Négatif ou positif, telle est la question

Dans les milieux économiques européens, la salve n’est pas passée inaperçue: ce début octobre, une escouade d’anciens banquiers centraux allemands, néerlandais, français et autrichiens – dont deux ont occupé le poste de chef économiste au sein de la Banque centrale européenne (BCE) – a publié une lettre attaquant frontalement la politique monétaire de l’établissement. Ces personnalités accusent la BCE de poser «un faux diagnostic» et d’enfoncer le Vieux-Continent dans la crise en croyant la résoudre par une accentuation des mesures de facilitation de l’accès au crédit – nouveau palier à la baisse du taux de dépôt à -0,5%, et reprise du programme de «quantitative easing» d’une valeur totale de 2600 milliards d’euros via des achats obligataires.

La critique, qui est sans précédent dans l’histoire de la BCE, reflète des tensions exprimées au sein même de la banque après que Mario Draghi a justifié ce nouveau train de mesures par la nécessité de soutenir une économie européenne menacée de récession, et de spirale déflationniste. Les signataires de la lettre contestent précisément ces arguments, estimant qu’ils ont déjà été servis à tort il y a cinq ans, et qu’ils ont conduit la BCE dans un état permanent de gestion de crise. Plus grave, disent-ils, la Banque centrale viole le Traité de Maastricht en finançant ainsi l’endettement des Etats-membres. Ils soupçonnent la BCE de pratiquer, au mépris de son devoir d’indépendance, une protection active des gouvernements qui creusent leur dette, contre le risque d’une remontée des taux.

Une question fondamentale

La polémique européenne pose une question fondamentale qui concerne aussi la Suisse, et qu’on peut résumer en un jeu de mots qui serait amusant si le sujet était plus léger: les taux négatifs sont-ils positifs pour notre économie? On ne parle pas ici d’une mesure passagère pour répondre à une crise aiguë dont on comprend les tenants et aboutissants. La lettre des banquiers centraux est là pour le rappeler: en Europe, cela fait cinq ans que l’argent ne coûte plus rien – sauf à ceux qui l’épargnent! Et la Suisse n’est pas en reste, qui pratique un taux encore plus négatif que la zone euro.

Y a-t-il une sortie possible de cette spirale? Faut-il en sortir alors que, face à nos voisins européens, nous maîtrisons sensiblement mieux notre endettement? Dans leur missive, les anciens banquiers centraux mentionnent deux éléments qui doivent faire réfléchir aux conséquences globales de la politique monétaire actuelle. D’une part, elle favorise les détenteurs d’actifs immobiliers par la quête de plus en plus éperdue de rendement, creusant ainsi les inégalités sociales. D’autre part, elle tend aussi les relations entre générations, les jeunes actifs ayant l’impression croissante qu’il leur sera impossible de financer leurs retraites. La BCE – et ses consœurs hors zone euro, BNS comprise – peut-elle encore contrôler la machine qu’elle a créé? Christine Lagarde, qui s’installe dans son bureau de Francfort le mois prochain, a un puissant casse-tête à résoudre.

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Fiscalement, une baisse peut cacher une hausse

C’est l’heure des budgets, et le verdict tombe, douloureux! La majorité des communes vaudoises ne baisseront pas leurs impôts en dépit d’un accord signé avec le canton dans le cadre de la réforme fiscale des entreprises. Une mauvaise nouvelle pour les contribuables et l’économie.

On pouvait s’en douter en découvrant, depuis plusieurs semaines, les projets de budgets communaux dans la presse régionale: la majorité des municipalités vaudoises ne respecteront pas l’accord sur la fameuse bascule fiscale conclu avec le canton, en automne dernier. Le deal – lié à la réforme de l’imposition des entreprises – était pourtant clair: l’État reprenait à sa charge les soins à domicile et augmentait d’un point et demi le taux d’impôt cantonal pendant que les communes diminuaient leur propre taux dans une mesure comparable. Le journal «24 Heures» estime cette semaine que deux Vaudois sur trois ne bénéficieront pas des baisses d’impôts promises. Ils subiront même une hausse, à vrai dire.

