« L’Europe doit attirer plus de talents pour ses start-up! » L’appel des entrepreneurs aux élus

Bonne nouvelle: les start-up européennes s’intéressent à la politique. Plus de 30 entrepreneurs de référence viennent de lancer un appel aux élus du Vieux-Continent: « L’Europe doit attirer plus de talents dans ses start-up », affirment-ils dans une lettre ouverte intitulée « Not Optional ». Sur la base d’un constat: « La disponibilité limitée de talents (…) est un sérieux obstacle à la croissance. C’est pourquoi nous, fondateurs et dirigeants des principales entreprises technologiques européennes, exhortons maintenant les décideurs politiques à placer les talents au sommet de leurs priorités ».

Il manque 100’000 talents, sans compter les start-up à naître 

Le point de départ de la lettre est d’abord positif: l’Europe de la tech n’a jamais été aussi forte, et elle a les moyens de concurrencer la Silicon Valley. « Nous ne manquons ni d’ambition, ni de capital », disent les entrepreneurs. « L’Europe pourrait être le continent le plus entrepreneurial au monde, mais la disponibilité limitée de talents pour nourrir et alimenter son écosystème de start-up en plein essor constitue un sérieux obstacle à la croissance ». Ils chiffrent les besoins actuels à 100’000 employés supplémentaires, sans compter les entreprises à naître. Mais ils dénoncent un obstacle de taille: une législation décourageante. « Sans plus tarder, nous appelons les législateurs à corriger les règles inégales, incohérentes et souvent punitives qui régissent l’actionnariat salarié ».

Le problème: une règlementation punitive pour les options

Les fameux plans de participation de collaborateurs, essentiels pour une start-up qui ne peut pas concurrencer les salaires de multinationales ou de certaines PME. Or, la législation européenne est dissuasive. Voire punitive pour ces plans: « Certains sont tellement punitifs qu’ils désavantagent nos start-ups par rapport aux entreprises de la Silicon Valley, avec lesquelles nous sommes en compétition pour les meilleurs designers, développeurs, chefs de produits, ou autres », dénoncent les signataires. Avant de tirer la sonnette d’alarme: « Si nous n’agissons pas, nous pourrions assister à une fuite des meilleurs et des plus brillants cerveaux d’Europe ».

La Suisse, un mauvais élève (quoi qu’en dise l’administration) 

La Suisse est pointée du doigt comme mauvais élève. Dans la catégorie « Ripe for change » (mûre pour le changement), en 15e position d’un classement établi par Index Ventures publié hier, le fonds de capital risque basé à Genève qui pilote cette opération. Un classement qui tombe à point nommé: le Parlement vient de charger le Conseil fédéral de simplifier les plans de participations de collaborateurs. Contre son gré: en réponse à la motion, en mai 2017, le Conseil fédéral estime qu’il n’y a, je cite, « aucune raison de prendre des mesures » dans ce domaine, et que « en vertu du principe de l’égalité de traitement, les options des collaborateurs ne doivent bénéficier d’aucun avantage particulier ». No comment. 

L’Europe prend le risque d’un incroyable gaspillage

Le Conseil fédéral, qu’il le veuille ou non, devra donc travailler sur un changement de nos règles en la matière. La lettre des CEO tombe donc à point nommé, puisqu’elle propose six pistes pour une régulation et une taxation encourageant les plans de participations. L’administration fédérale peut et doit s’en inspirer. Nous y veillerons: ce point central fait partie du Manifeste que nous faisons, nous aussi signer en ligne. Comme le concluent les patrons de start-up: « Si nous ne résolvons pas la pénurie de talents, nous risquons de gaspiller l’incroyable élan que la technologie européenne a créé ces dernières années. Le prochain Google, Amazon ou Netflix pourrait bien venir d’Europe, mais pour cela, la réforme des règles de l’actionnariat salarié n’est certainement pas facultative ». Not optional.

