Chroniques de Charclo : Zonzon 4

 

Chronique de Charclo: Zonzon 4

Proverbe (soit disant) Africain: « Les années passent comme des voitures. »
Ici les jours se traînent comme des fourmis et les heures comme des acariens.

Y’a une espèce d’espace de rangement derrière mon oreiller, j’y ai posé mes livres, mes brouillons ainsi que la pharmacie incluse dans le package d’arrivée.

Sur le mur, un paquet de conneries écrites au stylo ou gravées à même le béton, des croix gammées et des Allahu Akbar côtoient des noms, des dates, des prénoms féminins ainsi que des phrases en cyrillique, en turque ou en arabe. Au niveau de ma tête un mec a tenu à faire savoir que ses héros étaient: Che Guevara, Mesrine…et Maître Verges, à coté j’ai noté le noms des miens: Robespierre, Ravachol, Ulrike Meinhof.

Au début je traçais des marques pour compter le temps qu’il me restait à tirer, Sk. m’avait prévenu que c’était foireux et que j’allais vite déprimer, il en pas dit plus. Le lendemain à 8 heures, le maton vient nous amener le déjeuner ainsi que le courrier, une seule enveloppe… et pour moi tout seul!

Brève missive du procureur de l’ouest Lausannois, tiens prends-toi ça dans les dents! Trois jours de ballon en rab! Motif : amende des CFF, Suspiria de profundis, j’ai plus qu’à effacer mes quelques traits en me demandant si ça vaut la peine d’en retracer un ce soir. Sk. se verse un café, se roule une clope avant de se re-foutre au pieu, il ne dit rien, y’a rien à dire.

10 heures: promenade du matin, les premiers jours je restais dans mon lit à somnoler, encore groggy par mes 60mg de méthadone avalés aux aurores, mais cette fois je suis réveillé du coup autant sortir, une heure de cellule en moins c’est toujours ça de gagné. Nos trainings et nos vestes ont les poches cousues, parait que c’est pour éviter les trafics néanmoins il arrive que les matons fouillent quand même quelques détenus, c’est aléatoire, ils palpent ici et là, regardent sous les bonnets, les chaussettes, les grolles…ils le font sans zèle particulier, je crois qu’ils ont juste un quota de gars à emmerder. Pendant ce temps on attend qu’ils aient fini leur cirque, qu’ils ouvrent la lourde pour qu’on puisse sortir.

Un des premiers trucs que j’ai demandé en arrivant, c’est si on pouvait trouver du shit, réponse catégorique : non. Les visites sont très surveillées, les murs font 10 mètres de haut et le secteur est au beau milieu de la plaine. Personne ne sort et rien ne rentre non plus. C’est pas si grave, avant de me pointer ici j’ai gobé trois bouts de chichon bien cellophanés, le lendemain lorsque j’ai tiré la chasse d’eau, je me suis rendu compte une fois de plus, de mon ineffable propension à réfléchir après coup, bon vu que je les avait avalé à différentes heures, logiquement il doit bien rester une ou deux boulettes dans mes intestins bref pour le moment le shit on s’en fout un peu, là ou ça va devenir galère c’est au niveau du tabac. Dans le package d’arrivée en plus des indispensables savons, rasoirs jetables, brosse à dents, pansements, capotes, il y a les cadeaux de bienvenue à savoir ; une carte de phone avec 5.- de crédit et un paquet de tabac sans marque avec ses 33 feuilles à rouler. Mon colocataire étant là depuis une semaine est à sec et même en se rationnant on finira pas la semaine.

Ce matin en allant chercher ma dose, y’avait un nouveau, un roumain, il semble peser 40kg et a du cesser sa croissance vers 14 piges sinon il parle beaucoup…mais en roumain. En attendant notre tour il me fait comprendre qu’il cherche des Tranxilliums mais il a que du tabac à échanger…la misère et le hasard font bien les choses. Il me rejoint durant la promenade, 4 comprimés contre un peu de tabac dans une feuille de PQ.

Retour en cellule pour faire les comptes ; les 3-4 grammes de tabac devraient bien nous durer cinq jours…ou au moins trois. Un peu plus tard Sk. revient, il était chez le médecin et il a le sourire, le doc lui a fait une ordonnance pour des Stilnox et de la Quétiapine. Assis à la table il me montre la marche à suivre: d’abord enlever la couche d’expédient en la frottant avec de l’eau et du tissu, bien piler, mélanger le tout et voilà un gros rail chacun qui brûle les narines…la cocaïne du pauvre. Pour que ça pète plus vite on fait des séries d’abdos le plus rapidement possible jusqu’à ce qu’on soit en pleine montée. Bon être défoncé avec un ertzaz de coke dans une cage de 2,5m sur 4m ça semble aussi chiant que de prendre des extas devant un film de Claude Lelouch mais maintenant qu’on est survolté on refait des abdos, des pompes, on boxe dans le vide. 45 minutes plus tard on est en pleine descente, en nage et surtout épuisé.

Si en zonz beaucoup font du sport c’est pas pour faire dans le cliché ou ressembler à Wolverine, c’est surtout pour se dépenser, se fatiguer.
Passer sa journée à lire et mater la TV sur que ça occupe mais une fois la lumière éteinte c’est dur de trouver le sommeil (surtout quand on vend ses cachetons ou qu’on s’en sert pour se fonceder). Alors quand je suis pas en train de glander ou d’emmerder le personnel pénitentiaire à coup de bons et de demandes absurdes (j’y reviendrai…) ben je me surprends à enchaîner les séries de pompes, d’abdos et de tractions. Pour ça devant les chiottes, y’a une solide barre de fer qui sert de tringle à rideau, Sk. est persuadé qu’ils l’ont mise là pour qu’on puisse faire du sport, perso je maintiens qu’elle a été scellée pour pas qu’on s’en serve comme arme. Débat palpitant qui va bien durer 20 minutes. Soudain on se tait, le générique de Naruto résonne de la cellule voisine, c’est presque machinalement qu’on zappe sur MCM avant de se remettre au lit.