Pour le citoyen-contribuable, qui a très largement approuvé la RIE III, puis la RFFA dans les urnes, la pilule est dure à avaler. Il a de quoi se sentir floué. Les communes, en ne jouant pas le jeu des vases communicants, contribuent à alourdir une fiscalité qui devient gentiment insupportable. Dans ce contexte, le canton pourrait faire un geste, lui qui affiche depuis de nombreuses années une santé financière à faire pâlir les grands argentiers de tout le pays. Au lieu de saler sans cesse la facture fiscale individuelle, il serait bien inspiré d’alléger la pression sur les contribuables, qui ont largement participé au renflouement des caisses de l’État grâce à la loi cantonale sur les impôts directs, entrée en vigueur en 2001.

Si l’on veut pouvoir maintenir l’attractivité du canton de Vaud et, accessoirement, financer un État social, l’argent doit impérativement rentrer dans les caisses! Cela passe clairement par une fiscalité attractive, un domaine où notre canton est hélas loin de jouer les premiers de classe. De nombreuses communes ont annoncé ces mois derniers le départ de contribuables importants vers des horizons contributifs plus attractifs. Les pantalonnades fiscales auxquelles on assiste aujourd’hui n’arrangent à l’évidence pas les choses.

Un exemple à suivre

Plutôt que de prendre Picsou comme modèle, Vaud devrait méditer l’exemple neuchâtelois. Connu loin à la ronde pour sa fiscalité dissuasive, notre voisin du nord a décidé, en juin dernier, de baisser significativement l’imposition des entreprises, mais aussi et surtout celle des personnes physiques. Si elle bénéficiera en particulier aux familles actives disposant d’un logement propre, la réforme améliorera la situation financière de tous les contribuables, y compris les plus aisés. Un bon moyen d’éviter l’exode de certains assujettis. Responsable des finances neuchâteloises, le conseiller d’État Laurent Kurth a déclaré cet été que «ces réformes ne doivent pas déstabiliser les finances publiques. Toutefois, il ne faut pas se laisser tétaniser par la peur et la crainte au risque de péjorer encore plus l’emploi, les finances des communes et l’attractivité du canton.»

En cette période où la conjoncture fléchit et où les foyers de guéguerres commerciales allumés par le président américain menacent le libre-échangisme, il est heureux que la charge fiscale des entreprises ait été revue à la baisse grâce à la RFFA. Mais il est tout aussi indispensable de diminuer la charge fiscale des particuliers afin de maintenir un climat de consommation positif, qui profite à toutes et tous. On n’en prend hélas pas encore le chemin.

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Timbrer ou pas? La question va bien au-delà

Le fait d’enregistrer son temps de travail, usage qui remonte à l’époque industrielle, est-il un facteur de réduction du stress? Une étude aborde la problématique sans vraiment répondre à cette question, tout en suscitant un vrai débat de société.

Lorsque l’on parle de timbrage, nous sommes nombreux à avoir la vision d’une usine avec son lot de travailleurs à la chaîne en bleu de travail. A l’heure où l’agilité et la flexibilité sont érigées en vertus, cette image peut réellement paraître d’un autre temps. Il est vrai que depuis quelques années, on tend à supprimer l’obligation de timbrer ou à en simplifier la procédure. Une révision législative fédérale a d’ailleurs introduit, le 1er janvier 2016, un régime dérogatoire. L’article 73a de l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail prévoit ainsi la possibilité de ne plus enregistrer le temps de travail pour les employés touchant un salaire brut annuel de plus de 120’000 francs et disposant d’une grande autonomie dans l’organisation de leur travail, y compris dans l’aménagement de leurs horaires.

C’est dans ce contexte que le Secrétariat d’État à l’économie a mandaté l’Université de Genève pour évaluer l’impact des mesures d’accompagnement sur la durée du travail effectif, le stress au travail, la conciliation famille-travail et la santé des travailleurs. Sa conclusion principale: les personnes qui renoncent à timbrer ou qui effectuent un enregistrement simplifié travaillent plus longtemps et ont plus fréquemment des horaires atypiques. Les employés qui ont renoncé au timbrage travaillent ainsi 45,6 heures en moyenne contre 41,8 heures pour les travailleurs au bénéfice de l’enregistrement simplifié et 39,6 heures dans le cas d’un enregistrement systématique du temps de travail.