NB: Les fondateurs et CEO de start-up peuvent signer la lettre Not Optional ici jusqu’au 7 janvier. Au niveau suisse, les entrepreneurs peuvent aussi signer le Manifeste pour les start-up suisses ici jusqu’au 15 janvier

En Israël, la start-up est une arme. En Suisse, c’est un gadget

« Tu nous gonfles, avec tes start-up ». « Va te faire f… le monde de la start-up ». J’ai reçu une vingtaine de messages de ce type en réaction à mes chroniques. On y dénonce « des entreprises dont le but avéré est de faire un maximum d’argent ». Au Parlement, c’est (presque) pareil. Un collègue en veut à « mes gaillards qui gagnent des milliards sans payer d’impôts ». C’est emblématique d’une tendance de fond: en Suisse, les start-up ne sont pas populaires. Dans un pays d’assureurs, on se méfie de tout qui se développe de manière moins prévisible qu’une complication horlogère. Conséquence logique, l’Etat ne fait rien pour les start-up (qui n’existent pas, lire notre dernière chronique).

En Israël, c’est tout autre chose. J’y suis retourné pour le séminaire parlementaire d’ICT Switzerland. L’occasion de mesurer l’ampleur du fossé qui nous sépare de la « Start-up nation ». L’Etat israélien investit massivement, sur tous les fronts: 500 millions de dollars par année d’aides directes aux entreprises (de l’argent qu’elles ne devront pas restituer en cas de faillite), une prise en charge d’une partie des salaires (20% de tous les nouveaux jobs sur le parc scientifique de l’université du Néguev, par exemple), des centaines de millions pour la recherche, des mesures fiscales pour les VC, sans oublier l’armée (le principal incubateur à start-up du pays)  ou les énormes fonds d’investissement qui dopent le capital-risque (comme Yozma, créé par l’Etat en 1993, privatisé depuis). Et d’autres mesures encore. Dont aucune n’existe en Suisse. 

Israël investit pour encourager ses entrepreneurs à prendre des risques. En Suisse, on fait l’inverse

L’Etat israélien n’est pas dépensier, il investit. Nuance. Et ça rapporte. A la tête de l’agence de promotion de l’innovation, Uri Gabaï résume l’état d’esprit: « Nous sommes là pour inciter les entrepreneurs à prendre des risques ». C’est tout l’inverse en Suisse. Pour trois raisons: 1) une aversion au risque; 2) des dogmes intouchables (l’Etat ne doit surtout pas intervenir); 3) une autosatisfaction aiguë (nous sommes les meilleurs du monde). Résultat: les Israéliens ont créé un des plus puissants écosystèmes à start-up au monde, alors qu’ils n’avaient rien. La Suisse n’y est pas parvenue, alors qu’elle avait tout. Et le problème est là: tout va trop bien, en Suisse. A la fin des années 80, Israël est un pays pauvre – et en guerre – qui vit d’exportation d’oranges. « Nous sommes en survival mode, explique Dana Gavish, à la tête du parc d’innovation de l’Université Ben-Gurion du Néguev. Que ce soit pour l’eau potable, ou notre sécurité, nous avons besoin de technologie et d’enfants ». Des cerveaux et des start-up, voilà les armes d’Israël, pour sa sécurité et sa prospérité. Un programme stratégique de l’Etat.

De quoi inspirer notre politique d’innovation? J’ai posé la question à un haut fonctionnaire bernois en voyage avec moi à Tel Aviv. Réponse: « Non. La Suisse n’est pas Israël ». Ça valait bien la peine de faire le voyage. En effet, la Suisse est un pays riche, et en paix. Une start-up est donc un luxe. Un gadget. En Israël, c’est une arme. N’attendons pas d’être en guerre, ou pauvre, pour corriger le tir.

