"Les pratiques de torture, de restitution (de prisonniers) et d'emprisonnement sans une procédure régulière garantie par les Etats-Unis peuvent avoir d'importantes répercussions. Nés du concept d'égalité inhérente de tous devant la loi, les Etats-Unis ont été depuis leurs débuts un exemple qui serait suivi par d'autres pays et régions du monde. Pendant plus de deux siècles, cela a été l'idéal des Lumières porté par les pères fondateurs de l'Amérique qui a changé la civilisation sur terre pour le meilleur et fait des Etats-Unis un géant dans le concert des nations."
Dans une lettre adressée à Barack Obama, douze lauréats du Prix Nobel de la Paix exhortent le président américain à publier le rapport de la Commission du Renseignement du Sénat sur la torture et les prisons de la CIA (photo Keystone). Pour l'heure, sa publication est retardée. La Maison-Blanche avait laissé la CIA revoir certains passages du rapport qui pouvaient selon elle poser problème. La CIA s'est exécutée et a soumis une nouvelle version du rapport à quelques sénateurs dont Dianne Feinstein, la présidente de la commission sénatoriale. Or celle-ci a jugé inacceptable la manière dont la Central Intelligence Agency a "caviardé" le document. Elle l'a renvoyé à son expéditeur. Aujourd'hui, on attend toujours.
Dans ce contexte, Barack Obama a bien admis en début d'été que les Etats-Unis avaient bien pratiqué la torture dans des prisons secrètes de la CIA où furent détenus des dizaines de présumés terroristes liés à Al-Qaida ou autres mouvements terroristes. Mais pour des raisons qui échappent à nombre d'observateurs, il n'a pas souhaité publier le rapport sans que la CIA puisse le réviser, laissant toutefois à celle-ci une marge de manoeuvre beaucoup trop grande et courant le risque de vider le rapport de sa substance.
Pour que l'Amérique puisse toujours servir de modèle démocratique, ce travail sur son passé est incontournable. Les douze Nobel de la Paix le martèlent dans la missive au président démocrate: "Au cours des dernières décennies, en acceptant l'usage flagrant de la torture et d'autres violations du droit international au nom de la lutte contre le terrorisme, des responsables américains ont érodé ces libertés et droits que des générations avant eux ont défendus au sacrifice de leur vie. Ils ont ainsi montré un exemple qui va être suivi par d'autres et qui sera utilisé pour justifier l'usage de la torturepar divers régimes dans le monde, y compris contre des soldats américains à l'étranger. En se fourvoyant, ils nous ont rendus vulnérables."
Les Nobel mettent en garde: "Du monde entier, nous allons observer, car au cours des prochaines semaines la publication des conclusions du Sénat sur le programme de torture américain mènera le pays à un carrefour. Il s'agira de voir si les Etats-Unis fermeront les yeux par rapport aux effets de leurs actions sur leur propre peuple et sur le reste du monde ou s'ils vont prendre les mesures nécessaires pour récouvrer les normes sur lesquelles le pays a été fondé et adhérer à nouveau aux conventions internationales qu'ils ont aidé à mettre en place."
Ils appellent Barack Obama à prendre les mesures suivantes:
– révéler en totalité l'usage extensif de la torture et de la détention orchestrées par des soldats américains, des milices privées et par des responsables politiques américains.
– s'assurer de la fermeture et du démantèlement des "prisons secrètes" de la CIA à l'étranger qui ont servi de lieux de torture
– planifier clairement la fermeture de la prison de Guantanamo qui reste l'un des exemples les plus criants de détention sans la moindre procédure judiciaire
– adopter une politique claire et ferme qui réaffirme les Conventions de Genève ainsi que la Convention contre la torture et réaligner le pays sur les idéaux de ses pères fondateurs afin que les Etats-Unis redeviennent un pays qui a valeur d'exemple.
Pour Barack Obama, l'enjeu est considérable. Lui-même Prix Nobel de la paix, il laisserait sans doute une tache noire dans son bilan s'il ne faisait pas toute la lumière sur ce chapitre noir de l'histoire récente de l'Amérique. Desmond Tutu, José Ramos-Horta, Mohamed ElBaradei, Leymah Gbowee, Muhammad Yunus, Frederik de Klerk, Oscar Arias Sanchez, John Hume, Jody Williams, C.X Belo, Betty Williams et Adolfo Peres Esquivel en sont persuadés. L'ancien politique Dick Marty, qui conduisit une vaste enquête sur le sujet n'en pense sans doute pas moins.