“Camp X-Ray”, le premier film sur la prison de Guantanamo

La prison de Guantanamo suscite davantage de réactions virulentes en Europe et ailleurs dans le monde qu'aux Etats-Unis. Aujourd'hui, la perspective de fermer la prison qui détient encore près de 80 détenus accusés de rien et 70 prisonniers dit "dangereux" semble s'éloigner en raison d'un Congrès américain hostile à une telle mesure et d'une relance de la guerre contre le terrorisme (Etat islamique). Barack Obama aimerait supprimer ce symbole qui sape les valeurs de la démocratie américaine. Mais il fait face à des obstacles pour l'heure insurmontables.

Peter Sattler a sans doute conscience de ces contingences. Réalisateur d'un film, "Camp X-Ray" qui porte le nom du centre de détention utilisé en 2002 dès l'arrivée des premiers terroristes présumés en provenance d'Afghanistan et qui est aujourd'hui abandonné à la dense végétation de Cuba, il a accordé une interview à Télérama peu après la présentation du film au festival de Deauville:

Pourquoi ce silence du cinéma sur Guantanamo ?
Il y a une réalité économique. C’est difficile de monter un projet comme ça. Guantanamo est un sujet très délicat, je le savais dès le début. Cela n'allait certainement pas être un film qui allait intéresser les grands studios. Les Américains ont passé tellement de temps à l'ignorer, qu'il est difficile de les convaincre de prendre un peu de leur vendredi soir pour aller regarder frontalement cette situation créée par leur propre pays. Mais fort heureusement, le cinéma indépendant aime prendre des risques. Et les acteurs aussi : je pense que c'est une des raisons pour lesquelles Kristen Stewart voulait faire ce film : c'est un rôle en dehors de sa zone de confort.

Pourquoi un film sur Guantanamo ?
J'ai toujours été fasciné par Guantanamo. Cette situation est très étrange, même absurde, elle m'a toujours interpellé. L'idée même que ce lieu existe ressemble à un mauvais livre de science-fiction. En tant que réalisateur, j’aime les idées simples. Alors quand j’ai compris que les gardiens et les détenus étaient coincés là-bas et pouvaient se parler, j’ai trouvé l’idée de mon film : quelles conversations pourraient avoir un détenu et son geôlier ? Ça m’a permis en tant que réalisateur d'aborder la problèmatique de Guantanamo sans faire un film disant aux gens quoi penser. Je ne voulais pas faire un film de propagande. Pour moi, c’était une façon de parler de Guantanamo, presque sans en parler.

Comment avez-vous travaillé ?
J’ai fait des heures, et des heures, et des heures de recherches. J’ai lu tous les livres que je pouvais lire, regardé tous les documentaires possibles, consulté quantité d’articles de presse, regardé des milliers de photos. Beaucoup de soldats et de détenus ont écrit des mémoires. Une des sources fiables sur lesquelles on pouvait s’appuyer, c’est Wikileaks. Ils ont diffusé un document sur la procédure élémentaire de vie dans le camp. C’est un document énorme, fait par le gouvernement, sur la façon dont le camp doit être géré. Dedans, il y a tous les détails – comme le font les militaires – sur la nourriture autorisée, les brosses à dents qu’ils doivent utiliser… et c’est ce que je voulais montrer : les détails précis de la détention.


Que savez-vous de la situation à Guantanamo aujourd’hui ?

Guantanamo a été construit sur les cendres du World Trade Center. Ils ont commencé à y détenir des gens cinq mois après le 11-Septembre. C’était le Far West. Aux Etats-Unis, tout le monde souffrait d’un choc psychologique : la blessure d’avoir été attaqué et de se sentir si vulnérable. En me documentant, j’ai vu que oui, il y avait eu des tortures abominables là-bas. Des choses atroces s’y sont produites. Mais ce que j’ai trouvé plus intéressant, c’est qu’aujourd’hui, rien de tout cela ne se passe. Dans cette situation très bizarre, sans issue, tout le monde attend. La « banalité » de la vie là-bas aujourd’hui me fascine. C’est facile de faire un film sur Guantanamo et montrer un soldat qui torture un détenu. Instantanément, le public se dit : c’est le soldat le méchant, le détenu la victime. Admettons que Guantanamo soit aujourd’hui un endroit très agréable où tout le monde est traité avec respect. N’est-ce quand même pas une mauvaise chose que de les garder là-bas, sans leur donner de réponse, ou de moyen de penser à leur avenir ?  Obama veut fermer Guantanamo. Mais le Congrès a voté une loi disant que les détenus ne pouvaient pas être accueillis sur le sol américain. Ils ne peuvent donc pas être jugés après un vrai procès, qui les conduirait dans une prison normale, s’ils sont reconnus coupables. Et certains pays refusent aussi de les accueillir. C’est une situation inextricable.

Quelles ont été les réactions dans la presse américaine après la projection de Camp X-ray à Sundance ?
On a eu toutes les réactions. Certains ont dit qu’on était trop sympathique avec les détenus, avec « les terroristes ». D’autres ont dit que nous ne l’étions pas assez. Qu’on devrait aller plus loin et châtier l’armée américaine pour ce qu’elle fait. Ou encore, qu’on avait raté l’opportunité de faire passer un message définitif. Seulement moi, je ne sais pas ce qu’on doit faire avec Guantanamo. C’est un problème aux réponses infiniment complexes. Le message que je voulais faire passer, c’est que ces détenus, quoiqu’ils aient fait, sont des êtres humains, et ont des droits. Sur Internet, il y a eu beaucoup de commentaires sur la bande-annonce. Des gens qui n’ont pas vu le film ! On m’a accusé d’être trop libéral. Puis trop conservateur. Ces réactions montrent à quel point le sujet est sensible. Mais moi, je ne veux exclure personne. Que tu sois républicain ou démocrate, tu fais partie de la conversation. Et je veux que chaque camp puisse regarder le film sans se sentir accusé.

Un extrait du film:

 

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