Un manifeste pour les start-up suisses (car elles existent, quoi qu’on en dise à Berne…)

Toutes les puissances économiques soutiennent leurs start-up. Toutes, sauf la Suisse. Car à Berne, on considère que les start-up n’existent pas. Il y a cinq ans, je demandais au Conseil fédéral un coup de pouce fiscal pour ces entreprises particulièrement fragiles, et fondamentales pour notre force d’innovation. Réponse: exclu. Impossible, car la catégorie « start-up » n’existe pas dans l’administration fédérale. Pour elle, ces PME ont les mêmes problèmes qu’une multinationale. Pourquoi ? Parce qu’un jour, « elles créeront des filiales à l’étranger » m’a écrit le Conseil fédéral. Sans rire. Fort heureusement, en Suisse, c’est le Parlement qui commande. Et le mois dernier, nous avons imposé au Conseil fédéral un soutien fiscal aux start-up (lire notre article à ce sujet). Il devra donc définir une start-up. Les Etats-Unis, l’Union européenne ou le Jura ont réussi à le faire. Ça devrait donc aussi être possible à Berne.

L’administration fédérale ne consulte pas les start-up

La réticence helvétique n’est pas surprenante: l’administration fédérale n’a jamais montré un enthousiasme débordant pour les start-up. Par exemple, elle ne leur parle pas. On ne veut pas trop savoir ce qu’elles ont à dire. Et comme les start-up ne cherchent pas vraiment à parler aux fonctionnaires, le dialogue est mal en point. Du coup, comme nous le révélions le mois dernier, le Conseil fédéral n’a consulté aucune start-up pour sa stratégie Suisse numérique. Aucune. Ça fait peu. Certes, une d’entre elle, Bestmile, est mentionnée à la page 8 du plan d’action, au chapitre « véhicules autonomes », mais elle n’a jamais été contactée. On la cite pour son projet pilote avec les CFF, à Zoug. Mais personne ne lui a jamais rien demandé. On préfère s’adresser aux CFF, dans le bureau d’en face. Autre exemple: nous n’avons aucune stratégie de promotion internationale de nos start-up. Toutes les puissances économiques en ont, sauf nous. D’imposantes délégations nationales sont présentes dans les grands salons, mais jamais suisses. Encore un exemple: les marchés publics échappent toujours aux start-up, comme Domosafety dans le Canton de Vaud… En résumé, nous n’avons aucune politique de soutien aux start-up, car elles n’existent pas.

Nous remettrons le manifeste au futur ministre de l’économie  

Heureusement, les temps changent. Même à Berne. Une délégation suisse sera au prochain CES de Las Vegas, grâce à une heureuse collaboration entre Présence Suisse, SG-E et digitalswitzerland. Et puis, suite au récent coup de pouce fiscal du Parlement, nous allons devoir définir les start-up. Du coup, elle existeront enfin, pour l’administration. Nous passerons alors aux choses sérieuses, et nous proposerons 10 mesures urgentes au Conseil fédéral. Faciliter l’accès au capital-risque, aux talents, ou aux marchés public. Entre autres. Un manifeste pour les start-up suisses. Un premier projet est en préparation, lire ci-dessous. Commentez, participez. Nous élaborerons ensemble les prémisses d’une politique d’innovation, que nous remettrons en décembre au Conseil fédéral. Ça tombe bien, nous aurons un(e) nouveau(elle) ministre de l’économie. Le hasard fait bien les choses.

 

Un manifeste pour les start-up suisses 

  1. Définir et établir une catégorie « start-up » dans notre politique économique

Le Conseil fédéral doit soumettre un projet de définition des start-up, afin que ces entreprises particulièrement fragiles et centrales dans notre capacité d’innovation bénéficient de conditions concurrentielles en comparaison internationale.

  1. Défiscaliser les investissements privés dans les start-up

Un montant plafonné investi dans une start-up doit être déduit de l’imposition du revenu et/ou de la fortune. Ce montant serait taxé seulement lorsque l’investissement est récupéré.

  1. Autoriser un report fiscal illimité des pertes

Les entreprises peuvent déduire de leur bénéfice net les pertes subies lors des sept exercices précédant une période fiscale. Un délai trop court pour les entreprises fondées sur la science, qui nécessitent parfois plus de 10 de recherche et développement avant un exercice bénéficiaire.

