The Young Pope : la folie du pouvoir

La série la plus attendue de l’automne est à l’image de l’œuvre cinématographique de son auteur : brillante, dense, paradoxale. Décryptant les rouages du Saint-Siège avec une outrance révélatrice, Paolo Sorrentino pointe les dangers de faire reposer le pouvoir sur les épaules d’un seul homme. 

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The Young Pope : Bande-annonce

Diffusion : Canal plus

L’histoire : À 47 ans, Lenny Belardo est le plus jeune cardinal et le premier Américain à accéder à la fonction papale. Contre toute attente, l’homme se révèle despotique et animé par un délire fondamentaliste.

The Young Pope © Canal plus

« I’m a contradiction. Like God. »

Depuis la projection de ses deux premiers épisodes à la Mostra de Venise, The Young Pope est sur toutes les lèvres. À quoi pouvait-on s’attendre, sachant que la série est l’œuvre de l’un des cinéastes les plus clivants de sa génération ? Conspué par les uns, adulé par les autres, Paolo Sorrentino l’avait annoncé : s’il s’adapte aux exigences du format sériel, The Young Pope est avant tout un « grand film d’auteur ». Diffusée depuis le 24 octobre sur Canal+, la série se révèle à la démesure de son créateur : une œuvre hors norme, formellement éblouissante, mais qui ne conviendra pas à tous les publics.

Un polar politique brillant

The Young Pope © Canal plus

Tout commence par une hyperbole. Pour décrypter la dynamique du pouvoir, Paolo Sorrentino place au centre de l’échiquier un souverain pontife jeune, beau et inexpérimenté. Destiné à devenir la marionnette du secrétaire d’État au Vatican, le Saint-Père dévoile un visage stupéfiant : celui d’un despote machiavélique et délirant, qui pense avoir été désigné par Dieu pour mener une révolution fondamentaliste. Face à cet homme fou à lier, qui pulvérise toutes les conventions et exhorte les fidèles à la dévotion absolue, les membres de la curie sont totalement démunis.

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Accusé par une partie de la presse italienne de mener une charge anticléricale, Paolo Sorrentino se garde pourtant de tomber dans le piège de la satire. S’il relève avec une pointe d’ironie les contradictions du clergé, l’auteur ne donne pas de leçon et démontre à l’inverse que, malgré son conservatisme, le Vatican n’est pas réfractaire au changement. À son rythme.

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En disséquant les schémas des jeux de pouvoir de la curie, Sorrentino s’attache avant tout à relever l’absurdité et les dangers des manœuvres politiques qui peuvent amener une institution à confier l’autorité à une personne incompétente. Un mal contemporain. « Power is knowledge », affirme avec aplomb le cardinal Voiello (Silvio Orlando). Cette vérité indubitable est-elle encore valable au XXIème siècle ?

Le Pape, une icône pop 

The Young Pope © Canal plus

Avec le sens de l’irrévérence qui le caractérise, Sorrentino pose frontalement la question de la représentation collective. Qu’est-ce que le Pape aujourd’hui sinon une icône pop, représentée sur des assiettes et des tee-shirts, au même titre de Lady Di ou Madonna ? Le jeune Pie XIII l’affirme sans sourciller : il doit être aussi intouchable qu’une rock star.

Ses modèles (évidemment grotesques) : Salinger, Kubrick, Banksy, Daft Punk. Des artistes qui  « s’effacent derrière leur création ». Droit dans ses bottes, Pie XIII annonce sollennement qu’il refuse d’être photographié et ne doit jamais être représenté.

The Young Pope © Canal plus
« I do not have an image, because I am no one. Only Christ exists. » © Canal plus

Mais Pie XIII refuse-t-il d’être représenté parce qu’il n’est « personne » ou parce qu’il se prend pour Dieu ? « I am God », affirmera-t-il plus tard (pour le bonheur des psychanalystes). Le parti pris radical de Sorrentino s’avère en tout cas audacieux, à l’époque où la question de la représentation du Prophète suscite tant de conflits.

Jude Law : héros shakespearien

The Young Pope © Canal plus

L’idée de génie de Paolo Sorrentino est d’avoir confié le rôle principal de The Young Pope à Jude Law. L’acteur britannique incarne à la perfection la dualité du pape Pie XIII, vrai héros shakespearien. Si Lenny Belardo est devenu cet être pétri de contradictions, c’est que l’homme traîne une blessure narcissique béante.

The Young Pope © Canal plus

Abandonné par ses parents, le jeune pontife a été élevé par une religieuse aimante (Diane Keaton) et guidé par un mentor bienveillant (James Cromwell), qu’il tuera symboliquement en subtilisant sa place sur le trône papal. Mais il reste profondément seul.

« I search everywhere, I pray everywhere, but I don’t see God. Because I don’t see my father, my mother. »

Rejoignant la liste des âmes errantes qui peuplent la filmograhie de Sorrentino, Pie XIII perd pied lorsqu’il devient souverain pontife. Lui qui n’a pas eu de parents et ne peut ainsi croire en Dieu se retrouve propulsé Saint-Père. Statut intenable pour un esprit perturbé.

Assoiffé de vengeance, pensant son âme condamnée, le petit Lenny (Sorrentino a parfaitement su déceler le côté juvénile de Jude Law) se tourne continuellement vers l’image originelle de la mère, matérialisée à la fois par la Vierge et la Vénus de Willendorf, qui trône dans son bureau.

The Young Pope © Canal plus
« It all comes back to this in the end, doesn’t it? To the mother. » © Canal plus

Beauté formelle éblouissante
Au-delà de son intrigue et de son message politique brillant, The Young Pope se démarque par sa beauté formelle éblouissante. Oscillant entre classicisme et modernité, Paolo Sorrentino fait durant dix épisodes la démonstration de l’étendue de son génie.

The Young Pope © Canal plus

The Young Pope © Canal plus

The Young Pope © Canal plus

The Young Pope © Canal plus

La composition picturale rappelle autant l’œuvre de Peter Greenaway que les tableaux de la Renaissance. Les travellings et certaines scènes (l’homélie qui clôt l’épisode 2 en particulier) semblent tout droit extraits de la filmographie de Stanley Kubrick.

The Young Pope © Canal plus

On retrouve enfin en filigrane l’univers si singulier de Fellini et tout ce qui caractérise le cinéma de Sorrentino : l’extravagance, la démesure, le symbolisme et un onirisme somptueux. Sans oublier la bande-son mi-classique mi-électro-pop que l’auteur affectionne.

Délesté des principaux tics et défauts de ses longs-métrages, Sorrentino livre l’une de ses œuvres les plus abouties. Un « grand film d’auteur », tel que le cinéaste l’annonçait, qui irritera ses détracteurs, éblouira les autres, mais dont le rythme lent – il faut le souligner – ne conviendra pas à tous les publics.

Emilie Jendly

Emilie Jendly est spécialiste en communication et journaliste RP, de nationalité suisse et française. Passionnée de séries télévisées, elle présente ici les nouveautés à ne pas manquer. Spoil prohibé.