Le «Cercle» de Zurich enthousiasme la Berlinale

Hier soir, le réalisateur zurichois Stefan Haupt s’est excusé, avant la projection, du résultat de nos votations, en remerciant la Berlinale de l’accueillir, lui et son dernier film, avec les honneurs, au sein de la prestigieuse sélection du Panorama. Ce d’autant plus que son film, Der Kreis (Le Cercle) parle justement d’exclusion et met en scène, entre documentaire et fiction, quelques pages peu reluisantes de notre rapport avec les homosexuels.

Le film raconte l’histoire d’amour assez extraordinaire de Ernst Ostertag et Röbi Rapp, deux gays qui se sont rencontrés à Zurich à la fin des années 1950 et sont restés ensemble jusqu’à aujourd’hui. Ils se sont connus grâce au Kreis, un cercle homosexuel créé durant la deuxième guerre mondiale qui publiait une revue et organisait régulièrement au Theater am Neumarkt un bal LGBT (comme on dirait aujourd’hui) très couru. Ernst, fils de bonne famille zurichoise, travaille comme enseignant dans un collège de jeunes filles et cache son identité sexuelle à la fois aux siens et à ses collègues. Venu d’une pauvre famille allemande émigrée, Röbi, un jeune coiffeur qui aime se chanter et se déguiser en femme fatale au cabaret, est par contre soutenu par sa mère qui lui taille de flamboyant costumes.

Dans le film, Röbi et Ernst racontent leur histoire à la caméra, en alternance avec des moments de fictions où leur existence est rejouée par des acteurs – mais avec leurs conseils. Très habilement, avec beaucoup de sensibilité, le réalisateur mélange la fiction, le documentaire et les documents d’archives, tant et si bien que l’on s’y perd parfois, et qu’on ne sait plus très bien à quel niveau de lecture nous sommes. Jusqu’à ce moment de cinéma parfait où l’on croit entrer dans l’appartement de fiction que les deux personnages ont acheté – et l’on entre en fait dans l’appartement où ils vivent encore tous les deux. Mais Der Kreis ne se contente pas seulement de raconter la belle histoire d’amour entre ces deux hommes. Il décrit, à travers l’histoire de ce cercle, l’attitude d’abord libérale, puis répressive de la police zurichoise à l’égard des homosexuels.

A la fin des années 50, Zurich est perçue comme un havre de paix pour la communauté gay. La Suisse ne criminalise pas l’homosexualité et Zurich apparaît comme un des endroits les plus libérés d’Europe. Suite à trois meurtres consécutifs au sein de la communauté homosexuelle (dont celui d’un fameux compositeur), au début des années 60, la police interdit les bals du Cercle, multiplie les descentes et les contrôles, met en fiche tous les homosexuels qu’elle rencontre, et se permet nombre d’humiliations de la pire espèce… Le Cercle est obligé de fermer, la revue ayant perdu énormément d’abonnés en raison des brimades policières. Ernst et Reto recréent alors en réaction une nouvelle revue en 1968… et se battront jusqu’à aujourd’hui pour garantir leurs droits et leur liberté. Ils seront le premier couple gay à se marier officiellement à Zurich en 2003.

Aujourd’hui que madame la Maire de Zurich Corine Mauch (qui vient d’être réélue) affirme sans problème son homosexualité, on se dit que les temps ont enfin changé. Mais quand on voit les réflexes de peur qui sont à l’œuvre dans les urnes (en dehors de Zurich et de la Romandie), on se dit qu’il y a encore du travail à faire. Et on ne peut que se réjouir du courage d’Ernst et de Röbi – et de ce film promis, je l’espère, à un brillant avenir.

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.