  1. Encourager et faciliter les plans de participation de collaborateurs 

Le Parlement a chargé le Conseil fédéral de mettre au point une formule attrayante et concurrentielle sur le plan international pour le traitement fiscal des start-up et des participations détenues par leurs collaborateurs. Ceci doit être mis en place rapidement.

  1. Introduire un « Start-up visa » pour les talents, entrepreneurs et investisseurs

Faciliter la venue de cerveaux, d’investisseurs et d’entrepreneurs, avec un permis de travail attractif et facilement communicable à l’étranger dans le cadre notre politique migratoire.

  1. Encourager la création d’un fonds de fonds de capital-risque

Le Conseil fédéral doit encourager (par des mesures incitatives, des aménagements fiscaux ou d’autres mesures) la création d’un fonds de fonds de capital-risque. Il étudiera notamment la possibilité d’encourager les caisses de pensions à investir dans ce fonds.

  1. Mettre en place une stratégie de promotion internationale des start-up

Réformer les structures existantes (Présence Suisse, SGE, et cantons) afin de doter la Suisse d’une stratégie de promotion internationale simple, efficace et gratuite pour les start-up, en terme de visibilité à l’étranger, dans les médias ou lors de grands salons internationaux.

  1. Faciliter l’accès aux marchés publics (Small business Act)

Mettre en place des mesures facilitant l’intégration de start-up dans les appels d’offres des collectivités publiques ainsi que dans celles des grandes entreprises. A l’image du Small Business Act américain.

  1. Consulter les start-up dans l’élaboration de lois les concernant

L’administration (fédérale ou cantonale) doit consulter les start-up dans le cadre des réformes les concernant, comme la stratégie numérique suisse, ou pour toute grande réforme économique et fiscale.

  1. Créer une Darpa suisse

Comme le fait l’armée américaine, l’armée suisse doit se doter d’une agence de financement de la recherche susceptible d’investir dans des projets stratégiques à long terme capables de générer des innovations de rupture.

Commentez ces dix points, complétez-les, ou ajoutez des revendications dans vos commentaires sur ce blog, ou dès lundi 8 octobre sur www.lereseau.ch.

Berne agit (enfin) pour la fiscalité des start-up

Le Conseil fédéral va améliorer le traitement fiscal des start-up. A contrecoeur. Après le National, le Conseil des Etats a adopté mardi 24 septembre une motion allant dans ce sens, en commençant par les participations de collaborateurs. Le Parlement charge ainsi le Conseil fédéral d’agir. Depuis des années, l’administration s’oppose à des mesures spécifiques pour les start-up, considérant, en gros, qu’une start-up n’existe pas. Et que si elle existe, elle doit être soumise au même régime fiscal qu’une multinationale. Un régime taillé sur mesure pour… la multinationale. C’est problématique, notamment pour la charge fiscale des participations détenues par les collaborateurs. Le Conseil des Etats relève que « les start-up sont ainsi soumises en Suisse à des conditions-cadres moins favorables que dans d’autres Etats ». Le Conseil fédéral va donc devoir corriger le tir. Le Réseau se bat pour ça depuis des années, et se réjouit de la décision du Parlement.

La sécurité du droit n’est plus garantie pour les start-up

On se souvient de l’étonnante dérive du Canton de Zurich qui, en 2016, s’est mis à valoriser des start-up selon le dernier tour de table, à savoir à la valeur idéale que la start-up espère atteindre un jour. Des entrepreneurs zurichois furent ainsi taxés de manière totalement excessive, sur une fortune qu’ils n’avaient pas (et n’auraient sûrement jamais). Certains cas apparurent dans d’autres cantons – heureusement pas tous, chaque canton y allant de sa formule pour valoriser fiscalement les entreprises non cotées. La situation est devenue confuse et instable pour les entrepreneurs en Suisse. La Commission de l’économie du Conseil des Etats le relève: « Si les entreprises peuvent s’entendre avec l’autorité fiscale cantonale compétente sur une valeur établie selon la formule – qui correspond à la valeur vénale – cette valeur doit toutefois être négociée au cas par cas entre l’entreprise et l’autorité fiscale en question. La sécurité du droit est donc insuffisante ». Nous partageons ce constat. Clairement, la sécurité du droit n’est plus garantie.

