Qui pour présider la Commission européenne?

Normalement, ce sera lui. Lui, c’est Manfred Weber, pressenti pour prendre la place de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Nommé par le « Parti populaire européen » (PPE), soit la droite européenne, il a toutes les chances de la présider d’ici le 1er novembre 2019. Bénéficiant du principe du Spitzenkandidat, il se prévaut d’une légitimité politique qui n’existe que par le bon vouloir de quelques-uns, selon lesquels le chef de la principale formation européenne accèderait automatiquement au poste de président de l’un des deux organes exécutifs de l’UE. D’inspiration allemande, cette pratique, dont par ailleurs on ne trouve quasiment pas la moindre trace dans le traité de Lisbonne, atteint pourtant bien vite ses limites. Alors qu’elle permettait d’opposer, il y a encore cinq ans, les deux poids lourds européens que sont Juncker et Schulz, elle se réduit désormais à un affrontement entre ledit Manfred Weber et son concurrent social-démocrate, le néerlandais Frans Timmermans.

Personnalités politiques respectables s’il en est, elles ne suscitent toutefois que très peu l’attention des foules européennes qui, dans leur très grande majorité, ne les connaissent pas. Le 26 mai prochain, seule une très infime minorité d’électeurs se déplaceront dans le seul souci de voter pour l’Allemand ou le Hollandais. Se moquant éperdument du nom du futur Président de la Commission, les votants feront de ce scrutin une élection beaucoup plus nationale qu’européenne. N’associant guère un visage à ces candidats, ils ne se détermineront pas par rapport à leur nom. Qu’ils s’appellent Manfred Weber, Frans Timmermans, Guy Verhofstadt, l’ancien Premier ministre belge, Michel Barnier, le négociateur en chef du Brexit, Ska Keller, la verte allemande, voire Margrethe Vestager, la redoutée mais très respectée Commissaire danoise à la concurrence, qu’importe, cela ne jouera presque aucun rôle au moment de glisser son bulletin dans l’urne. En revanche, et en cas d’extrême recours et de crise intérieure grave à Berlin, la candidature d’Angela Merkel, abrégeant avant qu’il ne soit trop tard son dernier mandat de chancelière allemande, susciterait des réactions et des commentaires de tout autre ampleur.

Bien qu’évoquée à demi-mot à l’heure actuelle et si surprenante qu’elle puisse paraître malgré le souhait exprimé en ce sens par Jean-Claude Juncker en personne, cette nomination aurait pour effet de relancer un débat qui sommeille depuis trop longtemps dans les couloirs de la Commission européenne de Bruxelles. Après quelques expériences malheureuses, à l’image de celles qu’elle a eues avec Jacques Santer et plus encore avec José Manuel Barroso, l’Union européenne devra inévitablement se pencher sur le mode d’élection du Président de sa Commission. En privilégiant la solution du Spitenkandidat, elle a volontairement mis la charrue avant les bœufs. Pour exister, une tête de liste ne peut émaner que d’un parti respecté pour son action et sa légitimité politiques. Rien de tel pour l’instant, ni avec le PPE, guère plus avec « le Parti socialiste européen » (PSE) que seuls quelques initiés connaissent de près ou de loin. Nommés plus ou moins en conclave par leurs amis pour présider le cas échéant la Commission de l’UE, Weber ou Timmermans ne sont que les produits d’un processus de désignation partisan qui arrive au bout de sa logique démocratique. En lieu et place de l’existence de puissants partis politiques européens, l’Europe politique se contente d’aspirants candidats qui souvent n’inspirent pas grand-chose à leurs propres troupes disséminées à travers tous les pays membres. Pour y remédier, on pourrait alors envisager des primaires organisées à l’échelle européenne, sinon des votes militants au sein de toutes les fédérations nationales desdits partis européens.

Ni l’une, ni l’autre de ces solutions ne saurait toutefois répondre à la question, entretemps devenue légendaire de Henry Kissinger, lorsque celui-ci se serait interrogé en 1970 sur « le numéro de téléphone de l’Europe ». Pour tenir son rang international, l’Union européenne a besoin d’un Président – ou d’une Présidente – élu/e au suffrage universel direct à la majorité absolue par tous les électeurs européens. Expression de la citoyenneté européenne, il/elle sera dotée d’une légitimité démocratique que nul ne sera en mesure de remettre en cause. Personnalité mondiale de toute première importance, il/elle pourra se prévaloir d’un pouvoir exécutif issu des urnes, élu-e avec un nombre de voix bien plus important que ce n’est le cas pour les présidents américains ou russe, exception faite néanmoins du simulacre de démocratie en Chine. Bien que non sans risque, le jeu en vaut bien la chandelle, tant l’Europe a besoin de s’en sortir par le haut, pour ne pas sombrer dans les profondeurs de répartitions plus ou moins opaques de postes qui non seulement n’intéressent pas grand monde, mais aussi nuisent gravement à son état de santé politique.

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

2 réponses à “Qui pour présider la Commission européenne?

  1. Un système opaque de marchandages entre pays, partis politiques, lobbys et autres groupes de pression est sans doute inévitable dans une construction aussi disparate et éloignée du peuple que l’est l’UE. Même dans la petite Suisse, il y a déjà tellement d’intérêts divergents et de différences de mentalités que toutes les propositions d’élection du Conseil fédéral par le peuple ont toujours échoué. Je pense donc qu’un élection plus populaire du président de la commission est une vue de l’esprit.

    À part ça je ne savais pas que monsieur “de Verhofstadt” est issu de la noblesse belge, sans doute un parent du vicomte Davignon, du comté Rogge ou Lippens.

    En voilà un qui cache bien son jeu!

  2. personne ne veut, à Paris comme à Berlin, d’un président européen de prestige …….qui porterait ombrage aux présidents nationaux……

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