Dans trois épisodes ça sera l’heure du souper.

«Pour nous l’ennui est un passe-temps, pour d’autres une malédiction, s’il faut s’armer de patience je suis bientôt à court de munitions »

Zonzon 3 Entrée en matière

Chroniques de Charclo

J’avais suivi les premières saisons de Oz, j’ai aussi maté Gangland ou Immersion à Sing Sing et d’autres conneries du même acabit sur Youtube. Quand j’ai reçu ma convocation pour la taule de la Croisée j’étais loin de faire le fier mais je balisais pas plus que ça…enfin pas trop. Prison ou ailleurs on reste en Suisse: propreté, ponctualité, règlement et co. Bref c’est pas là-bas que je verrai des gangs de latinos se battre à coup de surin avec des néo-nazis tandis que des black-muslims fomentent une mutinerie.

Mais reste toujours l’enfermement, l’ennui, l’isolement, la frustration et le manque de tune qui impliquent aussi le manque de drogue. En fait ce qui me fait le plus peur c’est de perdre celle que j’aime. Elle, elle a deux mois à m’attendre, deux mois pour rencontrer un autre. Un mec aussi beau qu’intelligent, un mec drôle, gentil, attentionné et doté de toutes les qualités que je n’ai pas, une sorte d’anti-Charclo.

Bon voilà j’y suis… Orbe, établissement pénitentiaire de la Croisée…fouille à nu, mise sous-scellé, visite médicale expédiée en 5 minutes ( juste vérifier que t’as ni poux, ni parasites, ni tuberculose), distribution du paquetage réglementaire, mur blanc, porte verte, uniforme bleu, toujours resté à un mètre derrière lui…
Arrivé dans mon nouveau chez moi, je constate que c’est plus spacieux que la chambre que la miss du CSR m’a trouvée y’a deux semaines, c’était sympa de sa part mais j’en aurais pas profité longtemps. Lits superposés, celui du bas est déjà pris, donc ça sera celui du haut.

Poignée de mains et rapide présentation, il s’appelle Sk. parfait blédard, Algérien quand ça l’arrange, Français ou Suisse en cas de blême et tchatche des banlieusards en prime; c’est à dire qu’il parle beaucoup et souvent pour rien dire. En général au chtar on évite de raconter ou de demander pourquoi on y est…pas lui, même pas une heure après notre rencontre, il m’a déjà déballé tout son pédigrée, pas un gros truand mais pas un petit non plus. Il parle un mélange de français, d’arabe, de verlan et ponctue chacune de ses phrases par des “Wesh couz”, “Hamdula”, ” Walla”, “La vie de ma mère”, ect…

Bon je sais bien qu’il en rajoute mais niveau prison il en connaît plus que moi, j’ai donc tout intérêt à suivre ses conseils.

Lendemain, 6h30, le maton vient me chercher pour m’amener à l’infirmerie pour me filer ma méthadone, on est que deux au secteur 7000 à être dans ce cas, du coup je suis vite catalogué comme un junk, un schlag…au plus bas de l’échelle quoi…

Plus tard Sk. me voit écrire et me demande si je sais faire des rimes; bien sûr que je sais en faire! Il sort un mot, j’écris une rime, il sort une phrase, j’en fait quelques punchlines qui claquent bref on se marre un peu et on passe le temps. Jouer au cartes à deux c’est chiant, du coup on joue aux dominos, sinon on regarde “Big bang théorie” et “Naruto Shippuden”, d’ailleurs tout l’étage regarde Naruto. Quand on coupe le générique on peut l’entendre aux travers des autres cellules. Quand vient la sortie de 15 heures, Sk traîne avec les autres Rebeux, ségrégation oblige je devrais zoner avec les toxicos des autres étages mais si c’est pour entendre les mêmes conneries qu’à la Riponne ou sur la Place, au final je préfère encore rester seul.

Alors je marche…

 

Crédit photo: Bruce jackson, photographer and SUNY James Agee Professor of American Culture.        http://brucejackson.us/

Zonzon 1 Le départ… Zonzon 2 et l’arrivée

Chroniques de Charclo 20 

Zonzon 1 Le départ…

Le réveil sonne… j’ai apparemment dû l’éteindre pendant que je dormais à moitié. Une fois peut-être deux. Il est 9 heures et je suis censé être à Orbe dans moins d’une heure, ça ne va pas le faire…Emmitouflée dans son duvet elle dort encore, j’essaie de la réveiller en douceur mais non ça marche pas, rien à faire…déception, j’aurais tellement aimé qu’on fasse l’amour une dernière fois avant mon départ. La réalité vient de me rattraper, la brusque sensation de m’être pris une grosse claque.      Ça fait 2 jours que j’ai reçu cette lettre mais seulement 2 secondes que je réalise…

En clair l’état a décrété que j’avais fait trop de conneries et que, par conséquent, me priver de ma liberté durant deux mois serait bénéfique à l’un ou à l’autre. Y’a il une logique? Une morale? Une utilité à cette histoire?

Je remplis mon sac. Des fringues, quelques livres et un paquet de clope. 9h20, il reste un cul de joint dans le cendrier, je le rallume et m’allonge les bras en croix. Elle dort toujours, je lève le bout de duvet qui cache son visage, elle murmure un truc incompréhensible, je l’embrasse et regarde son visage serein durant ce qu’il me semble une éternité, soudain je sens une larme couler avant de mourir au coin de mes lèvres…

Zonzon 2 et L’arrivée

9h30 je trace en direction du centre social de Renens, en passant j’en profite pour jeter un coup d’oeil au Postomat. Fait chier, je suis toujours à zéro, j’aurais bien mangé un truc avant de partir, tant pis…

Au CSR, je leur donne ma convocation pour la taule en leur précisant que je sortirai que le 30 novembre, bref annulez mon rendez-vous du 23 et prenez note que je ne pourrai pas faire mes recherches d’appartement, ni d’emploi.
9h50 le train pour Yverdon, je demande à un passager la correspondance pour Orbe, il me dit que je dois sortir à Cossonay, deux minutes plus tard je suis sur le quai à répéter ma question à un mec des CFF.

