Palmarès de la Berlinale : une belle synthèse

Présidé par le producteur indépendant américain James Schamus, le jury de la Berlinale a réussi, hier soir, à offrir au Festival un excellent palmarès qui résume à merveille cette 64ème édition. S’il n’est jamais facile de faire le jury, il est d’autant plus difficile de le faire à Berlin. Car généralement les compétitions officielles de ce festival n’ont pas la cohérence, l’audace ou la finesse de manifestations plus «auteuristes» comme Cannes, Venise et Locarno. Résultat, la sélection est presque toujours un fatras de compromis divers, avec un fort accent mis sur le politique ou la thématique des films, et quelques perles qu’il faut savoir extraire de l’ensemble. On se souvient des prix récents à Cesare deve morire des frères Taviani, de Tabu de Miguel Gomes ou du Cheval de Turin de Bela Tárr. En décernant cette année son Ours d’Or – et le prix du meilleur acteur – au film chinois Black Coal, Thin Ice de Diao Yinan, le jury a probablement signalé l’une des œuvres les plus singulière de cette manifestation, où deux autres films chinois briguaient la récompense suprême. Blind Massage du très officiel Lou Ye, qui a reçu le prix de la meilleure image (ah bon?). Et No Man’s Land de Ning Hao, sorte de western-spaghetti à la façon pékinoise, qui ne valait pas grand chose.

Black Coal, Thin Ice est en apparence un film noir des plus classiques. Un corps humain taillé en pièces est retrouvé dispersé aux quatre coins de la région (le Nord de la Chine), dans des camions ou des wagons transportant du charbon. L’enquête s’enlise et provoque la mort de plusieurs policiers. Le flic en charge du dossier se retrouve blessé dans la fusillade et doit quitter la police sans jamais avoir résolu cette enquête. Quelques années plus tard, devenu responsable de la sécurité dans une usine, différents meurtres similaires réveillent sa curiosité. Avec un de ses anciens collègues, il reprend le fil de sa recherche, sans se rendre compte que les apparences sont souvent trompeuses…

Réalisé froidement, sans effets de manche, Black Coal, Thin Ice joue sur ce contraste entre le noir du charbon et le blanc de la glace comme pour dire un monde que l’on peut lire en noir et blanc, avec d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Mais si l’on gratte un peu la surface, on réalise bien vite que la réalité est bien plus complexe. Comme ces morceaux de cadavres cachés dans le charbon ou sous la glace, le film montre aussi, derrière le polar, la vie quotidienne plutôt triste d’un pays malade, terriblement fragile, construit sur des apparences et des mensonges.

Rien à dire non plus sur le reste du Palmarès. Que ce soit les trois Ours d’argent attribués d’une part à Wes Anderson pour son délirant Grand Budapest Hôtel, d’autre part à Alain Resnais pour la facture très radicale de son délicieux Aimer, boire et chanter, et à Richard Linklater pour son saisissant Boyhood (chronique familiale tournée sur 12 ans!) ou encore le prix du scénario à Dietrich Brüggeman pour le seul film allemand acceptable de la sélection, Kreuzweg, le jury 2014 a vraiment mis en exergue les films les plus intéressants de cette édition. A l’exception peut-être des deux films argentins de la sélection, complétement absents du palmarès: Historia del Miedo de Bejamín Naishtat (dont j’ai déjà parlé) et La tercera orilla de Celina Murga, description sensible d’un jeune homme en rupture de ban, luttant contre le mensonge d’un père qui entretient deux familles à la fois. Mais là, ces deux œuvres étaient peut-être trop radicales pour enthousiasmer ce jury. Dommage.

A l’année prochaine!

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.