Accord-cadre: la Suisse n’en veut pas

Invité dernièrement à se prononcer dans une conférence à distance sur l’avenir des relations entre la Suisse et l’Union européenne, le nouvel ambassadeur d’Allemagne en Suisse, Monsieur Michael Flügger, s’interrogeait sur les intentions réelles du gouvernement fédéral à l’égard de l’accord-cadre. Sans surprise, sa question resta sans réponse. Aucun de ses interlocuteurs ne saisit la balle au bond, de peur de commettre un faux pas diplomatique, contraire aux bons usages du langage policé en vigueur dans les milieux de la politique internationale.

En l’occurrence, cette sphère du non-dit n’a plus lieu d’être. Le temps est venu d’exprimer tout haut ce que la majorité pense tout bas : la Suisse ne veut pas de l’accord-cadre. Gênée aux entournures pour se sortir d’une situation à laquelle elle regrette d’avoir apporté son concours, la Confédération a de plus en plus recours à des artifices rhétoriques, juridiques ou économiques pour se retirer des pourparlers avec la Commission européenne. Ne voulant pas assumer seule la responsabilité de l’échec éventuel des négociations, elle se plaindra alors du manque de compréhension dont ses interlocuteurs auraient fait preuve à son égard.

Le scénario n’a rien d’original. Si l’accord-cadre ne voit pas le jour, ce sera la faute de l’UE. Ayant adressé une fin de non-recevoir aux demandes de la Suisse, elle sera accusée de tous les maux par Berne pour ne pas avoir respecté la volonté populaire, pour avoir enfreint les règles élémentaires de la souveraineté, voire pour avoir voulu imposer sa bureaucratie sur tout le territoire helvétique. Cela sonne comme un disque rayé et n’impressionne pas le moins du monde une Union européenne qui ne se fait plus guère d’illusions sur le prétendu esprit de conciliation du Conseil fédéral.

Ne tirant visiblement aucune leçon des difficultés que la Grande-Bretagne rencontre dorénavant avec la mise en œuvre du Brexit, la Suisse se satisfait dans son attitude réfractaire et se cantonne à ses demandes de clarifications. Toutefois, personne n’est dupe. Rétorquant à bon escient au Conseil fédéral qu’il est assez grand pour clarifier par lui-même un texte auquel il a pourtant souscrit, l’UE aura beau jeu de le rappeler à ses obligations.

De fait, la Suisse ne veut pas endosser l’échec de l’accord-cadre. À la recherche tous azimuts de boucs émissaires, elle accuse non sans raison les syndicats sur le plan intérieur et la Commission sur le plan européen. S’appropriant le vieil adage, selon lequel c’est toujours la faute des autres, elle croit se tirer d’une affaire qui, pour plus longtemps que bon lui semble, risque de l’embourber dans ses propres contradictions. Berne oublie tout simplement que la Confédération n’est pas la seule maître du jeu et que l’UE n’attendra pas éternellement une solution qui puisse lui convenir.

Courroucée par l’interprétation donnée par la Suisse suite au refus de l’initiative de limitation du 27 septembre dernier, l’Union européenne sait désormais que la Confédération helvétique n’a plus qu’une seule idée en tête : celle du maintien in extenso et pérenne des accords bilatéraux. En toute logique, l’adoption d’un accord-cadre contrevient alors aux plans échafaudés depuis quelques semaines dans les travées du Palais fédéral. Cela explique aussi la mise à l’écart du secrétaire d’État Roberto Balzaretti, prié de se refaire une santé sur les bords de la Seine, le dessaisissement du dossier européen du Département fédéral des affaires étrangères au profit de celui de justice et police et l’absence d’un calendrier précis pour entamer de nouvelles discussions avec Bruxelles.

