De la Suisse (qui a voté) à Berlin: Histoire de la peur

Ils vivent dans un de ces quartiers aisés de la ville, entourés d’une clôture en métal, avec un gardien qui fait sa ronde sur du gazon bien taillé. Mais le moindre événement qui sorte de l’ordinaire leur fait peur. Un petit trou taillé dans la clôture, une alarme qui se déclenche, un visiteur inattendu, les aboiements de chiens sans maître, une panne de courant… C’est le premier long métrage du cinéaste argentin Benjamin Naishtat, présenté en compétition, qui s’intitule Historia del miedo (Histoire de la peur), et que je viens de voir ce dimanche en fin d’après-midi. Juste au moment où sont tombés les résultats de nos votations.

Ils pourraient être suisses, les personnages du film. Avec la même peur de ce qui vient d’au delà de la clôture. Les autres. Ceux qui, semble-t-il, viennent voler notre travail, notre argent, notre bien-être. Dans le film de Naishtat, les autres, ce sont ceux qui travaillent pour eux. Ceux qui viennent de l’extérieur de la clôture pour tailler le gazon, surveiller le territoire, nettoyer les maisons. Et qui repartent le soir vivre plus misérables (mais sans peurs) hors du territoire protégé. Les autres, ce sont aussi ceux que l’on ne voit pas, ceux que l’on ne connaît pas. Qui ont fait le trou dans la clôture. Ou qui jettent des ordures et les incendient de l’autres côté de la barrière. On ne les voit pas. On ne les connaît pas. Ils font donc encore plus peur. Au point que l’on est même prêts à sortir les armes (on ne sait jamais).

Historia del Miedo est un remarquable précis de cette instabilité qui nous habite et nous fait prendre des décisions extrêmes. Comme celle que certains d’entre nous ont prise en votant en faveur de cette initiative de l’UDC. Ce que nous enseigne le film – et l’histoire – c’est que la peur est mauvaise conseillère. Ici à Berlin on ne peut jamais oublier ce qui s’est passé, il n’y a pas si longtemps, juste parce qu’on avait peur des Juifs, des homosexuels, des gitans… Ici à Berlin, j’ai de nouveau un peu honte d’être Suisse dans cette Europe qui nous accueille plutôt bien et que nous ne voulons plus vraiment. Ou alors du bout des doigts. Pour faire le ménage et tailler le gazon.

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.