– Non, on vous a mal renseigné, pour Orbe, il fallait sortir à Chavornay, le prochain arrive dans cinquante minutes. Bon ben voilà je serai en retard pour mon premier jour de taule, c’est pas la fin du monde, à moins qu’ils déclenchent le plan “Vigipirate” ou “Épervier” avec hélicos, chiens flics et tout le tremblement, pas sûr que ça arrange mes affaires mais au moins ça aurait de la gueule!

10h30 re-train pour Yverdon, sortie Chavornay, correspondance loupée, plus qu’à tracer à pied.

11h Orbe, ça y est j’y suis enfin, pas trop tôt. Bon, et là je fous quoi? Et maintenant que j’y pense c’est où la prison? Je croise un mec de la commune et lui demande, il m’indique un bâtiment en rase campagne, encore trente minutes de marche. Arrivé devant l’interphone je me présente et lui lis ma convocation, là le gars au bout du fil éclate de rire, je me suis trompé de prison, y en a trois à Orbe, comme si j’étais censé le savoir! Il me dit qu’un des matons finit son service et qu’il peut me déposer à la Croisée, ça fait une plombe que je marche, j’ai mal aux pattes alors je me fais pas prier. Le reste du trajet se fait en silence. Arrivée.

– Merci, au revoir à la prochaine!

– Non j’espère pas!

J’écoute 13 stitches de NOFX une dernière fois, il fait beau et le soleil brille, j’éteins mon mp3 et m’avance vers ce bâtiment sinistre dans lequel je vais passer mes deux prochains mois.

 

Crédit photo: Belga

L’appel de la forêt

Chroniques de Charclo

Je regarde sa porte se fermer lentement… Elle m’a embrassé, m’a serré contre elle, m’a dit qu’elle m’aimait.
C’est réciproque, surprenant surtout…une humaine tient à moi, elle est belle, douée de raison, de logique et d’intelligence et elle tient à moi.

Ça fait quelques jours qu’il ne pleut plus, il fait bon, le soleil brille, il est 14 heures.

Même si je peux rester 2-3 jours chez elle, dans les faits, je suis toujours à la rue. On en a parlé au début, c’est son appart, son espace vital et elle y tient. Quand à moi, j’ai ni la prétention, ni l’intention de m’y imposer.
En plus d’une amoureuse, de nuits dans un lit, de sa peau douce et chaude contre la mienne, j’ai de l’argent maintenant! Un revenu même! Bien sûr je savais que comme tout le monde j’avais droit au RI, seulement pour ça, il leur fallait une pièce d’identité, une adresse aussi…ou alors une attestation de perte de carte d’identité, une attestation de domicile, une attestation attestant mon attestalophobie, bref trop de papelards. Sous Hollande un ministre s’était fait poisser, il ne payait pas ses impôts depuis des années, le plus sérieusement du monde il a expliqué aux médias souffrir de “phobie administrative”, je suis pas ministre mais je suis affligé de la même pathologie.

Muriel voulait m’aider, moi je voulais qu’elle me foute la paix, elle a insisté…et elle a bien fait. Un coup de main? Non c’est peu dire, elle aura fait beaucoup pour moi. Des allers-retours, un peu de patience, des courriers timbrés, des rendez-vous, des photos ID, encore un peu de patience et comme par magie: J’ai des papiers, une adresse, un compte postal en plus d’une carte et de l’argent dessus.

Bon entre temps on a un peu fait la fête, j’ai aussi fait quelques courses pour nous deux.
Mais là, à cet instant je suis en route pour Décathlon, prendre une nouvelle tente Quechua. Que j’aille à Lidl aussi, il me faut une casserole, des condiments, de l’huile, des grilles en alu, des bougies…il me reste de la beuh, du tabac et des feuilles. Ça fait des plombes qu’il fait un temps de merde mais maintenant que le soleil brille j’entends à nouveau le bruit du vent et des feuilles dans mes rêves.

J’aurai pu lui demander si elle voulait venir camper mais je sais déjà qu’elle m’aurait dit qu’elle voudrait rester seule, ce qui tombe bien vu que c’est aussi mon cas. Volonté de solitude…un point commun qui nous éloigne et nous rapproche en même temps.

Je traverse le quartier de la Blancherie, le parc et le pont du Robinson, je grimpe la petite pente encore un peu boueuse. L’été est sur nous, les arbres se sont épaissis, ça sent l’humus et l’ail des ours et de nouvelles branches et de nouveaux arbustes verdissent la forêt.

Je passe devant le “banc des amoureux”, nommé ainsi par la ville de Renens, il est en bois, recouvert d’une couche de peinture rouge et il est surtout particulièrement inconfortable. Dessus y’a un visage bombé au pochoir, comme y’a rien d’écrit d’autre, j’ai du faire une recherche sur Google, il s’agit d’un lycéen turque abattu par les flics durant une manif du 1 mai.

Plus haut j’arrive sur le petit parc où trône une petite fontaine, avant c’était une pyramide faite de cailloux, c’est toujours une pyramide mais maintenant, elle est faite de petites dalles de marbre blanc. Le jet d’eau est trop faible pour pouvoir remplir mes bouteilles vides mais on peut toujours utiliser le trop-plein pour faire la vaisselle ou mettre des trucs au frais; en l’occurrence des bières et des ailes de poulet…

Sur un des banc encore un pochoir du visage juvénile de l’ado martyr du MLKP ou bien était-ce le DHKP? Je m’en rappelle plus…

Je descends l’avenue de la piscine pour aller aux toilettes du cimetière, faudrait que j’aille saluer le jardinier et lui demander s’il peut laisser l’un des WC ouvert la nuit. Ça fait des années qu’un matin il est passé frapper à la porte de ma tente, il sait que je laisse pas traîner de déchets dernière moi, que je braconne pas et que j’éteins mon feu, il est sympa et plutôt compréhensif, et avant de partir il déverrouille les toilettes handicapés. Officiellement c’est pour me laver et me brosser les dents, officieusement c’est surtout pour aller fumer mon demi gramme d’héro avant de retourner pioncer.

