Carte des pays fragiles selon The Fund for Peace

Attention fragile

La fragilité, la pauvreté et la violence se renforcent mutuellement. C’est aussi valable pour les États.

J’emprunte le titre de ce billet à une chanson de Bernard Lavilliers. Les musiques et les mots du chanteur-voyageur me paraissent particulièrement convenir comme bande-son au vote, par les Chambres fédérales, du crédit-cadre en faveur de la Coopération au développement. L’approbation du crédit de 11 milliards doit encore passer en votation finale vendredi prochain.

Ce qui m’intéresse dans l’histoire, c’est le poids des mots. La vision stratégique de la Confédération, entérinée la semaine dernière par le Conseil des États, est empreinte de la notion traditionnellement rattachée à la coopération au développement, la lutte contre la pauvreté. Or, dans un monde de crises et de changements, on a vu depuis 15 ans apparaître la notion de fragilité.

“La fragilité de l’État est l’un des principaux obstacles à une lutte efficace et durable contre la pauvreté.” Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais le site du Département suisse des Affaires étrangères (DFAE).

Cercle vicieux

Qu’est-ce qu’un État fragile? “Les acteurs internationaux s’accordent pour désigner par ce terme des situations où les institutions étatiques sont faibles ou instables et dans lesquels la pauvreté, la violence, la corruption et l’arbitraire politique font partie du quotidien. Les structures étatiques ne peuvent ou ne veulent pas assurer les fonctions de base de l’État dans les domaines de la sécurité, de l’état de droit et des services publics. Une relation constructive entre les autorités et la population fait souvent défaut dans ces pays.” (Je continue de citer le DFAE).

Et c’est un cercle vicieux: La fragilité, la pauvreté et la violence se renforcent mutuellement.

Selon la Banque mondiale, les taux de sous-nutrition et de mortalité infantile sont deux fois plus élevés dans les États fragiles que dans les autres pays en développement. De même, le pourcentage des enfants non scolarisés et celui des personnes n’ayant pas accès à l’eau potable sont respectivement trois et deux fois plus élevés dans les États fragiles.

58 Etats fragiles au moins

L’Organisation pour la coopération  et le développement économique (OCDE) publie des rapports sur les États fragiles depuis 2005. Elle répond ainsi “aux préoccupations grandissantes que suscitent les retombées de la fragilité sur la stabilité et le développement, en particulier dans le contexte du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et de l’engagement international à ne laisser personne de côté”, écrit l’OCDE en préambule de son Rapport États de fragilité 2018.

Le monde compte au total 58 États fragiles, avec 15 États d’extrême fragilité et 43 États fragiles, selon l’OCDE. Cela représente, hélas, deux pays de plus que dans le précédent rapport, qui date de 2016. Avec la crise du Coronavirus, mais pas seulement, on peut craindre ce que nous révélera le rapport de 2022 avec les données de 2020…

Dans la liste de l’OCDE, on trouve certes, et sans surprise, de nombreux pays d’Afrique. Mais aussi des pays d’Asie, du Proche-Orient et d’Amérique centrale. Concernant l’Amérique centrale, de l’avis de tous les observateurs, le contexte économique et politique s’est gravement péjoré au cours des deux dernières années. Ces faits, n’ont, forcément, pas pu être pris en compte dans le rapport de 2018. La détérioration de la situation dans cette région du monde rend d’autant plus incompréhensible la volonté, de la part de la Confédération, de fermer ses bureaux de coopération au développement en Amérique latine.

Amérique centrale

Cela m’amène à faire un détour au Nicaragua, en proie à une crise politique sans précédent depuis la guerre civile. Détention arbitraire, hausse de la violence contre les femmes, intimidation, menaces et meurtre: la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a dressé un tableau sombre de la situation, dans sonrapport rendu lundi dernier.

 Avec la pandémie de Covid-19, “la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) a prévu, en outre, une contraction de 8,3 % de l’économie du pays cette année, avec une augmentation des taux de pauvreté d’environ 5 %, et une augmentation du chômage. L’État a répondu à ce constat par des violations de la liberté d’expression et le licenciement de membres du personnel médical”, indique le Haut-Commissariat.

Dans un contexte international aux changements rapides et extrêmes, le Nicaragua n’est qu’une illustration, parmi d’autres, qu’il est imprudent de fixer des priorités par trop catégoriques en terme d’action régionale.

Avec son travail sur les États fragiles, l’OCDE “vise à veiller à ce que la fragilité demeure aux premiers rangs des priorités internationales en matière de développement”. Rendez-vous dans quatre ans pour voir si la Confédération en tient davantage compte dans sa stratégie.

Pour continuer la lecture

Le Fonds pour la Paix publie son propre index des États fragiles (en anglais).

Carte des pays fragiles selon The Fund for Peace
Carte (c) The Fund For Peace

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.

Une réponse à “Attention fragile

  1. La derive est generale, en Suisse.
    La cooperation au developpement est plus que jamais au service du retour sur investissement.
    De meme que ses ambassades et consulats servent plus a la promotion des entreprises suisses qu’a la defense de leur pays ou de leurs expats 🙂

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