L’étude ne met pas en évidence un lien direct entre la modalité d’enregistrement du temps de travail et l’exposition à un risque de stress important. Cependant, ses auteurs observent que «l’absence de mesures d’accompagnement dans l’entreprise et l’insatisfaction vis-à-vis du mode d’enregistrement des heures de travail sont significativement corrélées avec un niveau de stress élevé». L’étude montre surtout que ceux qui renoncent à timbrer ne sont pas en moins bonne santé et ne sont pas davantage stressées que les personnes qui enregistrent systématiquement leur temps de travail, dès le moment où leur entreprise introduit des mesures d’accompagnement. Au passage, il est piquant d’observer le paradoxe suivant: de nombreux employés dénigrent le timbrage sous prétexte qu’ils se sentent surveillés. D’un autre côté, toutefois, enregistrer le temps de travail leur assure de ne pas bosser au-delà de ce que leur contrat prescrit.

Un défi pour les managers

Au-delà de ces constats, la question du stress me paraît relever d’un plus vaste débat de société, car elle déborde largement du cadre professionnel. Les individus ne sont pas soumis à un rythme élevé qu’au bureau ou à l’usine: la pression est également présente dans le cadre de la vie privée. La famille, les aléas de l’existence et la dépendance grandissante aux réseaux sociaux soumettent les gens à une spirale incessante qui finit par mettre la santé à rude épreuve. Pour les chefs d’entreprise, cette tendance lourde représente un défi. Aucun d’entre eux ne souhaite voir ses collaborateurs partir en burnout, car cela implique un surcroît de travail pour les collègues, une réorganisation temporaire, voire le report de décisions stratégiques. Sans parler, bien entendu, du coût humain pour ceux qui en sont victimes

Alors, faut-il timbrer ou pas? Ce n’est qu’une partie de l’équation à laquelle sont confrontés aujourd’hui les managers dans le tumulte du XXIe siècle. A eux de résoudre au mieux les variables qui sont de leur ressort.

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La croissance verte est la clé du monde de demain

Pour faire face au défi climatique, les entreprises ont un rôle central à jouer. Elles doivent produire en respectant davantage la nature et aller dans le sens d’une économie innovante et écologique. Le philosophe Luc Ferry défend cette vision avec foi.

Au milieu du catastrophisme ambiant et du bashing récurrent dont font l’objet les entreprises, il est des messages qui font du bien. Celui qui a été porté lundi matin sur les ondes de La Première par le philosophe français Luc Ferry est du nombre. Pour lui, «ce qui va sauver le monde, c’est une croissance verte». Celui qui fut brièvement ministre de l’Éducation nationale au début de ce siècle sait de quoi il parle: ce ne sont pas les politiques, mais bien les entrepreneurs qui détiennent les clés de la transition énergétique. «La balle est dans le camp des chefs d’entreprises», a-t-il plaidé. Il voit en outre dans l’émergence de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies, comme la 5G, les prémices de «conséquences magnifiques».

Ces promesses, j’en suis convaincue, les entreprises peuvent les concrétiser. Elles ont déjà commencé à réduire singulièrement leurs émissions de CO2. Depuis 1990, celles-ci ont baissé de 18% selon des chiffres de l’Office fédéral de l’environnement. Le progrès technique et le volontarisme aidant, ce bilan va encore s’améliorer. À ce jour, quelque 4000 sociétés ont conclu une convention d’objectifs avec l’appui de l’Agence de l’énergie pour l’économie (AEnEC) pour réduire leurs émissions polluantes. Grâce à la diminution de leurs coûts, à la fois en énergie et en taxes, les entreprises ont économisé près de 650 millions de francs, qu’elles peuvent investir dans des mesures innovantes, pour améliorer encore leur performance énergétique comme pour développer des produits respectueux de l’environnement.

Davantage d’innovation et moins d’idéologie

Accélérer la recherche et le développement, on le voit, est essentiel. Présent lundi à New York au Sommet sur le climat, Ueli Maurer, président de la Confédération, a rappelé à la tribune que «notre monde a besoin de plus de progrès technologiques, d’innovation et de moins d’idéologie». Pour concrétiser au mieux la transition énergétique, le canton de Vaud dispose de nombreux atouts: des Hautes écoles de renommée mondiale, un tissu de PME varié et riche en compétences, et des start-up où des concepts novateurs naissent à la vitesse Grand V (voir à cette égard l’étude CVCI-BCV-Innovaud Vaud innove). Et n’allez pas croire que les grandes entreprises sont en retrait. On en veut pour exemple Nestlé, qui vient d’inaugurer sur les hauts de Lausanne un institut de recherche sur les emballages destiné à réduire l’empreinte environnementale de ses produits. La multinationale veveysanne fait d’ailleurs partie des 87 entreprises qui soutiennent l’engagement Business Ambition for 1,5° défendu par le Sommet sur le climat des Nations Unies.

