Seymour Hersh est une légende vivante du journalisme d’investigation. On ne compte plus les révélations qu’il a faites après des mois d’enquête. Quand il était à Associated Press, le Chicagolais avait découvert que les Etats-Unis étaient en train de constituer un vaste stock d’armes chimiques et biologiques en pleine guerre du Vietnam. Comme le rappelle le Washington Post, il avait décrit les horreurs commises par l’armée américaine dans le village vietnamien de My Lai. Il avait mis en lumière les efforts de déstabilisation menés par l’administration de Richard Nixon en 1973 pour renverser le président chilien Salvador Allende ou encore le programme nucléaire secret israélien. En 2004, le journaliste publia dans le New Yorker la terrible histoire de la torture dans la prison américaine d’Abou Ghraib en Irak.
Ses faits et gestes sont des actes considérés comme presque héroïques dans la profession. Aujourd’hui toutefois, Seymour Hersh vient de publier dans la London Review of Books un article démontant la version officielle du raid d’Abbottabad au Pakistan pour capturer, puis tuer Oussama ben Laden, à l’époque chef d’Al-Qaida. Selon lui, Ben Laden ne vivait pas dans le secret dans sa maison d’Abbottabad. Il était prisonnier des renseignements pakistanais qui le détenait pour en retirer de l’argent avec l’appui de l’Arabie saoudite. Les renseignements américains ont-ils permis de mettre la main sur le chef d’Al-Qaida, se demande le Washington Post. Non, répond Seymour Hersh. Ils ont obtenu les renseignements des Pakistanais qui ont pu toucher une partie des 25 millions de récompense prévue pour ceux qui fourniraient des renseignements décisifs. Seymour Hersh conteste même le fait que Ben Laden a été jeté à la mer après des funérailles sur un navire américain. Il a, poursuit-il, été largué d’un hélicoptère au moment où celui-ci quittait le Pakistan.
Dans un langage à la limite de la vulgarité, Seymour Hersh est sûr de son coup. Mais cette fois, ses confrères doutent de la qualité de son travail. Peu vraisemblable et pas vraiment sourcé. Un travail qui confine à la théorie du complot. Le journaliste vedette y voit de la jalousie. Il se montre inutilement critique envers Andrea Mitchell, la journaliste de NBC en ne mentionnant pas son nom, mais en la décrivant comme la compagne d’un ex-président de la Réserve fédérale (Alan Greenspan). Les instances officielles, la Maison-Blanche, le Pentagone ou encore l’Agence nationale de sécurité dénoncent des affabulations.
Si ce n’était pas Seymour Hersh, 78 ans, explique le Washington Post, personne ne prêterait attention à l’article du journaliste. Un essai similaire avait été écrit par la blogeuse R.J Hillhouse qui accuse d’ailleurs Hersh de plagiat. Mais comme le souligne le journaliste vedette du WP, Bob Woodward, il ne faut “jamais sous-estimer Seymour Hersh”. Ce dernier a d’ailleurs récemment obtenu le soutien d’une journaliste du New York Times, Carlotta Gall qui a passé de nombreuses années au Pakistan et en Afghanistan. De sources haut placées dans les Renseignements pakistanais, explique-t-elle, les Pakistanais cachaient et protégeaient Ben Laden. De plus, un officier de l’armée pakistanaise a, selon ses sources, dit à la CIA où la figure tutélaire d’Al-Qaida se trouvait.
Pour se défendre, Seymour Hersh mentionne le scandale de la NSA révélé par le lanceur d’alerte Edward Snowden. Personne, dit-il, n’aurait imaginé un tel degré de surveillance perpétrée par l’Etat. Un article sur la Syrie de Seymour Hersh a néanmoins été refusé par le New Yorker et le Washington Post qui le trouvaient insuffisamment solide.