L’enjeu: attirer en Suisse les meilleurs talents 

L’enjeu est central: la Suisse doit attirer les meilleurs talents. Pour être attractives, les entreprises suisses doivent avoir un cadre précis et prévisible sur la taxation des collaborateurs qu’ils engagent. En leur promettant un salaire acceptable avec un minimum de cash, et sans pénalisation fiscale sur les participations. Le Département fédéral des finances avait pris conscience de l’enjeu, en créant en 2016 un groupe de travail avec les cantons afin de trouver des solutions. Mais depuis deux ans, rien ne bouge. Le groupe de travail est au point mort. La motion du Parlement arrive donc à point nommé pour lui rappeler qu’il faut agir. Tant au niveau des cantons que de la Confédération, il y a urgence: la concurrence internationale est féroce dans ce domaine central pour la force d’innovation de notre pays. Nous devons nous donner les moyens d’attirer les meilleurs talents.

Un premier pas fiscal pour les entreprises non cotées

C’est un premier pas salutaire. Mais ce n’est qu’un premier pas. Il est temps d’ouvrir un débat plus large sur l’impôt sur la fortune, et la taxation de l’outil de travail pour l’ensemble des entreprises non cotées, notamment les PME familiales. En mars 2017, dans son rapport en réponse au postulat 13.4237, le Conseil fédéral admettait « que l’impôt sur la fortune peut entraîner une charge fiscale élevée et des problèmes de liquidités pour les jeunes entrepreneurs ». Le Conseil fédéral estime également, je cite, « qu’il vaut la peine d’envisager un allègement supplémentaire de l’impôt sur les fonds propres et la fortune, qui entament la substance de l’entreprise et donnent ainsi de mauvaises incitations économiques ». Il affirme qu’il serait prêt, si le Parlement lui en donnait le mandat, à envisager cet allègement. Nous l’avons donc demandé au Conseil fédéral dans un postulat, qu’il soutient. L’après « PF 17 » a déjà commencé.

Comment l’administration fédérale (ne) consulte (pas) les start-up

La Suisse met en place sa stratégie numérique… sans consulter ses start-up. La semaine dernière, nous constations qu’une seule entreprise issue de nos laboratoires de recherche était associée au plan d’action du Conseil fédéral, Bestmile. Une, c’est peu, se disait-on. Mais en fait, c’est moins que ça: Bestmile n’est pas associée au plan d’action. Certes, le nom de l’entreprise lausannoise apparaît dans le document du Conseil fédéral, mais les responsables de l’entreprise n’ont jamais entendu parler de la stratégie suisse numérique.

Le Conseil fédéral ne ment pas. Il mentionne Bestmile dans son document, au chapitre « Véhicules automoteurs », car la start-up lausannoise est associée à un projet pilote des CFF à Zoug. Mais personne n’a demandé à Bestmile son avis sur le développement de véhicules autonomes en Suisse. Car, en général, les fonctionnaires fédéraux ne consultent pas les start-up. Ils préfèrent consulter les CFF, plus faciles à joindre, et mentionner la start-up qui travaille avec les CFF. Pas besoin de leur parler.

Le Conseil fédéral liste des conditions pour attirer des start-up: le monde à l’envers!