Peut-être jamais autant divisée depuis « le dimanche noir » du 6 décembre 1992, scindée en deux à l’exemple du résultat du vote sur les « multinationales responsables » du 29 novembre dernier, en proie à de sérieux conflits culturels et politiques entre ses régions linguistiques, mais aussi et surtout entre ses villes et ses campagnes, confrontée à l’éclatement de ses partis bourgeois et du centre de même que tiraillée au plus haut niveau pour élaborer une stratégie efficace contre la Covid,  la Suisse veut faire de l’Europe son champ de bataille pour retrouver une part de son pouvoir de décision, voire de sa souveraineté nationale. Elle en a parfaitement le droit. Tout comme l’Union européenne a aussi le droit de mettre fin à l’accès suisse à son marché intérieur, car comme tout chat échaudé qui craint l’eau froide, elle serait aussi en mesure de sortir ses griffes à l’encontre d’un pays qui, à vouloir toujours jouer perso, pourrait à plus ou moins brève échéance se retrouver sur le banc de touche.

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

31 réponses à “Accord-cadre: la Suisse n’en veut pas

  1. Je suis dans le camp opposé au vôtre sur cette question européenne, mais je dois dire que cet article est vraiment très intéressant et me fait très plaisir. En effet, si je vous comprend bien, nous vivons un moment de bascule où ENFIN le gouvernement suisse commence à mettre les pieds contre le mur pour éviter à la Suisse ce satané accord cadre. Bien sûr, il le fait pour les mauvaises raisons ; il le fait hypocritement, en se reniant par rapport à trente ans de servilité honteuse envers Bruxelles, en mettant la faute dur les autres alors que c’est aussi sa faute. Mais, de mon point de vue, c’est égal. C’est le résultat qui compte. Il faut que cet accord cadre passe à la trappe et finisse dans les poubelles de l’histoire.

    Depuis trente ans les gens comme moi avons vécu dans l’angoisse d’une adhésion sournoise de la Suisse à l’UE en contournant l’opposition populaire. J’ai vraiment vecu dans la hantise de me lever un beau matin alors que pendant la nuit la Suisse aurait perdu sa souveraineté parce que Micheline Calmy-Rey ou Didier Burkhalter auraient signé un énième traité technique non soumis au référendum, qui en soi parait anodin mais qui s’ajoutant à tant d’autres traités semblables, scellerait notre destin en rendant irréversible le transfert de souveraineté.

    Pendant trente ans j’ai été révolté, horrifié d’avoir le sentiment que nos autorités officielles nous trahissaient et faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour céder notre liberté contre la volonté du peuple suisse… Imaginez mon soulagement, et mon espoir, quand je lis sous votre plume qu’apparemment, le monde politique suisse majoritaire, enfin ! sentant que le peuple suisse rejetait massivement cet accord cadre, aurait compris qu’il risquait trop en s’obstinant à vouloir contourner l’opposition populaire et accepte de renoncer à leur desir d’adhésion sournoise et faire à ce projet scélérat d’accord cadre sur la cession définitive des libertés helvétiques, un enterrement sans fleurs.

    Je ne suis pas sûr que çe que vous dites est vrai. Je ne suis pas encore tout à fait rassuré. Je me méfie encore. Mais votre article me remplit d’espoir. Vous m’enlever un poids tres lourd qui me pesait sur le coeur. Merci.

    1. Cher Monsieur,

      Vous êtes soulagé par mon analyse.
      Les nôtres peuvent se rejoindre dans la méthode, mais pas dans leurs conclusions.
      Bien à vous.
      GC

    2. Quelques mises au point:
      1/ Rien ne se fera “contre la volonté du peuple suisse”, notre Constitution ne le permet pas.
      2/ Lorsque les conséquences de notre “splendide isolement” se feront pleinement sentir si nous (re)devenons un pays complètement tiers vis-à-vis de nos voisins et principaux clients et fournisseurs, je ne suis pas sûr que ce même peuple suisse ne change pas assez rapidement d’avis sur la question de l’adhésion à l’UE. Les Suisses sont par nature pragmatiques plutôt qu’idéologues.
      3/ Si l’UE n’est certes pas parfaite (la Suisse l’est-elle?), elle représente cependant une avancée significative qui a permis (enfin) à notre continent de vivre une période d’une durée jamais connue auparavant sans conflits majeurs et dans une prospérité que beaucoup lui envient.
      4/ Je ne sais pas de quel canton vous êtes M. “Tachles”, mais est-ce qu’un Vaudois par exemple trahit sa “patrie d’origine” s’il se sent et déclare suisse (bien que la capitales soit celle de l’ancien “occupant” 🙂 ) ?! De même, nous sommes européens, par la géographie, l’histoire, la culture, les langues principales, etc., et nous pouvons être (et, en fait, sommes) ET suisses ET européens sans trahir ni l’une appartenance ni l’autre!