Mes deux bouteilles d’1,5L sont pleines, retour dans les bois, avant d’arriver à mon campement, je passe devant un grand chêne, c’est l’arbre de Muriel…oui, précisément c’est son arbre, régulièrement elle vient lui parler, lui raconter ses joies et ses peines. Moi je suis son mec, lui c’est son arbre…à part ça j’ai rien à lui dire, je me contente de lui adresser un bref salut de la tête. Je suis arrivé…coincé entre deux arbres un troisième s’est déraciné pour ensuite se coincer entre les deux autres, c’est sous son tronc que je déplie ma tente, je me sers aussi de ce dernier pour m’exercer aux lancer de couteaux. Le rond de pierre que j’avais fait pour le feu est toujours là, je mets du son sur mon phone et mon enceinte, du punk; Rancid, Operation Ivy, The Distillers.
J’accroche mon drapeau rouge et noir siglé du A cerclé, histoire que les résidents n’oublient pas qu’ils sont dans une zone autonome où s’applique un socialisme libertaire et collectiviste.

La nuit est tombée, j’ai mangé des courgettes grillées et marinées à l’huile de sésame avec des ailes de poulet.
Je traverse le rideau de broussaille pour me poser au-dessus de la pépinière, le ciel est clair, on voit bien les étoiles. Je pense à Muriel, la douceur de sa peau, j’aime sentir ses seins se coller contre moi quand elle me prend dans ses bras.

Je regarde pas la météo, qu’il pleuve ou qu’il fasse gris, je m’en fous… j’ai décidé que demain il fera beau.

RIP mon papa 8 mai 1945 – 28 décembre 2013

Chroniques de Charclo

Bonjour papa,

C’est un peu bizarre mais je t’appelais jamais papa, je t’appelais Marc, ton prénom, je me souviens pas quand je j’ai commencé à t’appeler comme ça.
Je me souviens de nous deux, péchant au harpon, je me souviens de ton petit voilier et de nos promenades en mer, ces îles indépendantes où on devait montrer nos passeports avant de pouvoir accoster comme de ces îlots déserts où on pouvait se la jouer à la Robinson Crusoé.

Un jour on est allé pêcher, on a rien harponné, tu commençais à fatiguer, moi je voulais plonger une dernière fois…un dernier baroud d’honneur. J’ai vu des antennes sortir d’une cavité rocheuse, j’ai tiré; au bout de mon harpon : trois langoustes, lorsque je suis remonté sur le pont j’étais fier et toi aussi…ça se voyait dans ton regard, dans tes yeux.

J’ai 10 ans on quitte la Martinique, ma mère voulait vivre en métropole…moi pas, mais quand on est gosse on suit ses parents “Il y a de la neige et du chocolat en Suisse!”.

La neige j’ai pas aimé, c’est froid, ça fait des engelures, ça mouille, ça caille… Quand au chocolat, du haut de mes 10 piges j’ai bien remarqué qu’on vendait le même au Super U du coin…bon il fondait un peu plus vite au Vauclin. J’ai vite su que ce pays n’était pas le mien et qu’il ne le serait jamais.

La vie ici n’a pas été si noire et si ma mère était heureuse d’être en Suisse ou en France, je sais aujourd’hui que mon père ne l’était pas autant qu’il voulait nous le faire croire.

5 ans ont passé, j’ai jamais aimé les fêtes de fin d’année… maintenant je les hais, elles me rappellent ton dernier souffle.

Des fois je rêve des Antilles, je rêve d’eau salée, de sable…je rêve de ces langoustes empalées sur mon harpon et de ton regard empli de fierté.

Tu me manques.

31 décembre 2018 23h20

Voyage au bout de la nuit

Chronique de Charclo

(Interlude en mode flashback)

Manon est chez sa mère, elle m’a laissé ses clefs, histoire que je puisse dormir au chaud et qui plus est dans un vrai lit. Bon… après m’avoir trompé et foutu six ans de vie commune en l’air, c’est bien le moins qu’elle puisse faire…et pis, faut bien nourrir le chat.

Le problèmes c’est que je dors pas, j’y arrive pas… y’a trop de bordels dans ma tête. Je gamberge, je cir-convulse…mes pensées s’entrechoquent, mes convictions se cassent la gueule, une guerre civile se déroule sous mon crâne et mon sommeil en est un dommage collatéral…

Internet ne marche pas, et la télé semble se foutre de moi; entre les téléfilms de Noël, les énièmes documentaires sur l’aviation ou sur les nazis, des pubs me parlent de données numériques à stocker sur un Cloud, de frigos et de stores connectés, de crédit à 3% pour acheter une nouvelle cuisine. Vautré sur le canapé, je fume mon dernier joint, ressassant échecs et regrets.

Marre! Je mets mes fringues et reprends mon sac.

Avant de sortir je regarde le hall, ce n’est plus mon appart, ce n’est plus chez moi, c’est devenu…ailleurs. Je traverse le parc, ciel clair, les étoiles illuminent une nuit glaciale, je marche sur l’herbe blanchie par le givre.

Le voile noir est sur nos têtes, le linceul sous mes pas. Retour dans la rue, retour vers nulle part.

Renens, janvier 2016.