J’ai sensibilisé le Conseil fédéral à la question des start-up, la semaine dernière lors d’une séance d’information. Par oral, il s’est engagé à corriger le tir. Ce qu’il a confirmé, lundi, en réponse à une question écrite, mais en fixant ses conditions. Sur les pattes arrières, le Conseil fédéral met en garde: « Le plan d’action ne doit pas servir de support publicitaire ». Avant de préciser qu’une participation « ne donne pas droit à un soutien financier ». Quel enthousiasme… Puis, l’administration déroule une avalanche de « critères » pour que la proposition soit considérée: elle doit, par exemple, « être soutenue par au moins deux acteurs externes à la Confédération ». Quelqu’un d’adulte et responsable, comme les CFF. Autre exigence: la mesure ne doit pas être une « vision pure ». Sans rire. Puis, si vous respectez tous ces critères, la direction de l’Office fédéral de la communication décide si elle vous sélectionne « en concertation avec les offices fédéraux compétents ». En gros, si vous passez tous les obstacles, vous aurez une réponse dans les six mois. Si tout va bien.

Le Conseil fédéral conclut qu’il est, je cite, « convaincu que le plan comprendra nettement plus » de partenaires, « dans un proche avenir ». Je suis convaincu du contraire. Il n’y aura en tout cas aucune start-up. Car aucune n’a le temps, ni la motivation, de négocier avec des fonctionnaires un « droit » à contribuer à la prospérité de la Suisse. Fondamentalement, le Conseil fédéral a pris le problème à l’envers: ce ne sont pas les start-up qui ont besoin de la Suisse, mais la Suisse qui a besoin des start-up. Au lieu de rédiger les critères d’un concours de beauté, l’administration fédérale ferait mieux de mettre son énergie à trouver les talents qui, en Suisse, l’aideront dans un domaine qu’elle ne maîtrise pas toujours. Mieux: les hauts fonctionnaires devraient demander à Bestmile, Sophia Genetics ou Flyability s’ils peuvent faire un stage d’une semaine chez eux. Les start-up les accueilleront avec plaisir. A condition qu’ils soient motivés. Et sans « visions pures ».

Attention, le Département de la Santé peut nuire à la santé (et aux start-up)

Le numérique est-il bon pour la santé? La science et les start-up sont-elles bonnes pour la médecine? Voilà le débat que j’ai lancé à l’insu de mon plein gré lundi 10 septembre dans le Temps en citant le médecin cantonal vaudois, Karim Boubaker, en marge de l’affaire Domosafety (lire ci-dessous la chronique de lundi). Je rappelle son credo: «Le numérique n’amène rien à la qualité de vie, cela va s’éteindre tout seul, je le souhaite». J’espérais un démenti de sa part. Un truc du genre: «Vous m’avez mal compris». Malheureusement, je l’avais parfaitement compris. Il a persisté, ici même, mercredi en admettant je cite, ses «réticences lorsqu’il s’agit de nouveautés technologiques». Un médecin réticent aux progrès de la science, c’est intéressant. Comme me le faisait remarquer un ami, «heureusement qu’il n’était pas là quand le stéthoscope ou l’échographie sont arrivés sur le marché, on aurait encore une espérance de vie de 45 ans».

Le médecin cantonal fait bondir des médecins du canton

Du coup, la prise de position du médecin cantonal a un peu choqué des médecins du canton. Comme Bertrand Vuilleumier, président des hôpitaux du Nord vaudois, qui réagissait sur ce blog: «Quand on entend qu’un des cadres du SSP souhaite qu’on écarte à tout jamais tout recours à des systèmes d’information pour alléger, anticiper le travail des infirmier-ères, des médecins ambulatoires… on va droit dans le mur!» Et de préciser: «Ces systèmes méritent qu’on les teste et qu’on ne les bannissent pas pour des raisons politiques, pseudo-économiques, voire prétendument éthiques». Merci Docteur. Ça me rassure, je pensais avoir raté une étape. Nous sommes bien, comme le constatent d’autres commentateurs du blog, dans une vision préhistorique de la médecine.

