La place fédérale : l’agora de la capitale

Depuis 1925, l’interdiction de manifester sur la Place fédérale pendant les sessions parlementaires est en vigueur. Si la gestion de l’occupation du domaine public est une responsabilité de la ville de Berne, l’avis du Parlement a toujours été prépondérant. En effet, l’Assemblée fédérale, dans sa majorité et depuis 75 ans, s’est toujours opposée à tout rassemblement de citoyen.ne.s devant son palais alors qu’elle y siégeait.

Au-delà des rumeurs qui pourraient importuner la concentration du travail parlementaire, il est aussi évoqué l’influence que pourrait avoir certains groupes sur les élu.e.s qui transitent sur la place.

Cette place n’est-elle pourtant pas un lieu d’expression par excellence ? Nichée au cœur de la ville, face au palais fédéral, élément central de la démocratie suisse, cette place n’est-elle pas l’agora de la capitale ? A l’image de la place des Nations à Genève, face à l’ONU, qui reçoit au quotidien le témoignage de communautés, d’associations, de collectifs qui interpellent l’opinion publiques et les organisations internationales.

Notre pays a du mal à faire cohabiter ses différentes formes d’expression quand elles sortent du parlementarisme stricto sensu et de la démocratie directe : jusqu’ici, certain.e.s espéraient que notre démocratie directe étouffe à elle toute seule l’expression de la rue, les manifestations de toutes celles et tous ceux qui estiment que le tempo parlementaire ou de celui de nos sessions de votation va trop lentement. Et c’est un droit d’utiliser d’autres canaux, pacifiques et respectueux, pour exprimer sa résistance.

Sur ces places hautement symboliques, l’écho porte plus loin. Il est visible. Cet écho fait donc peur à certain.e.s. Pourtant, c’est la base même de notre démocratie, le lien avec la réalité, avec le quotidien.

Comment comprendre aujourd’hui l’évacuation des manifestant.e.s pour le climat, alors même que les lobbys sont confortablement installés dans une salle réservée dans le palais et que certains font même partie du rôle parlementaire d’élu.e.s. La population doit pouvoir s’adresser directement aux Chambres fédérales pour faire part de ses préoccupations. Les sessions sont l’occasion idéale de faire connaître ses intérêts et ses revendications publiquement et à l’adresse des personnes élu.e.s par le peuple. Pas de restriction à la liberté d’expression !

Delphine Klopfenstein Broggini

Delphine Klopfenstein Broggini est conseillère nationale et présidente des Vert-e-s genevois-es. Elle est membre des commissions de l'environnement, de l'énergie et de l'aménagement du territoire et des institutions politiques. Au niveau associatif, elle est membre du comité de Pro Natura et vice-présidente de Pro vélo suisse. Elle est sociologue de formation.

12 réponses à “La place fédérale : l’agora de la capitale

  1. Je respecte entièrement votre point de vue. Néanmoins, seriez-vous prête à tolérer de la même manière des manifestants prônant l’interdiction du mariage homosexuel ou l’avortement ?

      1. Et si ce n’est pas le cas?
        Vous êtes convaincue d’être dans le camp majoritaire et dans le camp du bien. Mais que feriez-vous si vous découvriez horrifiée que des milices identitaires se sont mieux organisées et sont plus nombreuses le jour de la manif? N’appeleriez-vous pas (à raison) aux heures les plus noires et à l’intervention de la police ??

        La difficulté est que les activistes du climat représentent la pensée majoritaire, mais utilisent les moyens de groupuscules minoritaires. C’est donc votre travail de les faire réintégrer les chemins démocratiques! Pas de les soutenir pour quelques voix.

        A ce défaut, je me réjouirai toujours de l’intervention non violente des forces de l’ordre (face à ce désir de chaos de groupuscules portées par la vague verte, mais aux moyens plus que discutables).

        Réveillez-vous: cette manifestation n’était pas acceptable.

