Chroniques de Charclo
Bonjour papa,
C’est un peu bizarre mais je t’appelais jamais papa, je t’appelais Marc, ton prénom, je me souviens pas quand je j’ai commencé à t’appeler comme ça.
Je me souviens de nous deux, péchant au harpon, je me souviens de ton petit voilier et de nos promenades en mer, ces îles indépendantes où on devait montrer nos passeports avant de pouvoir accoster comme de ces îlots déserts où on pouvait se la jouer à la Robinson Crusoé.
Un jour on est allé pêcher, on a rien harponné, tu commençais à fatiguer, moi je voulais plonger une dernière fois…un dernier baroud d’honneur. J’ai vu des antennes sortir d’une cavité rocheuse, j’ai tiré; au bout de mon harpon : trois langoustes, lorsque je suis remonté sur le pont j’étais fier et toi aussi…ça se voyait dans ton regard, dans tes yeux.
J’ai 10 ans on quitte la Martinique, ma mère voulait vivre en métropole…moi pas, mais quand on est gosse on suit ses parents “Il y a de la neige et du chocolat en Suisse!”.
La neige j’ai pas aimé, c’est froid, ça fait des engelures, ça mouille, ça caille… Quand au chocolat, du haut de mes 10 piges j’ai bien remarqué qu’on vendait le même au Super U du coin…bon il fondait un peu plus vite au Vauclin. J’ai vite su que ce pays n’était pas le mien et qu’il ne le serait jamais.
La vie ici n’a pas été si noire et si ma mère était heureuse d’être en Suisse ou en France, je sais aujourd’hui que mon père ne l’était pas autant qu’il voulait nous le faire croire.
5 ans ont passé, j’ai jamais aimé les fêtes de fin d’année… maintenant je les hais, elles me rappellent ton dernier souffle.
Des fois je rêve des Antilles, je rêve d’eau salée, de sable…je rêve de ces langoustes empalées sur mon harpon et de ton regard empli de fierté.
Tu me manques.
31 décembre 2018 23h20
Merci pour vos textes.
Salutations de Berlin
Arrivé sur ton texte adressé à ton père complètement par hasard (mais le hasard existe t-il ?) et interpellé par ce “mon papa” qui me parle tellement. Pour ma part je l’appelais par ce diminutif que les petit-enfants donnent à leurs grands parents et maintenant, quand je lui parle, je reprends ces mêmes mots : “mon papa”.
J’ai vécu moi-même 2 ans en Martinique dans ma jeunesse. C’est surprenant ces similitudes parfois entre 2 étrangers …
Profondément touché par cet instantané de vie et de souvenir que tu as su lui écrire. Autre similitude à la lettre que j’ai écrite à mon papa à moi et qu’il porte dans la poche intérieure de sa veste pour l’éternité.
RIP ton papa
RIP mon papa
Le temps ne soigne pas, les mots non plus . Seul le silence porte un mystère qui s’habille de paix mais la paix a une signification différente pour chacun. Nous pouvons juste mélanger nos silences et attendre que ça passe, tout en sachant que ça ne passera pas, ou oui, mais jamais complètement…vivre est aussi difficile que se taire…
j’allais vous dire: ” bonne vie” mais nous savons que ce ne sont que des mots , d’un son concave et vide..
alors je vous souhaite un de mes silences…et je me prends un des votres . ..