Comme Luc Ferry, je pense que la croissance verte est une nécessité. «Il y a dans l’écologie une composante antimoderne», déplore-t-il. Il est certain que l’écologie politique sous-entend une haine du libéralisme qui n’a absolument pas lieu d’être. L’écologie est une science qu’il convient de prendre au sérieux et qui nous concerne tous. Les entrepreneurs ont tout intérêt à en saisir rapidement les enjeux et à montrer la voie. Ils sont déjà nombreux à s’y être engagé

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La Suisse peut mieux s’armer contre une crise

Récession. Le mot est lâché, et il fait peur. Face aux nuages qui s’accumulent sur l’économie mondiale, la Suisse n’est pas une île et ne va pas pouvoir rester immune face au ralentissement des échanges. Après les tensions récurrentes entre les Etats-Unis et la Chine, qui dominent le climat économique, les récentes attaques qui ont paralysé une partie de l’industrie pétrolière saoudienne ont ajouté un surcroît d’inquiétude.

Plus près de nous, les signaux ne sont pas plus encourageants. L’Allemagne montre déjà une tendance négative, le Royaume-Uni n’en finit pas de s’embourber dans son Brexit, l’Italie retient son souffle entre deux crises politiques, et le moral économique des Français est au plus bas, selon une étude parue à mi-septembre.

Pourtant, on ne sent pas la même préoccupation en Suisse. Politique de l’autruche ou confiance légitime? Les économistes paraissent pencher pour la deuxième réponse. Plusieurs d’entre eux, issus des meilleurs instituts universitaires (KOF, BAK), relèvent que la diversification des exportations, avec un amoindrissement progressif du poids de l’Allemagne – et un accroissement de celui des Etats-Unis, et la très bonne tenue de l’industrie pharmaceutique retiennent encore largement la digue. La question du Brexit n’a que peu d’incidence négative directe, d’autant moins qu’un accord commercial avec Londres a été passé et garantit le cadre des échanges entre les deux pays.

Et pour l’instant, le climat de consommation en Suisse ne souffre pas de ces soubresauts. On ne sent pas davantage les banques tirer sur le frein à main du crédit. Ni, qui plus est, le consommateur se dire qu’il vaut mieux épargner que dépenser. Trois facteurs qui, cumulés, entraînent un marché intérieur dans la spirale de la récession.

Bonnes nouvelles? Pas uniquement. Cette situation est aussi à mettre en relation avec le coût de l’épargne. Ce qui a l’air d’être un oxymore est maintenant une réalité de moyen terme pour l’économie suisse: on paie pour mettre son argent en banque. Les intérêts négatifs créent un autre problème que, pour le moment, le monde politique ne semble pas considérer comme très sérieux. Pourtant, les taux négatifs détruisent de la valeur, rendent la quadrature du cercle pour les caisses de pension (valoriser les retraites futures des assurés) encore plus complexe, et déstabilisent les flux d’investissements. Le «quantitative easing» s’inscrit dans une spirale dont on se demande quand et comment elle peut s’arrêter.

Répondre par l’investissement

Et si l’heure était pourtant bienvenue d’utiliser cette période aux fondamentaux instables pour investir dans des infrastructures et accélérer la transition vers des solutions durables – qui confèrent à notre pays des avantages concurrentiels futurs? Profiter effectivement de liquidités injectées pour mettre au travail les entreprises, et prendre de l’avance dans des domaines cruciaux et stratégiques: énergie, transport, construction, rénovation, technologies, formation… les défis ne manquent pas. On a vu ce que tergiverser en matière d’équipements de transports peut coûter une, voire deux générations plus tard.

Ces investissements ne seront utiles que si la Suisse conserve une fluidité de ses échanges commerciaux, afin qu’elle puisse continuer à se diversifier et à s’adapter, sans s’ajouter des contraintes inutiles. A cet égard, la poursuite – à travers sa rénovation – de la voie bilatérale avec l’Union européenne est cardinale.

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L’innovation vaudoise sous la loupe

On salue loin à la ronde la capacité du canton de Vaud à innover. Mais quels sont les contours exacts et l’importance de cet écosystème? L’étude «Vaud innove», réalisée par la CVCI, la BCV et Innovaud, et disponible dès aujourd’hui sur un site internet dédié, répond à ces questions et à bien d’autres.

