Alors que le premier weekend de votation de 2020 vient de s’achever, retournons quelques instants en 2019. L’année dernière, la tendance s’est confirmée : un nombre toujours plus important d’élections et de votations sont portées devant les différents tribunaux du pays. Au centre de ces contestations figure la garantie des droits politiques (art. 34 Cst.), qui “protège la libre formation de l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de leur volonté”, et dont il revient au juge de s’assurer le respect. Afin d’illustrer le rôle que celui-ci peut jouer dans l’exercice des droits populaires, voici un bref retour sur trois épisodes de 2019 particulièrement médiatisés.
Initiative sur la pénalisation fiscale du mariage
Le 28 février 2016, le peuple et les cantons rejetaient à une très courte majorité de 50.8% l’initiative “Pour le couple et la famille – Non à la pénalisation du mariage”, alors que les cantons l’acceptaient à une majorité de 16.5. Deux ans et quelques mois plus tard, en juin 2018, le Conseil fédéral annonçait dans un communiqué que le nombre de couples mariés à deux revenus concernés par la pénalisation fiscale du mariage n’était pas de 80’000, comme estimé à l’époque de la votation, mais de 454’000, soit un nombre plus de 5 fois supérieur. L’AFC n’avait en effet pas tenu compte des couples mariés à deux revenus avec enfants dans son estimation.
A la suite de ce communiqué, plusieurs personnes ont recouru auprès de leurs gouvernements cantonaux respectifs, puis auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci a admis leurs recours et a annulé, le 10 avril 2019, le résultat de la votation sur cette initiative.
Le Tribunal fédéral a retenu en particulier que les citoyens n’avaient pas pu bénéficier d’une information transparente et objective en raison de cette erreur d’estimation. Pour cette raison, la garantie des droits politiques avait été violée.
Le Tribunal fédéral a rappelé que toute violation de la garantie des droits politiques n’entraîne pas systématiquement l’annulation du scrutin concerné. Encore faut-il que l’irrégularité soit grave, et que l’issue du scrutin ait pu être influencée par celle-ci. Tel était le cas, selon lui, dans le cas d’espèce. L’issue du vote aurait pu être différente, en raison du résultat serré du vote ainsi que de l’ampleur de l’erreur d’estimation. En outre, la sécurité du droit ne s’opposait pas à ce que la votation soit annulée.
Ainsi, les recours ont été admis et la validation de la votation concernant cette initiative populaire a été annulée. C’est la première fois que le Tribunal fédéral annulait un scrutin fédéral. Quant à l’initiative, elle vient d’être retirée par le comité.
Confirmation par le Tribunal administratif de Berne de l’annulation du vote de Moutier
L’annulation par la Préfecture du Jura bernois de la votation concernant le rattachement de Moutier au canton du Jura, en 2018, avait fait grand bruit. En 2019, c’est le Tribunal administratif du canton de Berne qui s’est penché sur la question, en tant qu’instance de recours.
Dans un arrêt de plus de 100 pages, le Tribunal administratif a analysé les différents recours formés contre la décision de la Préfecture. S’il a partiellement admis ces recours sur certains points, il a tout de même confirmé l’annulation du vote du 18 juin 2017. Il a constaté que le vote avait bel et bien été entaché de plusieurs vices contraires à la garantie des droits politiques, et qu’une annulation du scrutin s’imposait.
Selon le Tribunal administratif, c’était à bon droit que la Préfecture avait retenu que certaines communications de la commune de Moutier et de son maire durant la campagne violaient les devoirs d’objectivité et de transparence. Le Tribunal administratif a également épinglé le refus de la commune de fournir à la Chancellerie d’Etat du canton de Berne puis à l’OFJ le registre des électeurs. Un tel refus allait à l’encontre des règles prévues par l’arrêté du Conseil-exécutif bernois du 25 janvier 2017 destiné à régir la votation. Le Tribunal administratif s’est également appuyé sur les cas de domiciliation fictive soupçonnés par la Préfecture. Enfin, la commune de Moutier avait prévu des modalités de vote par correspondance élargies, qui n’étaient pas prévues par l’arrêté du Conseil-exécutif bernois du 25 janvier 2017.
Il faudra donc qu’une nouvelle votation ait lieu. La date de celle-ci n’a pas encore été définitivement fixée.
Votation du 19 mai 2019 sur la RFFA
La votation sur la loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA) a eu lieu en mai 2019. Cette loi a été adoptée à une large majorité des votants. Un point toutefois a fait débat, avant et après le vote : le respect de l’unité de la matière. Cette loi regroupait en effet, dans un seul acte, des modifications de réglementations concernant l’imposition des entreprises, d’une part, ainsi que le financement de l’AVS, d’autre part. Or l’unité de la matière impose qu’il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties d’un projet législatif. L’OFJ considérait qu’on était en présence avec la RFFA d’un “cas limite” (cf. mon billet du 26 mai 2019).
A la suite du vote, des recours ont été déposés pour violation de l’unité de la matière auprès des gouvernements vaudois et neuchâtelois. Ces derniers ont déclaré les recours irrecevables car ils auraient dû, selon eux, être déposés plus tôt. L’affaire a ensuite été portée devant le Tribunal fédéral.
Les juges fédéraux ne se sont pas prononcé sur une éventuelle tardiveté des recours, mais ils ont rejeté ceux-ci en appliquant l’art. 189 al. 4 Cst. Selon cet article, les actes de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral ne peuvent pas être portés devant le Tribunal fédéral (sauf exception prévue par la loi). Or le fait de lier dans un seul projet législatif des modifications des réglementations relatives à l’imposition des entreprises et au financement de l’AVS était justement une décision de l’Assemblée fédérale, que le Tribunal fédéral ne pouvait pas revoir. Outre les recours vaudois et neuchâtelois, le Tribunal fédéral a également déclaré irrecevable un recours ayant été déposé en première instance dans le canton de Berne, car celui-ci ne respectait pas les exigences liées à son contenu.