It’s a dawning of a new era* (Part 1)

Chronique de Charclo

“Sur une durée suffisamment longue, l’espérance de vie tombe pour tout le monde à zéro”
Je le sais car Tyler Durden le sait…Le concept de la vie en général, on passe de la joie la plus
bête à la tristesse la plus noire et ce, en une poignée de secondes, un simple SMS suffit.

Je l’ai reçu.
C’était elle.
C’était court.
C’était net et c’est mort.
Fait chier…

Au final je m’y attendais, l’amour est un succès, ça ne dure jamais longtemps. Deux jours, deux jours et même pas une nuit…est ce que ça aurait changé quelque chose? Fait chier…
Juste un regret de plus….allez mettez-le avec les autres! Oui dans l’entrepôt prévu à cet effet,
à côté du silo réservé aux projets foireux et aux idées sans avenir.

Début d’après midi, le ciel est gris et commence à pleuvoir, alors lequel de nous deux copie l’autre cette fois? Tandis que je traine mon spleen entre Denner et la Coop, les gouttes tombent sur ma capuche mais c’est son rire que j’entends, et au travers des flaques d’eau, c’est son visage qui se dessine, la tendresse d’un sourire, la douceur d’un regard, ce sentiment de bien-être lorsqu’elle était dans mes bras…
Fait chier…

C’était un peu trop beau pour être vrai, en fait je m’y attendais, le bonheur et moi étions des amis d’enfance, on s’est brouillé, depuis on se croise rarement, c’est dommage, je l’aimais bien, et lui aussi me manque.

“J’ai le plus grand mépris pour ceux qui raillent le suicide par amour, car ils sont incapables de comprendre qu’un amour irréalisable représente pour l’amant une impossibilité de se définir, une perte intégrale de son être. Un amour inassouvi ne peut mener qu’à l’effondrement”
Émile Cioran.

Hé, hé… sacré Cioran, où l’art de tout dramatiser à l’extrême, ce mec a dû recenser au moins mille raisons de mourir sans jamais avoir été foutu de passer à l’acte. Néanmoins je vous recommande “Les cimes du désespoir ” de ce dernier, un recueil de citation toutes aussi noires les unes que les autres, mais qui au final donne à réfléchir… et à relativiser.

Trois, quatre jours et autant de litres de cognac plus tard, Luna est retourné avec son mec, ça aussi c’était prévisible, c’est un peu comme les téléfilms qui passent l’après-midi sur M6, genre: “Liaison fatal”, “Passion mortelle”, “Innocence en danger”, on devine la fin avant même d’avoir vu le début. Peut-être… qu’à un moment j’y ai cru…ou…en fait non. Je savais très bien qu’elle me larguerait, tout comme je savais bien qu’elle se remettrait avec Tiago. Je regrettais de pas avoir couché avec elle, mais au final c’est mieux ainsi, d’un côte ou de l’autre il y aurait eu de la gène ou de l’animosité, alors que là on s’est vu les trois, histoire de mettre les choses au clair, c’est bon, c’est réglé. Tout est bien qui finit bien et tout le monde est content… enfin presque.
J’aurai pu écrire la fin, pas de surprise à ce niveau là, quand à ces jours passés avec elle, c’était plutôt sympa, on squattait chez un de ses potes, elle s’occupait de l’héroïne et m’aidait à faire la manche. Bref je devrais pas être triste…mais je le suis quand même, est-ce parce que je suis une tapette hypersensible? Un névrosé instable? Un junkie bourré d’alcool et de cachetons? Ou juste que c’est humain? Avant, j’avais une vision assez négative de mes semblables, depuis que je suis à la rue, j’ai remarqué que les gens sont nombreux à faire preuve de générosité et d’altruisme, certains font du bénévolat; aident à la soupe populaire, distribuent de la nourriture ou des vêtements à la Riponne, certains en font même leur profession; deviennent instituteur, éducateur, aide soignant en EMS, animateur de quartier…

Moi je suis une éponge, une éponge pour filles en pleurs…Mlle X et Mr Y ont rompu et c’est là que je me retrouve embarqué dans l’histoire, Mlle X veut rendre jaloux Y, l’oublier ou juste passer le temps. Plusieurs jours ou semaines plus tard X et Y se rendent compte qu’ils s’aiment et se remettent ensemble, moi mon taf est finit, je m’éclipse, disparais…on me rappellera lors de la prochaine engueulade conjugal. Je sais, c’est pas très valorisant comme secteur d’activité, mais dans la zone si y’a mieux, y’a aussi surtout bien pire.

Trois, quatre jours et autant de litrons plus tard. 21 heures! Non en fait c’est midi, je me suis endormi sur un banc et vois l’horloge à l’envers, le soleil cogne dur, c’est ce qu’il m’a réveillé.

À coup de mini-flashback je reconstitue la mâtiné; bière, cognac, Tranxilium, bière, cognac, tranxis, le banc… C’est crevant de se lever avec la gueule de bois, deux par jours, c’est épuisant.

À suivre…

* Dawning of a new era, the Coventry automatics

Éclater un chauffe-eau sur un môme…

Chroniques de Charclo 04:

Il est 2 heures du mat’, mardi, toilettes du Collège de la Plaine, Chavannes.

La veille au matin la flicaille a rempli courageusement son devoir en me virant du local technique que je squattais depuis quelques jours.

“Protéger et Servir” hein? Vous protégez qui en réveillant un galérien et en lui braquant une lampe torche dans les yeux ? Vous avez servi qui en me renvoyant dehors malgré la pluie et mes groles trouées ? Bref mon studio improvisé étant désormais fermé à clef j’ai du me trouver un autre abri pour la nuit. Pieds mouillés et fatigue aidant j’ai fais au plus simple, les chiottes publiques du Collège de la Plaine à Chavannes.

Comme bien des fumeurs de joint (merci Paulo pour la dépanne) je me rappelle rarement de mes rêves néanmoins dans celui-là il était question de racailles…de racaillons plus exactement, genre de bouffons qui s’imaginent que les trois bâtiments dans lesquels ils zonent sont une cité comparable à Sarcelles ou aux Minguettes.

