Un effort extraordinaire a été fourni ces dernières semaines par le Secrétariat d’Etat aux migrations, les cantons et la société civile pour accueillir plus de 30’000 victimes de la guerre en Ukraine. La comparaison des chiffres entre les pays d’Europe montre que la Suisse est à la hauteur de ses ambitions humanitaires et l’un des premiers pays d’accueil [non-limitrophe de l’Ukraine] en proportion de sa population.
Afin de répartir la responsabilité de l’asile, la Confédération a recours depuis des décennies a une clé de répartition des demandeurs d’asile et réfugiés proportionnelle à la population des cantons. Une répartition qui est aussi pratiquée p.ex. par l’Allemagne entre les Bundesländer. La rapidité des arrivées de ces dernières semaines et le fait qu’une partie des Ukrainiens aient été hébergés dans des familles d’accueil ou chez des proches n’a pas permis de respecter cette clé de répartition. Le Tessin ainsi que les cantons urbains ont accueilli des effectifs disproportionnés de personnes, ce qui suscite des charges accrues et des défis pour le logement, les systèmes scolaires et de santé.
Cette situation suscite immanquablement des tensions et des cantons ont souhaité une application plus stricte de la répartition. La Confédération vient d’y répondre. Il sera désormais plus difficile pour une personne de choisir son canton, même en cas de présence d’amis ou de membres de la famille élargie : « Même les personnes qui, lors de leur enregistrement, indiquent qu’elles disposent déjà d’un logement privé doivent en principe à nouveau être attribuées aux cantons en respectant la clé de répartition ». Seules les personnes les plus vulnérables (orphelins, personnes handicapées, etc.) qui arrivent en groupe pourront rester ensemble, les autres groupes pouvant être séparés.
Les difficultés de la situation actuelles rendent les inquiétudes des cantons légitimes et ces mesures compréhensibles. Nous voudrions cependant lancer un appel à la prudence et à la flexibilité dans leur application. Ceci pour trois raisons issues des expériences du passé sur l’accueil des réfugiés et leur répartition.
- Ne pas compromettre l’auto-organisation. Permettre aux personnes en fuite de se rendre là où elles ont des attaches peut grandement favoriser l’intégration et en réduire les coûts. Même si elle passe souvent inaperçue une part significative de l’appui aux exilés se déroule via des réseaux informels qui risquent d’être brisés par une répartition géographique forcée.
- Favoriser l’insertion économique. Les possibilités d’insertion sur le marché du travail varient grandement selon cantons et régions. On peut faire l’hypothèse que les villes sont plus propices à l’insertion pour une majorité, mais aussi que certaines personnes ont des compétences spécifiques – linguistiques entre autre – qui seront mieux valorisées dans certains cantons que dans d’autres.
- Ne pas ajouter des souffrances à la fuite. D’un point de vue humain, la présence d’un réseau social contribue grandement à rendre l’exil supportable. Ainsi les membres d’un même village, à fortiori d’une même famille élargie, vivraient comme un traumatisme supplémentaire une séparation forcée à l’arrivée.
Que doit dès lors répondre la Confédération aux cantons qui estiment supporter une charge d’accueil disproportionnée ? C’est là que d’autres formes d’équilibrage sont nécessaires. Des moyens financiers conséquents doivent en particulier être garantis aux cantons accueillant une plus grande proportion de personnes. Des appuis en personnels devraient aussi être prévus au besoin, de même que d’éventuels transferts de ressources des cantons épargnés vers les cantons en première ligne. L’habitude de la péréquation financière et du fédéralisme mettent la Suisse en bonne position pour imaginer de telles solutions pragmatiques. Les cantons auront sûrement la sagesse de le comprendre, d’autant plus que si l’accueil d’exilés est une charge dans un premier temps, il est souvent bénéfique à plus long terme.