L’avenir appartient à ceux qui innovent tôt. Cet adage revisité résume les enjeux et défis qui se profilent pour l’économie à l’heure de la digitalisation, des algorithmes et de l’intelligence artificielle. Le canton de Vaud, la Suisse romande et la Suisse ont heureusement compris depuis belle lurette l’importance de l’innovation en dynamisant la recherche et le transfert de technologie, au point de faire de cet écosystème l’un des plus vigoureux du monde. Mais que sait-on réellement de la cartographie et des perspectives de l’innovation vaudoise?

C’est pour dresser un bilan de la dynamique en route que la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), la Banque Cantonale Vaudoise, via son Observatoire de l’économie vaudoise, et Innovaud ont réalisé l’étude «Vaud innove». Chaque semaine pendant deux mois, un thème relatif à l’innovation sera abordé en détail sur le site internet www.vaudinnove.ch. Le premier volet, en ligne dès aujourd’hui, aborde les contours de cet écosystème et détaille quelques-unes créations les plus emblématiques réalisées par des entreprises établies dans le canton, comme la souris de Logitech ou les capsules de café Nespresso.

D’autres chapitres exploreront successivement les différents visages de l’innovation dans le canton, la force de son dispositif de recherche académique, les flux de transfert de technologie vers l’économie, les impacts et les enjeux de l’innovation pour les entreprises et la création d’emplois, les conditions-cadres, etc.

Innover est la clé de la pérennité

Ce travail de recherche, basé sur l’analyse fine de très nombreuses data récentes, n’a pas été réalisé dans la seule intention de célébrer le génie vaudois. Ces informations de référence ont avant tout pour but de montrer les spécificités et les besoins de cet écosystème à tous les acteurs économiques et politiques afin qu’ils en prennent toute la mesure.

Nos entreprises le savent: innover est la clé de la pérennité, d’autant plus que le marché suisse, même s’il croît, est limité et que la matière grise est la seule ressource dont nous disposons. Innover, c’est la condition sine qua non pour rester compétitif, conquérir de nouveaux marchés et participer activement à la prospérité du canton.

Mais rien n’est cependant acquis: l’innovation reste un processus qui doit être encadré et soutenu constamment pour demeurer dynamique.

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L’EPFL, un modèle d’ouverture sur le monde

L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) célèbre ses 50 ans cette année. Figurant dans les meilleurs classements académiques mondiaux, l’institution a su s’ouvrir vers l’étranger, entraînant tout un canton dans son sillage.

Nul doute qu’il y aura foule, les 14 et 15 septembre prochains, sur le campus de l’EPFL, à Ecublens. A l’occasion de son demi-siècle d’existence, l’institution ouvrira ses portes pour présenter son rôle et ses missions au public, qui aura l’opportunité de mesurer l’excellence de celle qu’on appelait autrefois l’EPUL. Sous la houlette de son ancien président, Patrick Aebischer, l’EPFL est devenue un établissement de premier plan au niveau mondial, trustant les places d’honneur dans les classements académiques planétaires. Ouverture à l’univers des neurosciences, à l’innovation en général et mise en valeur du site – le rutilant Rolex Learning Center en est la parfaite illustration – ont contribué à accentuer et à pérenniser une renommée justifiée.

Son successeur, Martin Vetterli, lui a emboîté le pas afin de maintenir ce haut niveau d’exigence dans un monde universitaire toujours plus concurrentiel. Invité l’autre soir sur le plateau du «19:30» de la RTS, le président actuel de l’EPFL a rappelé combien ces «rankings» donnaient une grande visibilité à l’institution, qui lui permettent d’attirer des professeurs et des chercheurs de renom des quatre coins de la planète. Cette réputation suscite également des vocations dans les auditoires: l’école compte aujourd’hui plus de 11’000 étudiants venant de plus de 116 nationalités.

Ce cosmopolitisme illustre à quel point notre pays a besoin de l’étranger pour prospérer. Interrogé sur le surplace de l’accord-cadre, Martin Vetterli a d’ailleurs fait part de l’inquiétude que ce blocage institutionnel suscitait pour les milieux académiques dans la perspective d’une collaboration scientifique à l’échelle européenne.