      2. Vous êtes donc en train de dire que vous préféreriez participer aux manifestations plutôt que d’assister aux sessions parlementaires et faire ce que vos électeurs attendent de vous en tant que conseillère nationale élue ? L’interdiction en vigueur depuis 1925 n’est pas si mal en fin de compte…

  2. Eviter les dérives de violences semblent normal. Avant la guerre, la politique n’était pas apaisée, et maintenant, ça se tend à nouveau.

    L’influence de ces lettreux, je n’y crois pas. Mais imaginer, un groupe de personne, genre fanatique de Trump, on peut imaginer que dans ce cas, oui.

    Ce que je trouverais acceptable sur cette place, ce serait l’installation de petits drapeaux, avec pourquoi pas, un mot de doléance attaché. Ces doléances seraient regardés en sessions. Ca ne devrait pas venir de partis politiques, de lobbystes ou d’ ONG, mais de groupe de citoyens.

  3. Si les lobbyistes sont acceptés au sein du parlement pour y faire valoir leurs arguments essentiellement économiques auprès des élus, quitte à s’acquitter de quelques notes de restaurants ou de petits déjeuners (avec publicité bien évidemment), je ne vois pas pourquoi des jeunes en soucis avec l’évolution actuelle du climat et de la biodiversité ne seraient pas admis au sein du parlement pour y faire valoir leurs arguments. Peut être que ces jeunes devraient améliorer la forme de leurs interventions pour gagner en audition.

    1. Il me semble que dans chaque parti politique, il existe une formation des jeunes qui peuvent justement faire valoir leurs arguments avec les députés de leur même parti. Et ils le font. En quoi est-ce que les manifestants de ces groupuscules illégitimes auraient droit à être plus entendus que les jeunes Verts, les jeunes socialistes, les jeunes PDC, les jeunes PLR et les jeunes UDC ?

  4. Bel article plein de courage. Merci
    Je rajouterai un peu d’histoire pour étayer vos propos:
    Après la grève générale de 1918 la Suisse à été bord de la guerre civile 250 000 travailleurs de toute la Suisse étaient descendus dans les rues pour demander des conditions de travail justes pour tous.
    L’élite politique qui avait peur, mobilise l’armée pour réprimer la grève générale. Un soldat fut tué sur la place à Zurich.
    Les élites froussardes ont donc promulgué en 1925 une loi pour empêcher le peuple de s’exprimer sur la place fédérale afin de ne pas écorner l’image paisible de la Suisse au yeux du monde.
    Donc le peuple a décentralisé ses actions dont une, le mercredi 9 novembre 1932. l’armée tira sur la foule lors d’une manifestation à Genève. Bilan: 13 morts et 65 blessés.
    Mauvaise image de marque pour la Suisse ! Mais nos élites à Berne n’ont pas vu passé les balles …..
    N’est-ce donc pas pour éviter que le monde puisse voir le visage de la Suisse répressive envers son peuple qu’il est encore interdit de manifester sur la place fédérale ?
    La Suisse doit se montrer tranquille, calme et paisible aux yeux du monde. Encore une matière de cacher sous le tapis ce qui gronde et que nos élites ne perçoivent pas à l’abri de leur Palais car en plus ils doivent resté hyper-concentré sur leur travail de représentation de lobbyistes…

    1. @ Bonvin : de quoi vivent ces manifestants ? de l’air du temps ou reçoivent-ils de l’argent de ???
      (la question est ouverte)

  5. Comment comprendre aujourd’hui l’évacuation des manifestant.e.s pour le climat (de la place Fédérale) ?
    Peut-être parce que nous vivons dans un état de droit où l’on fait respecter les lois; non?
    Est-ce qu’il ne faut pas travailler au niveau des législatifs pour faire changer la loi qui interdit ces manifestations plutôt qu’exiger qu’on tolère que la loi ne soit pas respectée pendant les sessions de notre plus haute assemblée législative?

      1. Compétence de la ville … où vous êtes majoritaires ! C’est étrange de demander qqch à un niveau (fédéral) inadéquat, mais se taire où vous êtes majoritaires et donc en pouvoir d’intervenir…

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