Politique européenne

Accord-cadre: la Suisse n’en veut pas

Invité dernièrement à se prononcer dans une conférence à distance sur l’avenir des relations entre la Suisse et l’Union européenne, le nouvel ambassadeur d’Allemagne en Suisse, Monsieur Michael Flügger, s’interrogeait sur les intentions réelles du gouvernement fédéral à l’égard de l’accord-cadre. Sans surprise, sa question resta sans réponse. Aucun de ses interlocuteurs ne saisit la balle au bond, de peur de commettre un faux pas diplomatique, contraire aux bons usages du langage policé en vigueur dans les milieux de la politique internationale.

En l’occurrence, cette sphère du non-dit n’a plus lieu d’être. Le temps est venu d’exprimer tout haut ce que la majorité pense tout bas : la Suisse ne veut pas de l’accord-cadre. Gênée aux entournures pour se sortir d’une situation à laquelle elle regrette d’avoir apporté son concours, la Confédération a de plus en plus recours à des artifices rhétoriques, juridiques ou économiques pour se retirer des pourparlers avec la Commission européenne. Ne voulant pas assumer seule la responsabilité de l’échec éventuel des négociations, elle se plaindra alors du manque de compréhension dont ses interlocuteurs auraient fait preuve à son égard.

Le scénario n’a rien d’original. Si l’accord-cadre ne voit pas le jour, ce sera la faute de l’UE. Ayant adressé une fin de non-recevoir aux demandes de la Suisse, elle sera accusée de tous les maux par Berne pour ne pas avoir respecté la volonté populaire, pour avoir enfreint les règles élémentaires de la souveraineté, voire pour avoir voulu imposer sa bureaucratie sur tout le territoire helvétique. Cela sonne comme un disque rayé et n’impressionne pas le moins du monde une Union européenne qui ne se fait plus guère d’illusions sur le prétendu esprit de conciliation du Conseil fédéral.

Ne tirant visiblement aucune leçon des difficultés que la Grande-Bretagne rencontre dorénavant avec la mise en œuvre du Brexit, la Suisse se satisfait dans son attitude réfractaire et se cantonne à ses demandes de clarifications. Toutefois, personne n’est dupe. Rétorquant à bon escient au Conseil fédéral qu’il est assez grand pour clarifier par lui-même un texte auquel il a pourtant souscrit, l’UE aura beau jeu de le rappeler à ses obligations.

De fait, la Suisse ne veut pas endosser l’échec de l’accord-cadre. À la recherche tous azimuts de boucs émissaires, elle accuse non sans raison les syndicats sur le plan intérieur et la Commission sur le plan européen. S’appropriant le vieil adage, selon lequel c’est toujours la faute des autres, elle croit se tirer d’une affaire qui, pour plus longtemps que bon lui semble, risque de l’embourber dans ses propres contradictions. Berne oublie tout simplement que la Confédération n’est pas la seule maître du jeu et que l’UE n’attendra pas éternellement une solution qui puisse lui convenir.

Courroucée par l’interprétation donnée par la Suisse suite au refus de l’initiative de limitation du 27 septembre dernier, l’Union européenne sait désormais que la Confédération helvétique n’a plus qu’une seule idée en tête : celle du maintien in extenso et pérenne des accords bilatéraux. En toute logique, l’adoption d’un accord-cadre contrevient alors aux plans échafaudés depuis quelques semaines dans les travées du Palais fédéral. Cela explique aussi la mise à l’écart du secrétaire d’État Roberto Balzaretti, prié de se refaire une santé sur les bords de la Seine, le dessaisissement du dossier européen du Département fédéral des affaires étrangères au profit de celui de justice et police et l’absence d’un calendrier précis pour entamer de nouvelles discussions avec Bruxelles.

Peut-être jamais autant divisée depuis « le dimanche noir » du 6 décembre 1992, scindée en deux à l’exemple du résultat du vote sur les « multinationales responsables » du 29 novembre dernier, en proie à de sérieux conflits culturels et politiques entre ses régions linguistiques, mais aussi et surtout entre ses villes et ses campagnes, confrontée à l’éclatement de ses partis bourgeois et du centre de même que tiraillée au plus haut niveau pour élaborer une stratégie efficace contre la Covid,  la Suisse veut faire de l’Europe son champ de bataille pour retrouver une part de son pouvoir de décision, voire de sa souveraineté nationale. Elle en a parfaitement le droit. Tout comme l’Union européenne a aussi le droit de mettre fin à l’accès suisse à son marché intérieur, car comme tout chat échaudé qui craint l’eau froide, elle serait aussi en mesure de sortir ses griffes à l’encontre d’un pays qui, à vouloir toujours jouer perso, pourrait à plus ou moins brève échéance se retrouver sur le banc de touche.

 

 

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