? Je vais m’aventurer avant de vous laisser répondre: Quand les intérêts suprêmes du pays sont exposés vis-à-vis de l’étranger, comme tel est le cas ici, avec le risque des sanctions de l’OCDE et de l’UE, le CF peut passer outre les jugements du TF.
    A vous Docteur de nous éclairer.

    1. Selon l’art. 148 al. 1er Cst., c’est l’Assemblée fédérale qui est l’autorité suprême de la Confédération, sous réserve des droits du peuple et des cantons (le Conseil fédéral est quant à lui l’autorité directoriale et exécutive suprême de la Confédération, art. 174 Cst.).

      La loi est la base et la limite de l’activité de l’Etat (art. 5 al. 1er Cst.). Ainsi, pour pouvoir agir, les autorités étatiques doivent y être habilitées par la loi et, d’autre part, elles ne peuvent déployer une activités qui n’est pas prévue par la loi. Par conséquent, le Conseil fédéral n’est pas libre de faire ce qu’il veut. Pour répondre à votre question, la loi ne lui attribue pas la compétence/le pouvoir de maintenir le résultat d’une votation qui a été annulée par le TF.

      Si tel était le cas, et pour répondre à votre réflexion sur la question, cela reviendrait à donner au Conseil fédéral des compétences législatives propres (et non pas déléguées comme c’est le cas lorsque les lois fédérales ou les ordonnances lui accordent une compétence de légiférer sur des points précis), et donc à priver le peuple de son pouvoir de choisir sa destinée en connaissance de cause (si le processus législatif est respecté…). En d’autres termes, le système proposé est moins démocratique que celui qui prévaut en l’état en Suisse.

      Deux questions sont soulevées par la votation RFFA-AVS du 19 mai 2019 :

      1. Le recours au TF en matière public contre le résultat de la votation est-il recevable ?
      La recevabilité est soumises à la réalisation de plusieurs conditions cumulatives, et notamment celle du respect du délai de recours. Me Lammers le soulève : un délai de 3 jours est prévu par la loi dès la connaissance du vice. A l’évidence, le vice que constituerait le manque d’unité de la matière allégué par le POP vaudois était connu dès le départ. Le délai de recours est donc, à mon sens, échu depuis longtemps.
      Affirmer publiquement, en fin de votation, son intention de recourir peut effectivement s’apparenter à de la mauvaise foi (cf. le blog de Mme le Prof. Suzette Sandoz et ses dernières publications : https://blogs.letemps.ch/suzette-sandoz/). Le contraire serait choquant pour la raison suivante : X est opposé à l’objet d’une votation à venir (initiative populaire, Cst. 139 al. 3 ou révision partielle de la Constitution, art. 194 al. 2 Cst.). X considère d’ailleurs que le principe de l’unité de la matière n’est pas respecté. X considère donc que le processus législatif est vicié ! Si la modification était in fine refusée par les votants comme X le souhaitait, il n’en demeure pas moins que le processus était vicié et que le résultat du vote l’est par conséquent tout autant ! Si X constate ledit vice, il se doit de le soulever dès que possible et il ne peut pas, de bonne foi, s’en prévaloir que dans le cas où le résultat lui déplaisait (dit autrement, la bonne foi empêche une personne qui a constaté un vice de pouvoir s’en accommoder parce que dans le fond, le résultat lui semble juste).

      2. Le principe de l’unité de la matière s’applique-t-il à une telle votation (à savoir une modification des lois fédérales décidé par l’organe législatif : le Parlement) ?
      Il est, je crois, largement admis que la votation du 19 mai 2019 ne respectait pas le principe d’unité de la matière. Il faut toutefois se demander si l’objet de ladite votation était soumis à ce principe. Le texte de la Constitution impose le respect de ce principe lorsque le vote à pour objet de modifier la Constitution (soit par la voie d’une initiative populaire, soit par une révision partielle de la Constitution initiée par l’Assemblée fédérale), mais non pas s’agissant de la modification d’une loi fédérale. Le principe ne vaut donc, à mon humble avis, que pour des votations portant sur des modifications de la Constitution.

      Si le TF devait juger que le recours n’était pas recevable (cf. point 1.), il s’abstiendrait très certainement de trancher le point 2. et le débat resterait ainsi ouvert.

      1. Merci, cher CST., de ce point de vue parfaitement étayé de professionnel.
        Je comprends mieux la “mauvaise foi” citée par Madame Sandoz.

        Il n’en reste pas moins que le délai de “3 jours” parait ridicule de subjectivité.
        Et que même si le recours était admis, apparemment le flou subsisterait.

        La finance en matière de justice est non négligeable, d’où mon “engager des frais”.
        A ce sujet, il conviendrait peut-être de repenser les frais de justice, peut-être déjà commencer par rendre les avocats un peu plus responsables, étanchéifier les relations de ces derniers avec le Tribunal, etc. ?
        J’ai personnellement un cas de succession pour lequel j’espère avoir un jour les moyens de prouver, autant la forfaiture d’un Tribunal de District vaudois que celle de 3 avocats…!

        Le résultat des courses est qu’il faudra bien, un jour, que le Parlement ait le courage d’empoigner une véritable réforme de l’AVS.

        Car, à l’heure d’une mobilité et de carrières de plus en plus volatiles, de l’arrivée 4.0 (robots et autres AI), je n’ai pas l’impression que ce soit en retardant l’âge de la retraite, alors qu’à 50 ans, il est tâche de sysiphe de retrouver un emploi, ce soit la solution!

        Il s’agit d’un point de vue politique, mais devoir compenser une AVS ne permettant pas de vivre avec des subventions, ne me parait pas tellement efficient.

      2. Merci beaucoup pour ce coup de projecteur. Puisque nous sommes en face d’une situation assez rare qui ne se produit pas tous les jours, et puisque l’Assemblée fédérale jouit de cette importance, si le TF annulerait la votation, les deux chambres peuvent théoriquement se réunir ensemble et décider, puisque le peuple était favorable tout comme elle mêmes, de maintenir le résultat du vote.

  3. “le CF peut passer outre les jugements du TF”

    Oui, on pourrait aussi faire plus simple, demandez au CF (exécutif) de prendre les décisions capitales pour le pays, lui-même, sans passer par le peuple et ces votations toujours plus difficiles !
    🙂

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