La position vaudoise en contradiction avec la stratégie de la Confédération

La position paléolithique vaudoise surprend, donc. Jusqu’à Berne. Outre de légitimes inquiétudes pour le suivi sanitaire des Vaudois, elle est de mauvaise augure pour la coordination fédérale en matière de numérisation. Je m’explique: le Conseil fédéral a présenté mercredi dernier sa stratégie Suisse numérique (lire aussi ci-dessous). Et il ne partage pas du tout la vision vaudoise. En effet, le Conseil fédéral estime, comme le reste de la planète, que la numérisation ouvre d’énormes perspectives pour la médecine. Dans le catalogue de 111 mesures du plan d’action fédéral, plus de 20 d’entre elles touchent, de près ou de loin, la question de la santé. Dont une, plus spécifique, concerne directement le cas Domosafety. En page 28, au chapitre « Société, santé et culture », le point 8.1 affirme que « les technologies et les prestations novatrices favorisent la participation à la vie sociale », ce que tout le monde voit bien (sauf le Canton de Vaud). On y lit que « la Confédération soutient, dans le programme européen Active and Assisted Living (AAL), le développement de solutions techniques permettant aux personnes âgées et handicapées de vivre et de travailler de manière autonome ». Elle y injecte des millions par année et participe à de nombreux projets (avec entre autres Domosafety). Car elle a compris, que la technologie et la recherche scientifique peuvent aider les personnes âgées à bien vivre. Tout le monde y croit. Tout le monde y travaille. Sauf le Canton de Vaud?

Nous souffrons visiblement, en terres vaudoises, ou du moins au Département de la Santé, d’une allergie à l’innovation et aux start-up: le cas Domosafety n’est malheureusement pas le premier. On se souvient que la vaudoise Sophia Genetics s’est développée sur toute la planète avant le Canton de Vaud, à cause des mêmes convictions locales: la technologie n’est pas bonne pour la santé. Et les start-up ne sont pas bonnes pour l’économie. Une allergie reposant sur une vision dogmatique: la technologie et le développement nous pervertissent. Et donc, les start-up aussi. Il est temps que cela change, et qu’on ouvre un autre débat: le Département vaudois de la Santé est-il vraiment bon pour la santé?

Les start-up, éternelles oubliées des consultations fédérales. Corrigeons le tir ensemble!

Doris Leuthard a présenté mercredi matin à une poignée de parlementaires la stratégie Suisse numérique du Conseil fédéral, et la récente mise à jour de son plan d’action. Une stratégie ambitieuse avec plus de 100 mesures dans tous les domaines. Excellente initiative! Celle-ci a toutefois un défaut: elle n’associe pas assez les entreprises actives dans les domaines concernés.

Pour les 111 actions, la Confédération fait appel à des partenaires économiques. On y trouve surtout les CFF, la Poste ou Swisscom, une dizaine d’entreprises privées et l’association digitalswitzerland (au comité duquel siège le sous-signé, et qui regroupe, il est vrai, une centaine d’entreprises). Mais elle n’associe qu’une seule et unique start-up: Bestmile, partenaire du plan d’action pour le volet véhicules autonomes). Une start-up, une seule entreprise fondée sur la science, alors que la révolution numérique se fabrique essentiellement dans les laboratoires universitaires et les entreprises qui y naissent! Un défaut habituel: on ne consulte pas les start-up, à Berne. Ce n’est pas dans les habitudes. On s’adresse aux faitières, comme économiesuisse ou l’USAM. Qui ne connaissent pas les start-up… Et nos jeunes pousses continuent à avoir, dans le grand public (et aussi un peu au sein de l’administration), une image négative d’entreprises bling bling, peu habilitées à débattre de conditions cadre…

Mais tout n’est pas perdu: mercredi matin, j’ai interpellé la Conseillère fédérale Doris Leuthard et le directeur de l’Ofcom Philipp Metzger sur cette question: ils ont promis de corriger de tir, affirmant qu’il était prévu d’associer des start-up. Bonne nouvelle! Manifestez-vous: votre entreprise est active dans l’un des domaines d’action de la stratégie Suisse numérique? Vous souhaitez être associés aux débats pour adapter nos lois à la révolution numérique en cours? Participez, écrivez-vous! Pour que les lois soient adaptées aux besoins réels de notre société, et soutiennent le développement d’entreprises innovantes. Il est temps que l’administration écoute la voix des start-up. Une porte est ouverte: corrigeons le tir ensemble.

