Les maux nationaux du Parlement européen

Tous les cinq ans, c’est la même ritournelle. Les élections européennes permettent aux leaders politiques de régler leurs comptes nationaux lors d’un scrutin qui, par essence, se veut supranational. Les Européennes sont devenues ce qu’elles n’auraient jamais dû devenir, à savoir des élections sanction de la politique intérieure des États membres de l’UE.

Bien que de bonne guerre, cette façon de faire dénature l’objet même du suffrage universel à l’échelle européenne. Dans la plupart des cas et des pays membres, les électeurs ne votent pas pour l’Europe, mais pour, ou plus encore, contre leur gouvernement. Défouloir citoyen à risque limité pour les dirigeants en place, les Européennes sont vidées de l’âme qui aurait dû les animer depuis les premières d’entre elles, il y a quarante ans, en juin 1979.

Dès leur naissance, elles ont souffert d’une maladie infantile qu’elles n’ont toujours pas su résorber. Organisées dans chaque État, elles se déroulent dans des circonscriptions nationales, alors que tous les élus siègent dans des groupes parlementaires multinationaux.  Se privant ipso facto d’une légitimité à dimension européenne, le parlementaire de Strasbourg ne doit son élection qu’au choix des citoyens du pays où il s’est présenté, ce qui, à quelques très rares exceptions près, signifie du pays dont il est lui-même ressortissant.

Se pose alors une question de fond à laquelle personne n’ose apporter une réponse de peur de s’attaquer à une boîte de Pandore qui mériterait toutefois d’être ouverte depuis fort longtemps. Laissant volontairement ce débat en suspens, tout le monde se satisfait d’un faux-semblant qui ferait du député européen un élu national siégeant dans un parlement supranational. Mais, ce qui se conçoit pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne s’applique pas pour le Parlement européen. Alors que la première est composée de délégations nationales respectivement nommées au suffrage universel indirect par les parlements nationaux, le second accueille des élus issus du suffrage universel direct.

Aujourd’hui rouage essentiel au sein de l’UE, le Parlement européen de Strasbourg souffre toujours de nombreux maux qui auraient dû s’estomper durant ces quarante dernières années. Malgré ses compétences de codécision, son travail reste largement méconnu d’un « grand public » qui l’a pourtant élu. Son image est toujours opaque et lointaine, comme si ses membres demeuraient des députés privilégiés qui, sans autre pouvoir national ou local, avaient trouvé refuge au bord du Rhin. Objet de critiques justifiées ou non, il n’est pas encore perçu, à tort, comme une instance de premier plan. Relégué en seconde zone, il ne jouit toujours pas de la reconnaissance citoyenne et politique qui lui est due. Souvent par la faute des gouvernements nationaux, mais aussi en raison de son propre isolement, il n’a pas encore réussi à s’émanciper de plusieurs contraintes partisanes qui entravent son action politique. À l’exception de certaines personnalités, il n’est pas la pépinière tant désirée d’une classe politique européenne dont la seule raison d’être serait celle de toujours privilégier les intérêts européens en lieu et place des intérêts nationaux. Ses membres restent dans l’ombre et peu de citoyens connaissent le nom du député qui les représente à Strasbourg.

Pénalisé par les gouvernements des pays de l’Union européenne, le Parlement européen porte aussi sa part de responsabilité. Refusant en février 2018 la création de listes transnationales, il a fermé la voie à une européanisation de son fonctionnement. Alors qu’il aurait pu accueillir de nouveaux députés, élus indépendamment de leur appartenance nationale, par tous les citoyens européens, il a préféré suivre les recommandations du groupe du « parti populaire européen » (PPE) dont les arguments, de surcroît en parfaite contradiction les uns par rapport aux autres, laissent pour le moins rêveur. Alors que son vieux briscard, Elmar Brok, Président allemand de la commission des Affaires étrangères, considérait que ces « listes transnationales constituent un péché originel contre le fédéralisme », son homologue et ami politique français, Alain Lamassoure, Ministre délégué aux affaires européennes sous Édouard Balladur entre 1993 et 1995, était de l’avis qu’il s’agissait là « d’une idée assez loufoque, …une lubie de fédéralistes » ! Ni « péché originel », ni « idée loufoque », ces listes transnationales allaient dans le bon sens que malheureusement le Parlement européen n’a pas désiré suivre, gâchant une fois de plus une belle occasion de se libérer des contraintes nationales que les États membres n’ont cessé de lui imposer. Aujourd’hui, l’hémicycle strasbourgeois aurait certainement mérité un plus beau cadeau pour fêter le quarantième anniversaire de son élection au suffrage universel direct.        

 

 

 

      

 

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

Une réponse à “Les maux nationaux du Parlement européen

  1. L’Europe était une belle idée, suis d’accord avec vous, mais elle a raté le coche.
    D’avoir voulu singer et croire qu’une civilisation de guerriers incultes et décimeurs d’indiens était la norme (les américains), elle sera chinoise, on parie?

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