Bon c’est vague, mais je me souviens de brides de conversation à base de “tema le shlag” “ziva cousin”, de coups de pied et du plus futé des trois qui s’est mis en tête de me pisser dessus. C’est à ce moment que j’ai réalisé qu’il s’agissait pas d’un rêve…

La panique aidant je me suis levé d’un bond, c’est là que j’ai remarqué que les branleurs que j’avais en face faisaient bien deux têtes de moins que moi. Le petit blondinet qui s’est retrouvé devant moi a aussi remarqué la différence de taille, d’ailleurs il me semble qu’il a tenté de dire un truc, peut-être des excuses…ou pas… L’autre truc que j’ai entendu c’est le bruit qu’a fait mon front lorsque qu’il a percuté le sien, ensuite les cris de fillette de ses deux potes lorsque dans la pénombre, ils m’ont vu marteler la gueule de blondin à grands coups de chauffe-eau…

Je me souviens pas de combien de fois j’ai cogné, je ne pense pas être quelqu’un de violent mais même Bouddha aurait aussi pété un câble en pareilles circonstances. J’ai vite pris mon sac, mes chaussures, poussé les deux apprentis youvois et couru un moment avant de reprendre mon calme et ma route direction la gare. En chemin j’ai croisé des flics, leur voiture à l’arrêt était à côté d’une poubelle plastique qui terminait de se consumer, je m’attendais à me faire contrôler mais non ce n’était pas moi qu’ils cherchaient ..ils m’ont demandé si je n’avais pas vu un groupe de gamins courir, je les ai balancé sans aucun remord!

– Oui y a quelques minutes ils étaient vers le Collège de la Plaine.

Les schmids sont remontés dans leur voiture et ont tracé dans la direction indiquée. Je me suis assis quelques minutes, trop énervé pour me rendormir, j’ai fais demi-tour, je voulais savoir ce que les trois morveux devenaient. En chemin j’ai croisé les keufs, deux voitures cette fois et mes courageux agresseurs étaient dans la deuxième.

Devant les toilettes j’ai retrouvé ma bouilloire, en morceaux et poisseuse de sang.

Résultat des courses: je ne peux plus me faire de café ou de thé, mes fringues sont trempés, et, complètement crevé j’ai passé la journée à dormir debout.

Je sais pas si on peut trouver une morale à cette histoire…

Lili

Petit préambule:
J’anticipe certaines réactions: “C’est quoi cette merde? Où sont les bastons entre ivrognes? Où sont les alus cramé dans les chiottes publics et les litres de bières gerbés sur des docs usés?”
C’est les chroniques de Charclo ou Martine à la ferme?
Ok c’est un peu fleur bleue mais bon c’est comme ça.
A la base la première fois que je l’ai écrit, ça a fini à la poubelle avant que je la récupère pour la mettre dans ma pile de papelard. Puis suite à un coup de téléphone, j’ai récupéré le brouillon, bossé dessus plusieurs heures, je l’ai affiné, affûté, raccourci puis mis au clair.
Quand à Lili, vu qu’elle est plus télégramme que FB, je lui envoyé le texte par mail. Ça lui a beaucoup plu et elle m’a laissé le publier.
C’est pas du Charclo, ça c’est sûr…voyez juste ça comme un exercice de style, pas évident à faire mais je trouve que m’en suis bien tiré .
En tout cas j’attends vos critiques positives comme négatives.
A plus.

Chroniques de Charclo:

Lili

Cet épisode se passe en France, plus précisément à la campagne, chez ma mère, il y a environ deux ans…

Lorsque j’ai franchi la porte de la poste où tu taffais, un vieux faisait son boulot de vieux en prenant un max de temps à te faire perdre le tien. Dans la file y avait un autre vieux, impatient à l’idée de se plaindre de la baisse du livret A ou du prix des timbres. Moi, je venais juste porter un courrier de ma mère.

À peine entré tu m’as salué d’un “- Bonjour vous devez être le fils A.? Vous allez bien?” Faute professionnelle N°1: ensuite tu passas du vouvoiement au tu. “-Toutes mes condoléances pour ton papa, il était très gentil”, “- Heu merci” (merci aussi de rouvrir une plaie encore vive et ça fait déjà 2 fautes professionnelles) tandis que le dernier client était à ton guichet, tu m’as lancé l’air de rien “-Et sinon tu as bien reçu les colis que ta maman a envoyé quant t’étais en prison?” (Et de 3!).
Ce fut mon tour d’être face à toi, si mon sourire était forcé le tien irradiait de chaleur, tes yeux verts brillaient comme de l’opale. J’étais le dernier client, tu savais déjà mon nom et me dis le tien d’une voix si douce qu’on aurait cru que le vent me le soufflait: Amélie.  Deux, trois banalités plus tard, tu me racontais que toi non plus tu n’étais pas du coin mais de Lyon.  J’ai sorti un compliment foireux, genre “-Je me disais aussi que t’étais trop belle pour une bressane”. Pas l’habitude d’aborder une fille, je devais avoir l’air gêné mais pas autant que toi qui as rougi et glousssé comme une gamine.
Je t’ai filé le papier de ma mère, t’ai dit que j’allais boire une bière dans le parc en face et t’ai proposé de venir me rejoindre. Sans hésitation tu m’as répondu que tu finissais dans 5 minutes. Je savais pas quoi te prendre alors j’ai pris un Oasis et deux Kro.
On a parlé de tout et de rien…du village, des plantes, des hirondelles, de l’air affectueux des vaches…une heure plus tard on se tenait la main.
Quand on s’est revu dans la soirée, on a fait des ricochets sur la Griotte et cueilli des mûres. Arrivé devant chez toi, je t’ai pris par la taille et embrassé.