      1. Merci pour votre commentaire.
        En effet, il est toujours facile de s’isoler…Sauf qu’à force, l’isolement ce n’est pas drôle du tout…parfaitement déprimant !
        GC

    3. Vous dîtes que vous avez angoissé pendant 30 années, soit. Vous êtes peut-être un inquiet de nature.

      Mais aucun argument concret et factuel en quoi cette adhésion aurait pu être cauchemardesque pour vous alors que des xebtaines de millions de citoyens le vivent trps bien, y compris dans des pays teès semblables à la Suisse.

      Être cintre l’Eurooe, soit… Mais l’extravagance du vocabulaire employé laisse pentois.

  2. Bah, la Suisse a été trop gâtée d’échapper aux guerres, non grâce au Général Guisan, mais grâce à ses banquiers.
    Elle croit encore survivre grâce à sa constitution de 1848, bon, dont acte.

    Les prédateurs sont en action et les UDC en rémission 😉
    Mais on trouvera toujours des avocats de haut vol, pour voler, ne serait-ce que nos Alpes, bonne chance 🙂

    1. Cher Monsieur,

      En effet, la Suisse se comporte une nouvelle fois comme un enfant gâté…sans toujours mesurer les conséquences de son attitude.
      GC

  3. Pourquoi tant de haine envers la suisse ? Je me réjouit plutôt que le fédéralisme et le droit populaire puissent s’exercer en Suisse, ce qui bien sur freine le Conseil Fédéral dans ses désisions. Ce n’est évidement pas toujours le cas en Europe, surtout si on lorgne vers certains pays à l’Est du continent. Et si le peuple Suisse ne se sent pas pourser des ailes à vouloir se raprocher de l’Europe, c’est peut-être que celle-ci nous renvoie l’image d’un mauvais Vaudeville plutôt celle d’une architecture solide et sereine.

    1. Cher Monsieur,
      Défendre la Suisse, c’est aussi et surtout d’ouvrir les yeux et de ne pas rester fidèle à la mentalité du réduit.
      La Suisse est l’objet de critiques justifiées. Les ignorer ne serait que faire le jeu d’une Suisse en position de faiblesse. Ce n’est pas celle-ci que je désire.
      GC

  4. Je partage votre analyse. J’ai été en poste en Israël (Tel-Aviv). Une comparaison me vient à l’esprit à la lecture de vos lignes. La Suisse se sert de l’UE, comme Israël de ses voisins arabes, pour maintenir un semblant d’unité entre les différentes composantes antagonistes qui la divisent comme jamais, telles que vous les identifiez très à propos. Nous n’avons pas encore fait le deuil de la fin de la guerre froide dont nous avons été l’une des principales victimes avec…..l’URSS!

    1. Vous avez parfaitement raison. Je retrouve là votre sens des relations internationales et européennes.
      GC

  5. Etre maître chez soi ne signifie pas que l’on se comporte comme un enfant gâté c’est tout simplement vouloir décider . Vouloir imposer ses normes et sa bureaucratie, entre autres, signifent que l’on n’a que faire de la démocratie (Forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple). En ayant une plus grande intégration, la Suisse perdrait toute souveraineté.

    1. Vous avez entièrement raison. Les Britanniques ont exercé leur souveraineté avec le Brexit. À eux seuls d’en payer le prix! Si vous voulez que la Suisse paye un prix analogue ou supérieur, vous êtes totalement en droit de le faire. Mais, c’est vous qui porterez les conséquences de votre choix. Pas l’Union européenne…qui s’en amusera.