Migration bénéfique

Hasard du calendrier, une statistique vaudoise sur la migration diffusée la semaine dernière tombe à point nommé pour rappeler combien l’ouverture est bénéfique pour l’économie suisse. Il ressort ainsi que la part de la population active issue de la migration, prise en compte jusqu’à la troisième génération, a atteint 54% dans le canton de Vaud en 2018. Selon les chiffres publiés, «445’000 résidants exercent une activité professionnelle ou sont à la recherche d’un emploi. La population active vaudoise compte ainsi 104’000 personnes de plus (+31%) qu’en 2002, année de l’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne.» Rappelons, dans ce contexte, que le taux de chômage dans le canton s’est établi à 3,2% à la fin du mois de juillet 2019.

À l’heure où certains prônent le repli et l’isolationnisme, il est bon de rappeler que notre pays ne saurait vivre en vase clos et qu’il a tout intérêt à entretenir les meilleures relations possibles avec ses partenaires européens et d’ailleurs. Il conviendra de s’en souvenir à l’heure de glisser son bulletin de vote le 20 octobre prochain à l’occasion des élections fédérales.

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La culture et l’économie du partage

L’été glisse gentiment vers son côté indien, les jours raccourcissent et les vacances se rangent au rayon souvenirs… une fois encore, la période estivale aura été, en nos contrées, d’une richesse culturelle remarquable – avec en toile de fond et en vedette la Fête des Vignerons, ce spectacle total qui ne déroule ses fastes qu’une fois par génération.

Ce foisonnement a-t-il atteint son point de bascule ? L’appétit nous est venu en mangeant, festivals et autres événements originaux se sont multipliés. De la gourmandise, sommes-nous passés à l’indigestion ? Pour la première fois depuis des lustres, Paléo, le plus grand et le plus populaire des festivals suisses, n’a pas joué à guichets fermés. D’autres ont maintenu un fragile équilibre, comme la FeVi, qui a drainé une forte quantité de spectateurs et s’est terminée sur une note finale culturelle resplendissante.

Plus globalement, le monde suisse du spectacle se rationalise et se globalise, en témoigne le rachat récent de Live Music Production par la multinationale allemande DEAG, et l’implication des géants américains Live Nation et AEG.

La culture est une composante particulière de l’offre économique. Elle contribue incontestablement au rayonnement d’une région, à son identité, à sa capacité créatrice, à sa vivacité. Elle est tout à la fois dépenses, investissements et source d’emplois. Son modèle d’affaires suit invariablement la règle des trois tiers (de taille pas toujours égale, du reste) : billetterie, fonds publics et parapublics, et sponsoring. Il est intéressant de noter que de nouvelles formes de financement participatif émergent aussi, notamment pour des festivals de taille relativement modeste qui jouent sur l’enracinement très local et sur des propositions de niche, se démarquant de leurs grands frères.

Des fonds privés nécessaires à la richesse culturelle
Dans ce marché particulier qui répond malgré tout, à travers des filtres pas toujours transparents, aux lois de l’offre et de la demande, le partage du poids financier de la culture est un garant de sa pérennité. A ce titre, il faut s’interroger sérieusement sur les sentences moralisantes qui ciblent de plus en plus l’économie privée et stigmatisent des entreprises (ou des secteurs) au gré de l’air du temps. Bien sûr, il faut s’assurer que les événements culturels ne se transforment pas en panneaux publicitaires ou en opérations marketing – les dérapages sont de toute manière sanctionnés par le public, qui n’adhère pas à ces stratagèmes. Mais la tendance nouvelle est à la suspicion systématique, à la mise à l’index de toute initiative conviviale, à la condamnation des « VIP » comme s’il s’agissait de criminels en bande.

Que voulons-nous ? Une forte décroissance culturelle ? Un tarissement de l’offre et, plus grave encore, des possibilités d’expression de nos artistes ? Ou alors, que les impôts supportent la part que les sponsors auront abandonnée, faute de pouvoir valoriser justement leur apport ? C’est sans doute l’idéologie qui sous-tend certaines des voix qui veulent brider à l’excès les financements privés. Elles vont à l’encontre d’une économie du vrai partage – où les entreprises peuvent contribuer utilement et intelligemment à la prospérité de leur environnement social et culturel.

