Le faux pas de Valls

C’est dans les crises que l’on reconnaît ses plus fidèles amis. De ce vieil adage, Manuel Valls ne semble pas avoir retenu grand-chose. A l’occasion de la traditionnelle Conférence sur la Sécurité à Munich, il vient de faire une double erreur politique. D’une part, il a lâché Angela Merkel, à l’heure où la chancelière a plus que jamais besoin du soutien de ses principaux partenaires. D’autre part, il a sensiblement compromis la relance du couple franco-allemand, alors que ce dernier demeure la seule option crédible pour faire face aux pressions britanniques de David Cameron.

En déclarant, que « nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés », le Premier ministre français a non seulement poignardé Angela Merkel dans le dos, mais aussi miné le terrain de son nouveau Ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, dont la nomination a été particulièrement bien accueillie par le gouvernement fédéral. Germaniste et bon connaisseur de l’Allemagne, ce dernier s’est pourtant souvent opposé à Manuel Valls par le passé. Lui rendant quelque peu la monnaie de sa pièce, le Chef du gouvernement français, profitant de son séjour bavarois, ne s’est alors guère embarrassé d’embarrasser Jean-Marc Ayrault et Angela Merkel à la fois !

Libre à Manuel Valls de régler ses comptes avec son Ministre des Affaires étrangères. Ce ne sont là que des affaires intérieures à son pays, à son gouvernement, voire à son propre parti. En revanche, oubliant que ses propos quittaient la sphère germanopratine, Manuel Valls a ostensiblement commis un faux-pas politique que la presse allemande n’a pas manqué de relever. S’inquiétant du comportement de la France, la Bild-Zeitung s’est immédiatement s’interrogée sur l’attitude de Paris qui pourrait « laisser tomber » la chancelière et mettre en péril le partenariat franco-allemand. Telle est du moins l’analyse du très francophone député chrétien-démocrate, Günther Krichbaum, Président de la Commission des Affaires de l’Union européenne du Bundestag, qui, dans une première prise de position, souligna que « la France doit décider, et de toutes ses forces, si elle veut s’associer au règlement de la crise des migrants, [car] il n’y aura pas de solution européenne, sans le concours de Paris ».

C’est à fronts renversés que les deux pays semblent désormais aborder l’épineux dossier des réfugiés. Non loin de la caricature, mais non loin aussi de la réalité politique, le gouvernement de gauche français semble privilégier ici une politique de droite, alors que celui de la République fédérale d’Allemagne, dirigé par une femme classée à droite, s’engage dans une politique de gauche. Même si la relation franco-allemande n’a pas toujours, et heureusement, répondu aux logiques partisanes et nationales, cette inversion de rôles pourrait s’avérer maléfique pour l’Europe. En crise, notamment à cause des anti-Européens, elle ne devrait pas l’être encore plus à cause des pro-Européens. Car, à l’exception d’autres États, dont l’Italie, la Belgique, l’Espagne et les Pays-Bas, l’Union européenne ne peut compter que sur la France et l’Allemagne pour la sauver du bourbier dans lequel l’ont installée une horde d’eurosceptiques qui, de Londres à Varsovie, de Copenhague à Budapest, se reposent sur les lauriers de leur vile démagogie nationaliste.

A Munich, certes en accord avec son opinion publique et celle du très conservateur gouvernement bavarois, Manuel Valls n’a pas mesuré la portée politique de ses déclarations. Sa faute n’est pas irrémédiable, tant la France et l’Allemagne ont su naguère surmonter leurs différends. Toutefois, demeure-t-elle inquiétante, car elle est européennement contreproductive. Se situant à l’opposé de la démarche d’Helmut Kohl et de François Mitterrand qui, en 1984, avaient relancé l’Europe, après avoir restitué une partie du chèque britannique à Margaret Thatcher, elle augure mal de la réponse commune que Paris et Berlin souhaiteront opposer aux demandes irresponsables du gouvernement britannique. En effet, ce n’est pas en faisant un croche-pattes à Merkel que Valls pourra prendre Cameron à contrepied. Au Premier ministre français, par conséquent, de redéfinir urgemment ses priorités. De s’inspirer aussi de ces mots, si beaux et si justes en ces heures graves, selon lesquels « céder à la coulée d’angoisse et se laisser entraîner, au lieu d’endiguer, signe la fin du Politique et de la politique. Plus fatal que l’hallali ». Il est vrai que ces paroles sont signées, dans son dernier et excellent ouvrage, par Christiane Taubira, l’ancienne Ministre de gauche, dont Manuel Valls ne voulait plus !

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.