Quand la Suisse punit ses start-up

Dans le monde merveilleux des start-up, il y a d’un côté les beaux discours, et de l’autre, la réalité. Côté beaux discours, on trouve les politiciens. Forcément. Le numérique est devenu une tarte à la crème politique, on célèbre donc nos start-up tant qu’on peut, et on promet de les aider avec de ronflants plans pour une «stratégie numérique ». Qu’elle soit suisse, genevoise, ou appenzelloise. Le Canton de Vaud a donc, lui aussi, concocté sa stratégie numérique maison. Excellente initiative, avec d’excellentes propositions. On y apprend notamment qu’il va « favoriser l’innovation vaudoise par des commandes publiques ». Voilà pour les beaux discours. Passons à la réalité.

L’Association vaudoise des soins à domicile (AVASAD) a décidé cette année de remplacer les 4500 installations « Secutel » du Canton. Il s’agit de boutons d’alarme à activer en cas d’accident à la maison. Un système précieux, et… complètement désuet: quand on tombe dans les pommes, on n’appuie sur aucun bouton, on est dans les pommes. A l’heure des objets connectés, on se dit qu’il doit y avoir un moyen de détecter la chute d’une personne âgée sans lui demander de sortir du coma pour appuyer sur un bouton. Et devinez quoi? Ça existe. Une entreprise vaudoise permet de sécuriser intégralement une maison avec des capteurs, et ainsi détecter des troubles du sommeil, des mouvements inhabituels, et bien entendu une chute. Elle permet même d’anticiper cette chute, et d’éviter des frais d’hospitalisation. Bref, cette entreprise propose un système plus complet, plus efficace, et nettement moins coûteux que le bon vieux Secutel, à long terme.

Une entreprise vaudoise écartée au profit d’une allemande et d’une française, moins innovantes

Cette entreprise s’appelle Domosafety. C’est une start-up de l’EPFL. Elle a répondu à l’appel d’offres, avec de réelles chances de décrocher le marché public: la Croix-Rouge vient d’adopter sa technologie. Mais les Vaudois, eux, n’en veulent pas. Le comité de sélection cantonal a sélectionné deux finalistes: une entreprise française, et une allemande. Deux fabricants de boutons d’alarme en plastique. Ces trucs sur lesquels on doit appuyer, même si on est mort. Nos vaillants vaudois, arrivés troisièmes, sont donc écartés de la procédure avant la phase de tests auxquels sont soumis les deux fabricants de boutons en plastique franco-allemands. Argument du comité de sélection: la qualité du dossier Domosafety est jugée « très bonne », mais le « prix global plus élevé » a « pesé en leur défaveur ». Trop cher, donc. Le comité n’a ni vu le potentiel d’économies, ni remarqué que l’achat de boutons déconnectés, à l’heure de l’internet des objets, était un gaspillage public.

La schizophrénie cantonale, ou quand un département ignore la stratégie de l’autre 

Le Canton qui veut « favoriser l’innovation vaudoise par des commandes publiques » écarte donc une excellente start-up d’un marché public. La raison de cette apparente schizophrénie? Elle est simple: la « stratégie numérique » n’a pas été élaborée par le Département de la Santé, qui chapeaute l’AVASAD. Et qui n’aime pas le numérique, visiblement. Dans un récent débat public, le médecin cantonal affirmait que, je cite, « le numérique n’amène rien à la qualité de vie » et que « cela va s’éteindre tout seul ». Sans rire. Avant de conclure: « Je le souhaite ». Un département veut soutenir l’innovation vaudoise. L’autre veut qu’elle meurt. A petit feu. Avec ou sans bouton.

Moralité: les protectionnistes prennent le pouvoir partout. Et pendant ce temps, la Suisse, championne du monde de l’innovation, écarte ses start-up au profit de quincailliers franco-allemands. Résolument innovant.