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Le goût pour l’entrepreneuriat ne s’improvise pas

Le volet suisse d’une étude internationale affirme que les intentions de créer une entreprise sont en baisse dans notre pays par rapport à 2017. Ce recul des velléités entrepreneuriales interpelle. Tentative d’explications.

«La Suisse est loin d’être une nation de start-up.» Le constat, cinglant, émane de la Haute école de gestion Fribourg (HEG-FR), qui a réalisé le volet suisse de la dernière édition du Global Entrepreneurship Monitor (GEM), soit la plus grande étude internationale portant sur l’esprit d’entreprise. Selon les chiffres publiés la semaine dernière, les intentions de créer une société (6,9%) sont en baisse en Suisse par rapport à 2017 (10,5%) et même inférieures à la moyenne des autres économies à revenu élevé (17,1%). En outre, seuls 7,4% des Suisses se sont lancés dans des activités entrepreneuriales, un taux de base inférieur à la moyenne des pays comparés (10,4%). Plus de 2400 personnes ont pris part à ce monitorage.

Ces données, avouons-le, constituent une demi-surprise. On sait depuis belle lurette que la peur de l’échec entrepreneurial est culturellement assez développée dans notre pays, alors qu’à l’inverse, les Américains ont une grande confiance en leur propre capacité à créer une société. L’étude met d’ailleurs ce point en exergue: «Les chiffres montrent que les Suisses sont moins confiants quant à leurs capacités à créer une entreprise (taux de perception des capacités de 36,3%), ce qui s’accompagne d’une plus grande crainte de l’échec par rapport à 2017 (39,9%, 2017: 29,5%).»

Prendre des risques… ou pas

Une autre explication réside dans la situation plutôt florissante de notre économie par rapport à celle de la plupart de nos voisins européens. Pourquoi créer sa propre start-up et en assumer les risques alors que de nombreuses sociétés innovantes et bien profilées sur le marché sont en quête de talents? Tout cela ne pousse guère à l’aventure entrepreneuriale. Sans parler du manque de soutiens au lancement d’entreprises ou, disons plutôt, la relative méconnaissance des instruments qui existent.

Cette tendance baissière étonne pourtant dans la mesure où de nombreux experts affirment depuis des années que le fait, pour de jeunes Suisses, de côtoyer toujours plus d’étudiants étrangers et de startuppers sur les campus devrait les pousser à se lancer davantage dans la création d’entreprise. Les faits démontrent – et l’enquête le met aussi en évidence – que le dynamisme est clairement plus élevé du côté de l’arc lémanique et de Zurich que dans d’autres régions du pays. L’émulation suscitée par les Hautes écoles n’y est évidemment pas étrangère.

Surtout, la HEF-FR observe une désaffection très marquée de la part de la jeune génération pour l’entrepreneuriat. Ainsi, en comparaison avec les autres économies à revenu élevé, seuls 2,2% des jeunes Suisses âgés de 18 à 24 ans participent actuellement à la création d’une entreprise ou dirigent une start-up. Il s’agit du taux le plus bas de tous les pays, nettement inférieur à la moyenne (9,5 %). La Suisse occupe ainsi le 30e rang des 32 pays à revenu élevé… Pour les 35 à 54 ans, il est de 48,9%! Commentaire de Rico Baldegger, directeur de la Haute école fribourgeoise: «J’en conclus que notre offre de soutien, qui concerne non seulement mais tout particulièrement les universités, s’adresse en réalité au mauvais groupe d’âge. L’image du jeune entrepreneur de génie – le mythe de Mozart – est trompeuse.»

Capital-risque en hausse

Un point positif, toutefois: le Swiss Venture Capital Report a révélé au début de cette année que les start-up suisses technologiques avaient reçu, en 2018, 1,24 milliard de francs en capital-risque. On se s’improvise certes pas entrepreneur, mais nul doute que ces tendances sur le front de l’investissement, ainsi que la vitalité de l’écosystème innovatif vaudois, devraient contribuer à susciter de nouvelles vocations.

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L’entreprise de demain sera flexible et modulable

La digitalisation et la préservation de l’environnement sont deux thèmes primordiaux pour l’avenir de la planète et de l’économie. Ils poussent les chefs d’entreprise à l’agilité et à l’inventivité. Dans ce contexte, les maîtres-mots ont pour nom flexibilité et modularité.