  6. Le temps dira qui s’en sortira le mieux. Votre approche n’est dictée que par la peur et non par l’adhésion. La Suisse a également des moyens de pression vu qu’elle absorbe une partie du chômage de l’UE. De plus, la Suisse a un déficit commercial avec ces quatre voisins (source : https://www.gate.ezv.admin.ch/swissimpex/public/bereiche/waren/result.xhtml; période du 1 1 2020 au 31 10 20). Elle pourrait également diversifier son approvisionnement là où cela est possible. Par ces deux exemples, l’UE a intérêt à avoir un voisin prospère qui lui achète beaucoup et qui traite son chômage à sa place.
    Vous porterez toute la responsabilité de la paupérisation grandissante de la population en choisissant d’adhérer à l’UE.

    1. Les propos excessifs ne servent à rien.
      Après 1992, les patrons suisses sont allés crier misère auprès de l’Union européenne!

          1. Aucun rapport avec le début de nos échanges !!! Par million d’habitants les décès sont de 838 pour la France, de 974 pour l’Italie, de 223 pour l”Allemagne, de 416 pour l’Autriche et de 610 pour la Suisse. (Source : https://www.worldometers.info/coronavirus/). Les résultats sont divers et on voit bien qu’une quelconque appartenance à l’UE n’influencent pas le nombre de décès et ne sont pas liés.

          2. Depuis le premier traité (CECA en 1951) européen bonnes âmes ont parlé d’un “mort-né”. Entre-temps, ce sont eux qui, pour la très grande majorité d’entre eux, sont morts.
            Je vous souhaite néanmoins longue vie!
            GC

    2. On ne parle pas d’adhésion, mais d’accord-cadre.
      Il y a un moment où, le CF ne peut plus se défiler et tergiverser, depuis tant d’années.

      La Suisse a d’excellents atouts à mettre dans la balance, par exemple le Gothard, le réseau connecté électrique, etc., mais on ne peut envoyer des négociateurs sans arrêt, pour ensuite faire marche arrière en voulant toujours plus!

      1. En effet, le bal des négociateurs pourrait être très mal perçu par les interlocuteurs de la Suisse.
        GC

  7. Je suis quotidiennement,depuis la Suisse(val d’Hérens) et l’Espagne la “politique” de votre pays,et j’ai lu pas mal de “Histoire de la Suisse” de maints auteurs.J’y ai commencé le 9 fevrier 2014…
    Pour être bref,je pense que il n’aura pas un accord entre l’UE et la Suisse qu’après un “Sonderbung comercia
    Merci d’oser montrer au grand jour votre point de vue dans un pays dont les MEDIAS RELAIS sont d’une écrassante majorité

  8. Plusieurs commentateurs parlent d'”enfants gâtés” à propos de ceux qui ne veulent pas céder la souveraineté de la Suisse. Il y a aussi ceux qui espèrent secrètement des représailles terribles de l’UE contre la Suisse, pour la punir de sa volonté d’indépendance. Et ils espèrent que, voyant le prix à payer pour être indépendants, le Suisses viendront se prosterner devant les exigences de Bruxelles. On connaît la chanson. Il a aussi ceux qui disent que les pays membres de l’UE sont assez satisfaits de ce sytème, alors pourquoi faire des chichis.

    Permettez moi de répondre courtoisement à ces personnes que c’est apparemment la majorité, en Suisse, qui pense comme moi.

    En fait, il s’agit tout simplement de patriotisme et de tres anciens réflexes politiques helvétiques.

    Nous tenons à notre indépendance, car nous n’aimons pas que des puissances étrangères décident à notre place. Bien sûr, au cours de notre déjà longue histoire, nous avons toujours dû nous arranger avec plus puissant que nous. Mais c’est très différent de trouver un modus vivendi en restant souverain, ou d’avoir des règles décidées à l’étranger qui s’appliquent automatiquement chez nous.

    L’accord cadre, cela signifierait que toute l’évolution du droit européen devrait s’appliquer automatiquement chez nous, et en cas de divergence ce serait la jurisprudence de la Cour Europeenne de Justice qui trancherait. On a essayé d’enrober cette triste réalité dans des emballages trompeurs, comme en parlant de “reprise dynamique”, mais heureusement les Suisses ne se sont pas laissés prendre à ce baratin.