La nuit suivante on échangea plus que de la salive. Tu étais belle (tu l’es toujours rassure toi!) une odeur de vanille, un corps fin, une peau laiteuse, des cheveux roux presque écarlates, j’aurais passé la nuit à compter tes tâches de rousseur.
Belle et gentille…Le premier hic: c’est que tu me semblais tellement…heu comment dire sans être méchant, disons “pas très futée”.
L’autre problème venait de moi: question relations humaines je suis complètement à côté de la plaque. Une psy m’avait donné son diagnostic en ces mots: “- Concernant vos relations avec les autres vous êtes à la limite de l’autisme” en clair ça veut dire que je comprends pas trop ce que me veulent mes semblables, il faut qu’une femme se déshabille devant moi pour que je me dise “tiens, je dois lui plaire”. Et encore la dernière fois j’ai téléphoné à la Fac de médecine pour savoir si j’avais pas passé un doctorat sans m’en rendre compte et si je pouvais avoir des relations sexuelles avec ma patiente. Réponse : négative…dans les deux cas!
J’avais à peine raccroché que je l’ai entendu claquer ma porte et courir dans l’escalier. Note pour plus tard: il n’y a qu’au cinéma que la jolie fille craque pour le malade mental.
Cette fois ça s’est passé naturellement, facilement…tellement facile, qu’à un moment je me suis demandé si un ami perdu de vu avait engagé une escort girl pour me remonter le moral et éviter potentiel suicide… Ben non t’étais juste une belle fille à qui je plaisais et réciproquement.

Et encore une fois j’ai tout foiré…Je commençais à comprendre les différences entre aimer passer du temps avec toi et être amoureux, j’ai fini par piger que toi tu m’aimais. Tu m’aimais d’un amour aussi pur, qu’inconditionnel, alors que moi de mon côté j’aimais nos étreintes, j’aimais passer du temps avec toi…mais seulement un peu. En fait au bout de 12 heures ça me devenait difficile de supporter nos différences.
La beauté et l’intelligence, on peut pas tout avoir…Moi par exemple quand j’étais bébé une fée s’est penchée sur mon berceau, elle était foncdé, elle a vomi dedans, résultat je suis pas spécialement beau, n’ai aucune qualité mais une putain de résistance aux drogues.
Je m’égare…mais bref je m’étais promis 4 choses: Ne pas lui faire de peine, ne pas profiter d’elle, ne pas lui mentir et lui être fidèle.

Si j’ai foiré la quatrième, au moins j’aurais tenu la troisième.
Un jour tu m’as appelé depuis la France, ta voix étais dure, c’était la première fois que je te sentais énervée. T’avais trouvé mon compte Facebook et voulais savoir pourquoi je t’avais dis que je n’en n’avais pas.
Ce jours là j’ai craqué. Je ne voulais justement pas te mentir alors je t’ai dit la vérité: que je voulais pas te parler sur messenger.
Elle:  ” -Pourquoi?”
Là j’ai du te crier, te hurler même: à savoir que tu étais la fille la plus stupide, la plus malléable, la plus conne, la plus influençable que j’avais connu…
Elle entre deux sanglots: “-C’est vraiment ce que tu penses de moi?”
Moi: “- Heu oui c’est ce que je pense mais je voulais pas te le dire. Par contre je veux aussi te dire…”
Merde elle a raccroché.
Je voulais aussi te dire que j’aimais ta douceur, que je respectais ta foi et les principes qui allaient avec, que tu ne m’avais jamais jugé ni critiqué…
Alors que je tournais en rond mon portable à la main, je prends soudain conscience qu’au final j’étais trop orgueilleux pour l’avouer et qu’en fait je l’aimais. Si c’est pas le cas alors pourquoi ce pincement au coeur? Merde un infarctus! Non c’est juste mon coeur qui se brise…

La semaine suivante j’ai pris le TGV, pas de ticket, pas de papier Schengen pour ma métha, arrivé à Dole, autostop jusqu’à Louans, vélo volé jusqu’à Mervans. Je suis devant sa poste, je rampe sous la fenêtre, un coup d’oeil, oui c’est elle et non sa collègue. L’office ferme dans 30 minutes, un gamin gare sa 125 et entre, il a une gueule à se nommer Kevin, à écouter du Jul et être fan de tuning. Non! Dites-moi pas qu’elle m’a remplacé par ce truc! Ok je suis pas un mec bien, mes péchés s’accumulent mais là, la punition est trop sévère…ouf je le vois sortir un paquet à la main avant de remonter sur sa monture en me regardant d’un sale oeil, à vrai dire c’est le regard que me jettent tout les fachos de ce bled à la con. Elle sort…cloué sur place, je peux plus bouger, c’est comme une apparition, elle s’avance, ne m’a pas encore vu, sort un paquet de clope et s’en allume une. Tiens! Ça c’est nouveau et je dois y être pour quelque chose.
Elle me voit, s’avance puis s’arrête à un mètre de moi…
” – Lili (c’est la première fois que je l’appelle ainsi)…je suis désolé…je suis qu’un connard et je t’ai traité comme une merde…je voulais juste que tu saches que tu es importante pour moi…”
Elle me coupe: – T’es passé chez ta mère avant de venir?
– Non je suis passé par Louans
– Tu veux passer chez elle avant?
– Non, je suis venu pour te voir

Machinalement on s’est dirigé vers l’étang, en silence, tu as pris ma main.
Chez toi j’ai fait une omelette au fromage avec des champis, perso j’aime pas mais comme toi t’adores…
3 heures du matin, on a fais l’amour 2 fois. La deuxième elle a jouit coup sur coup, me serrant à m’en casser les vertèbres, plantant ses ongles dans mon dos. Là elle est à plat ventre, elle ronfle et bave sur son oreiller mais elle est si belle…je retire lentement sa couverture, lui caresse le dos de mes deux doigts, elle frissonne, je caresse ses fesses, elle se tourne, m’embrasse, je passe ma main sur son sein, descends, elle écarte ses jambes, elle gémit, mouille, je me remets sur elle, la pénètre lentement…une union brève mais intense, on jouit en même temps, sa petite main serrant la mienne.