Jusqu’à un passé encore récent, les entrepreneurs faisaient construire des usines et des bureaux dans une perspective de long terme. Le monde d’aujourd’hui, qui change à la vitesse Grand V, les contraint à s’adapter en permanence et à remettre en question les certitudes acquises jusqu’alors. L’exemple le plus visible de cette formidable accélération est matérialisé par l’avènement du e-commerce. Notre manière d’effectuer les courses en a été bouleversée. Cette évolution concurrencera frontalement le commerce classique, et le poussera à se réinventer.

Une autre tendance, pour le moins étonnante, se fait pourtant jour: des mastodontes du e-commerce commencent à ouvrir des points de vente physiques, comme Amazon Go, qui propose des magasins sans caisse. Lorsque l’on sait que les géants du Web réalisent leurs principales économies grâce à l’absence de loyers et à des coûts logistiques réduits, on peut s’interroger sur ce revirement.

La première explication réside dans la nécessité de maintenir une véritable expérience client, notamment dans l’industrie du textile où les acheteurs veulent pouvoir essayer des vêtements avant de les acquérir. C’est la raison pour laquelle de nombreuses marques online ouvrent des boutiques éphémères. Ces magasins facilitent avant tout les retours d’articles et accélèrent la livraison. Enfin, la proximité ainsi recréée permet d’alimenter les bases de données clients avec de nouvelles data, le Graal de l’ère numérique.

L’e-commerce, cependant, ne fait pas vivre le secteur de la vente et de la distribution en Suisse, comme nous l’a confié récemment un grand distributeur. Il s’agit d’un passage obligé. Chez nous, le commerce en ligne concerne certes toute la population, mais dans une mesure encore modeste: il pèse 10% des ventes de détail et 16% des ventes non-food.

Du côté de l’industrie, la problématique est différente selon que l’on considère les secteurs de la production et de l’administration. Dans ce premier domaine, on constate que l’automatisation progresse rapidement. Cette tendance risque de faire disparaître des emplois, pour l’essentiel non qualifiés, mais les besoins en espace demeurent, car les machines nécessitent de la place.

Les robots industriels classiques sont rapides et puissants: pour protéger l’humain, ils sont placés dans des enclos, ce qui empêche la collaboration homme-robot. La robotisation totale n’est cependant pas toujours possible: certaines tâches ou lots sont trop complexes ou trop coûteux pour être rentables. D’où l’émergence de robots collaboratifs, capables d’interagir physiquement avec un humain dans un espace partagé. Il s’agit d’utiliser l’homme et la machine pour leurs compétences propres, et de déléguer ce qui est pénible à cette dernière.

L’essor du smartworking

Et qu’en est-il des services? S’agissant des métiers liés directement au bureau traditionnel, le tsunami digital pousse au semi-nomadisme, voire au nomadisme. S’il est difficilement imaginable pour une petite PME, le télétravail se conçoit aisément pour de plus grandes structures. Les attentes des employés sont nombreuses, liées à la mobilité, la durabilité, à la problématique des garderies, etc. Dans ce foisonnement de changements spatiaux, le smartworking prend aussi tout son sens. Derrière ce concept se cache une philosophie de gouvernance «éclairée» basée sur la confiance mettant en valeur l’autonomie, la responsabilisation des collaborateurs et le travail créatif en équipe. Pour les favoriser, le cadre spatial de l’entreprise est redéfini et optimisé.

Mais ce n’est pas tout! Ce séisme numérique laisse entrevoir d’autres évolutions. Nombre d’experts estiment qu’à l’avenir, une bonne partie des employés travailleront en freelance. L’avènement d’outils informatiques toujours plus performants, l’arrivée de la 5G, le boom des métiers liés au numérique, sans oublier la baisse des coûts liés aux déplacements, expliquent ce mouvement de fond.

L’une des pistes actuelles pour absorber ce nomadisme se nomme coworking. Un certain nombre de professions, comme l’architecture, le design, le développement informatique, la consultance technologique ou d’autres demandent un nouveau cadre de travail qui permette de rencontrer, de collaborer, d’échanger et d’apprendre des autres. Les espaces de coworking, qui se multiplient, permettent d’allier ces objectifs à un cadre de travail sérieux et dynamique.

Ce sont là des questions passionnantes et pleines d’enjeux pour l’économie et les humains dans les années à venir. Dans ces circonstances, rappelons-le, la flexibilité et la modularité resteront des axes incontournables.

Crédit photo: CVCI/Zuzanna Adamczewska-Bolle