    Une telle subordination de notre ordre juridique à une ordre juridique étranger, dominateur et impérialiste, visant la Gleichschaltung de toutes les normes au plan continental, impliquerait nécessairement la fin de notre démocratie semi directe. Car une votation populaire qui irait à l’encontre d’une directive européenne serait nulle et non avenue. Tout le monde le sait.

    Il y a une majorité écrasante de nos compatriotes qui ne veulent pas de ça. Heureusement, le Conseil fédéral a fini par en prendre conscience et en tirer les conclusions (si Mr Casasus dit vrai, et je demande encore à voir). Il a vraiment été long à la détente, le Conseil fédéral. J’aurais préféré qu’il ait plus de dignité et dise à Bruxelles dès le début, que la reprise automatique du droit européen était totalement exclue dans tous les cas de figure. Mais peu importe. C’est le résultat final qui compte.

    Pour ceux qui disent que les pays membres de l’UE sont très satisfaits d’y être, je leur demande comment ça se fait que chaque fois qu’ils ont la possibilité de voter dans un référendum, ils votent contre l’Union Européenne. Et il y a beaucoup d’enquêtes d’opinion qui ont prouvé que les citoyens de l’UE sont très déçus et aimeraient bien en sortir.

    Nous verrons si les autorités européennes décident de “punir” la Suisse économiquement, ou d’une autre façon, pour son insubordination. C’est possible. Ce serait tout à fait dans leur mentalité. Il n’y a qu’à voir comment ce despote mesquin de Barnier à torturé cette pauvre Teresa May.

    C’est une mentalité de maîtres chanteurs. Ils ne comprennent pas que la Suisse, comme le Royaume Uni, si on les pénalise économiquement, c’est l’UE qui se tire une balle dans le pied. L’intérêt bien compris de l’UE est au contraire de faciliter au maximum la fluidité des relations économiques, dans tous les cas, sans faire de pédantisme sur “l’intégrité du marché intérieur”, car la Suisse et le Royaume Uni ne sont pas des partenaires négligeables. Et ce sont aussi des moteurs de croissance pour le grand ensemble, tandis que si on les pénalise, cela va forcément pénaliser aussi le grand marché européen.

    Mais, nous le savons, il ne faut pas attendre un raisonnement rationnel, ni même le moindre sens politique, de la part de ces tyrans obtus. Ce qui les intéresse, c’est uniquement la réalisation d’un projet idéologique. Personnellement, je méprise ces gens et leur mentalité. Je comprends que d’autres ne partagent pas mes sentiments, mais ils doivent savoir que cette sale mentalité idéologique causera la perte du projet européen. Et ce sera dommage car c’était une belle chose au temps de la CEE, mais ça a commencé à aller dans le mur après Maastricht.

    Donc il faut s’attendre à des mesquineries et à des représailles. A mon avis cela n’aura qu’un effet, qui sera de renforcer énormément le sentiment anti européen en Suisse. Le résultat sera que l’ensemble de la Suisse finira par avoir la même haine anti européenne qu’a aujourd’hui la majorité des Tessinois. Si c’est ça le but visé par les responsables de l’UE, alors ils n’ont qu’à “punir” la Suisse. Mais ils n’iront pas loin avec leur mentalité de père fouettard. La Suisse n’ira pas les supplier à genoux de lui pardonner.

    Ce que ne comprennent pas tous les gens qui veulent absolument que la Suisse soit mise au pas par l’UE, avec sa tactique habituelle du bâton et de la carotte, c’est que la Suisse est un pays ancien qui en a vu d’autres. Elle a eu, depuis ses débuts, un sens aigu de son indépendance. Elle est même capable de payer un prix pour cette indépendance.

    Finalement, je ne pense pas du tout que nos concitoyens soient d’avis que c’est leur intérêt d’avoir un accord cadre.

    Les syndicats ont fini par réaliser que l’ouvrier et l’employé suisse seraient perdants, car le seul but de l’UE est d’obliger la Suisse à renoncer aux mesures d’accompagnement qui protègent tant bien que mal contre le dumping social. Cette prise de conscience, dans les milieux qui constituent la base sociale et électorale du PS, a fait basculer les choses dans le bon sens (anti accord cadre), car à ce moment là la gauche a cessé d’être aveuglement pro européenne. Il n’y a qu’à voir l’attitude de quelqu’un comme Pierre-Yves Maillard.