Un peu plus tard elle sort des toilettes, nue, belle et c’est d’une démarche gracieuse qu’elle vient se coucher, sa tête sur mon épaule, son bras m’enlaçant… Un instant de bonheur que j’aimerais mettre dans une boîte que j’ouvrirais à chaque baisse de moral. En fait cette boîte c’est ma mémoire, et ça me suffit.

Il y a 10 jours:
Ma situation administrative se règle. Après des semaines de dénuement et d’angoisse, je vois enfin le bout du tunnel et j’ai enfin reçu mon RI (la moitié, désormais c’est toutes les quinzaine). Mais voilà quitte à looser autant le faire à fond, du coup j’ai paumé ma Postcart le jour ou j’avais touché mon fric…ma carte me revient mais à la mauvaise adresse, un formulaire de perte et un changement d’adresse plus tard… j’attends! Cette nuit j’ai pioncé chez Giovani, bien dormis d’ailleurs, 22h-12h sans intermittence. On sort, je l’accompagne à la banque, il exulte, il a reçu ses tunes. Moi aussi mais c’était y a 2 semaines et peux pas y toucher, énervant? Non plus que ça. J’ai pas trouvé de mot assez dur dans le dico pour exprimer ma frustration. Giovani me donne un billet, avec le reste de monnaie d’hier j’ai dans les 30.-

Premier achat : une fiasque de cognac, premier vol: des sachets de café. Petit-dej’ à coup de gniole, de Stilnox et de méthadone. Je remarque que j’ai rien pris la veille et que je me sens pas en manque, c’est marrant depuis que je suis à la rue je consomme beaucoup moins.
De deux : nourrir mon phone. 10 balles, tiens avale ça raclure! Bon déjà j’appelle ma mère, histoire de lui dire que je vais bien et qu’elle ne s’inquiète pas (dans la bible on parle de “pieux mensonge”). Ensuite, la Poste: prise de tête, incompréhension et dialogue de sourds… bref mon correspondant me jure que je recevrais un nouveau NIP dans les 48h et une nouvelle carte dans les 2 a 4 jours bref encore une bonne semaine sans un rond.
De trois: après une courte hésitation je joins Amélie.
– Salut ma jolie, ça va? (reste du dialogue privé) je lui raconte mes péripéties et lui demande si elle peut m’envoyer 50 euros en courrier A.

Deux jours plus tard je n’ai reçu ni mon NIP, ni ma carte mais une enveloppe venue du 71, à l’intérieur, le “monde libertaire”, l’hebdo de la fédération anarchiste, planqué entre les pages 150€.
Un jour tu m’avais dit de croire aux anges gardiens, je m’étais foutu de ta gueule, ben j’avais tord une fois de plus.
Ma belle renarde, mon ange, ma belette, ma Lili…

Ma meilleure amie.

 

Chroniques de Charclo:

Ma meilleure amie

Jeudi 7 janvier. Mon cul et moi sommes assis au resto de la Migros, les jours se suivent et se ressemblent, enfin pas tout à fait : je n’ai plus de tablette, je n’ai plus le moral non plus et c’est d’ailleurs lié.

La veille vers midi j’ai corrigé et publié ma dernière chronique. Après je me suis endormi, assis, la tête dans mes bras croisés, j’ai du dormir 45 minute, voir une heure.

Ensuite je suis allé faire des trucs et des machins… Le genre de trucs que font les zonards et les SDF. Je pourrais être plus précis mais j’ai pas envie de parler boulot.

Je me suis rendu compte qu’il me manquait quelque chose, je retourne au resto en courant.
Je l’ai cherchée, ma fidèle amie. J’ai demandé aux serveuses si elles l’avaient vu… ben non.

Ma jolie Sony Xperia…elle est plus là.

Soit on me l’a volé quand j’étais dans les limbes, soit je l’ai oublié en partant. Mais ça j’arrive pas à y croire, elle était ce que j’avais de plus précieux…Oui tablette je parle de toi! Je tenais à toi plus que tout! Comment aurais-je pu te laisser seule? On n’oublie pas sa femme au McDrive, alors non je te jure que ne t’ai pas abandonnée.

J’ai passé par les différentes phases du deuil: le choc, la colère, le déni puis la tristesse. Après y en a d’autres, la reconstruction étant la dernière phase mais je crois que je vais me contenter de rester triste, ça je le fais bien…

Ma tablette c’était ma musique, mes films, mes séries, mes jeux Android mes Ebooks, bref tout ce qui me permettait d’occuper ces putains de journées interminables.

Ce qui me chagrine le plus, c’est tout je que j’avais écrit. Et j’en ai écrit des trucs…des histoires plutôt courtes et relativement mal écrites genre : délires u-chroniques, post-apo à la Fallout et autres tentatives de SF foireuses. Souvent je me disais qu’il faudra un jour les peaufiner, en faire quelque chose de bien, de beau, bref de lisible…bon ben tant pis.

J’avais écrit pas mal de textes politiques aussi. Entre les slogans anars et les brûlots nihilistes improbables, y’avais quand même quelques trucs qui tenaient la route, sur l’économie, sur la dialectique, la religion, l’anarchisme bref ça aussi pour que dalle…

Et y avais aussi des poèmes. Que j’avais pas l’attention de publier parce que c’était personnel; des rimes sur mon ex, sur mon défunt père, sur moi-même…tout ça c’est perdu, foutu, écrit pour rien…

Peut-être que ce soir pendant que je greloterais dans le parking de la Coop, le bâtard qui m’a volé ma fidèle compagne, les lira tranquille sur son canapé en attendant le repas que lui prépare sa femme.

J’essaye de ne pas y penser, ça me donne envie de pleurer et de vomir en même temps…