    Je prédis un avenir brillant pour la Suisse. En revanche l’Union Europeenne va connaître une époque de contraction et de stagnation, voire un échec politique qui va s’aggraver de plus en plus.

    L’UE est fondamentalement incapable résoudre les problèmes qui se posent aux peuple européens, d’où son discrédit. Elle n’a pas pu empêcher le Brexit. Elle ne peut pas se mettre d’accord sur un plan de relance. Sa mentalité idéologique et sa tendance au chantage la rendent odieuses aux peuples des pays membres, de plus en plus. C’est la mentalité idéologique de l’UE qui suscite des réactions nationalistes et “populistes” un peu partout. Bref, l’UE a du plomb dans l’aile.

    En 1812, des financiers bâlois ont retiré les capitaux qu’ils avaient placés dans l’empire napoléonien. Ils avaient senti que Napoléon courait à sa perte. Napoléon a été furieux, il a fait des menaces terribles. Mais les Bâlois n’ont pas bronché. Ils n’avaient plus confiance. Il faut croire que les capitaux bâlois étaient importants car leur retrait a causé une grave crise économique en France, qui a contribué à la chute de Napoléon.

    Je pense donc personnellement que si le Conseil fédéral retire ses billes maintenant dans la négociation avec Bruxelles, de maniere peu glorieuse après avoir fait montre d’un zèle pro européen et d’une servilité déshonorantes, pendant tellement longtemps, c’est que le Conseil fédéral, nolens volens, est l’héritier d’une très vieille expérience politique de la Suisse, et c’est pourquoi il sent confusément que le projet européen est en déclin et va probablement échouer. Autrement dit, ce n’est pas le moment d’embarquer sur un bateau qui prend l’eau.

    Voila tout. Il faut connaître un peu notre histoire, dans la longue durée. Ca aide à être moins “pantois”.

    1. certains voient l’UE comme une puissance étrangère , à la limite coloniale, mais ils oublient que c’est d’abord un club d’Etats souverains qui ont tous le même poids de décision ( le refus de la Pologne et la Hongrie lors du plan de relance le prouve ) et en tant que membre , la Suisse aurait exactement la même influence pour négocier alors qu’en restant en dehors, elle subit les décisions de Bruxelles.
      On n’est plus à l’époque des Habsbourg !
      Les pays membres de l’UE ont perdu moins de souveraineté que les cantons suisses vis-à-vis de la Berne fédérale. Personne ne réclame l’éclatement de la confédération … L’union fait la force …

  9. La Suisse a toujours le sentiment qu’elle peut tout faire, se basant sur ses 700 ans d’histoire (partielle) et se réfugiant derrière son fédéralisme, bien, mais …
    … tous ces valeureux patriotes sont en fait déjà vendus aux USA, on l’a bien vu avec les pressions sur des banques qui n’ont plus de suisse que le nom, alors, refuser la justice européenne n’est qu’un gag.

    Le monde actuel n’est plus le monde de 1848, n’en déplaise à tous les amoureux de Hodler.
    La Suisse peut tout à fait, comme vous dites, “retirer ses billes”. C’est un peu comme si je vous balade six mois pour acheter votre voiture et que soudain, je vous dise, “désolé”, j’aimerais plutôt un cabriolet!

    La Suisse va sûrement acheter un avion américain, après Crypto?
    Mais dans les guerres commerciales d’aujourd’hui, je préfère personnellement, faire quelques concessions à nos voisins européens, amis et de même culture et dont nous nous situons au centre, que de fanfaronner avec des américains en guerre avec des chinois, pour au final devenir les valets de l’un ou de l’autre!

    1. @OLIVIER WILHEM

      Probablement vous avez raison sur un point. Maintenant la Suisse va se mettre à plat ventre devant l’Amérique, après avoir été à plat ventre devant l’UE. Ce n’est pas glorieux non plus. Mais tant qu’on n’a pas d’accord cadre avec l’UE, ni avec qui que ce soit qui demanderait une “reprise automatique” d’un droit étranger, pour moi c’est le plus important. C’est l’essentiel.

      Pour le secret bancaire, on a perdu la guerre contre Oncle Sam. Mais la Suisse a quand même résisté pendant 30 ans. Je ne sais pas si on aurait pu gagner cette guerre. Il aurait fallu une volonté inflexible, qu’on n’avait pas. Et on avait une cinquième colonne morale à l’intérieur, composée des gens qui avaient été culpabilisés par les Jean Ziegler & Cie. C’est difficile de se battre pour quelque chose quand une partie de votre propre population pense que c’est immoral. Pour résister à la pression sur le secret bancaire il aurait fallu avoir beaucoup plus de courage. Il aurait fallu refuser de nous lier avec des institutions comme le FMI. Il aurait fallu refuser fondamentalement de reconnaître la moindre légitimité à des institutions comme le GAFI. Il aurait fallu ne pas entrer dans l’ONU. A l’OCDE, dont la Suisse était un membre fondateur et dont les décisions doivent être prise à l’unanimité, il aurait fallu s’opposer jusqu’au bout au principe de l’entraide administrative. On aurait ainsi pu bloquer éternellement l’adoption de ce principe. Malheureusement tous nos diplomates ne rêvaient que d’aller faire les beaux partout et ils étaient les plus zélés défenseurs de la gouvernance mondiale incompatible avec quelque chose comme le secret bancaire. La Suisse avait, bêtement, fait trop de concessions au multilatéralisme, elle ne pouvait plus jouer ses cartes jusqu’au bout.

      Il y a une autre raison aussi c’est que Jean Ziegler avait raison quand il disait que c’étaient en réalité les grandes banques qui ont le pouvoir en Suisse. Quand on a perdu le secret bancaire je me suis dit que Jean Ziegler avait eu tort sur ce point, car si c’étaient les banques qui avaient le pouvoir, alors elles n’auraient pas lâché le secret bancaire. Mais en y repensant j’ai compris que Jean Ziegler avait malgré tout raison, car en réalité ce sont les grandes banques UBS et Crédit Suisse qui ont demandé qu’on lâche le secret bancaire, et le CF s’est soumis à leur demande. Donc c’étaient bien les banques qui avaient le pouvoir.

      Aujourd’hui le résultat est que, comme vous le dites très justement, ce sont les USA qui ont le pouvoir sur la Suisse, car ils tiennent nos grandes banques. C’est leur butin après cette guerre de 30 ans qu’ils ont gagnée. Aujourd’hui UBS et CS ne sont plus des banques suisses mais bien des banques américaines et c’est pourquoi vous avez raison, hélas, de dire que ces banques ne sont plus suisses que de nom. Ce sont les chevaux de Troie de l’Amérique qui s’en sert pour imposer sa volonté chez nous.

      Les banques suisses étaient vulnérables aux pressions US parce qu’elle faisaient au moins la moitié de leur chiffre l’affaires aux USA. Elles étaient donc devenues dépendantes du marché mricin et en plus elles etaient des concurrentes trop importantes pour Goldmann Sachs & Co,qui ont voulu se débarrasser de cette concurrence. Les autorités US auraient pu les mettre à genoux facilement en leur retirant la licence bancaire. Donc on était à leur merci.

      La Suisse n’aurait jamais dû permettre aux grandes banques suisses de se mettre dans cette situation. Il aurait fallu interdire aux banques actives à l’international de faire de la gestion de fortune. Il aurait fallu que les grandes banques universelles se séparent de leurs activités de gestion de fortunes et que les banques de gestion de fortunes aient l’interdiction d’avoir des filiales à l’étranger, du moins dans des pays comme les USA qui auraient pu prendre des mesures hostiles.

      On aurait dû sur ce point s’inspirer de la sagesse des banquiers privés genevois qui s’étaient toujours soigneusement abstenus d’avoir des filiales à l’étranger. On n’a pas eu cette sagesse. Mais on ne pouvait pas l’avoir, car le pouvoir politique ne pouvait pas imposer des contraintes comme ça aux banques. Car les banques avaient le pouvoir. Jean Ziegler avait raison sur ce point.

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