L’honnêteté intellectuelle de L’Allemagne

Si la récente affaire de Volkswagen est venue défrayer les chroniques et entacher l’image de l’Allemagne, bien qu’il s’agisse d’un scandale concernant une entreprise privée, Berlin fait preuve par ailleurs d’un courage et d’une honnêteté largement moins médiatisés. Une rectitude que de nombreux pays pourraient prendre en exemple.  

Sans évoquer plus avant la politique menée à l’égard de la crise des migrants et les efforts spectaculaires de la république fédérale, il faut noter le rappel du gouvernement Merkel concernant la responsabilité de l’Holocauste portée par l’Allemagne, après les déclarations maladroites du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le 20 octobre dernier, qui laissait entendre que l’extermination des Juifs avait été suggérée à Hitler par le mufti de Jérusalem. Et, fait historique, le même gouvernement reconnaissait le 10 juillet de cette année le génocide des peuples herero et namas en Namibie, perpétré par les troupes du général allemand Lothar Von Trotha entre 1904 et 1905.

Une expédition militaire méconnue qu’il faut rappeler pour mieux apprécier la prise de position allemande[1].

L’Allemagne avait en effet reçu le protectorat d’un territoire s’étendant largement sur l’actuelle Namibie, entre le fleuve Cunene et le fleuve Orange, lors de la Conférence de Berlin de 1884 qui partageait l’Afrique entre les puissances occidentales. La première invasion allait intervenir l’année suivante. Digne d’un film de Werner Herzog, le représentant du Reich, Heinrich Göring, père du sinistre Reichsmarschall Hermann Göring, venait revendiquer les terres à la tête de … deux assistants. Le conquistador de Rhénanie allait passer les premières années à passer des accords avec les ethnies locales, réussissant à s’inféoder les Héréros.

En raison de guerres tribales, l’Allemagne allait dépêcher en 1889 un contingent militaire dans le Sud-Ouest Africain fort de vingt et un soldats. Dépassés par les conflits régionaux entraînant la mort de près de 200 colons allemands, l’autorité locale allait demander en 1904 l’aide de Berlin, qui ne tarda pas à envoyer Lothar Von Trotha à la tête d’un corps expéditionnaire. Doté d’un caractère violent, réputé pour sa discipline prussienne sans merci et la répression brutale qu’il avait exercé lors de la révolte des Boxers en 1900, le commandant en chef des forces armées allemandes en Afrique allait procéder à l’extermination systématique des populations locales, anéantissant près de 80% de la population herero. Prenant exemple sur les Britanniques qui avaient construit des camps de concentration en Afrique du Sud quelques années auparavant pour les Boers, Lothar Von Trotha allait faire enfermer les survivants dans des conditions effroyables. Ces exactions, qui intervenaient cinq ans après la Conférence sur la paix de La Haye, allaient scandaliser l’opinion publique allemande, obligeant Guillaume II à démettre de son commandement l’officier douteux le 19 novembre 1905.

L’Angleterre, à la sortie de la Première Guerre mondiale, allait rédiger en 1918 un rapport à charge, consignant les détails de la campagne de Von Trotha dans le « Report on the Natives of South-West Africa and their Treatment by Germany » intitulé The Blue Book. Un dossier constitué de photos et de témoignages permettant de démontrer la politique d’extermination menée sous le régime du Kaiser dans le Sud-Ouest Africain. Ce rapport qui intervenait à un moment crucial, et qui n’était pas sans rappeler les excès commis en Belgique par les armées allemandes lors de son invasion en 1914, confortait les mesures prises par les alliés dans le Traité de Versailles, et légitimait la confiscation des territoires du sud-ouest africain allemand.

À quand la reconnaissance de l’Angleterre de ses exactions coloniales, compilées dans le White Book allemand de 1926, et plus particulièrement de sa responsabilité du massacre qu’elle a commis sur les Béothuks de Terre-Neuve ? Il est vrai que faire accepter cette culpabilité sera plus difficile puisque la répression anglaise fut à ce point brutale que cette ethnie devait s’éteindre définitivement en 1829 ! Et à quand la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie, laquelle a préféré cette année déplacer la date de commémoration de la bataille de Gallipoli (25 avril 1915 – 9 janvier 1916) au 24 avril 2015, date événement rappelant le centenaire du massacre des Arméniens ?


[1] Horst Drechsler, Le Sud-Ouest africain sous la domination coloniale allemande : la lutte des Hereros et des Namas contre l'impérialisme allemand, 1884-1915, Akademie-Verlag, Berlin RDA, 1986.

 

L’honnêteté intellectuelle de L’Allemagne

Si la récente affaire de Volkswagen est venue défrayer les chroniques et entacher l’image de l’Allemagne, bien qu’il s’agisse d’un scandale concernant une entreprise privée, Berlin fait preuve par ailleurs d’un courage et d’une honnêteté largement moins médiatisés. Une rectitude que de nombreux pays pourraient prendre en exemple.  

Sans évoquer plus avant la politique menée à l’égard de la crise des migrants et les efforts spectaculaires de la république fédérale, il faut noter le rappel du gouvernement Merkel concernant la responsabilité de l’Holocauste portée par l’Allemagne, après les déclarations maladroites du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le 20 octobre dernier, qui laissait entendre que l’extermination des Juifs avait été suggérée à Hitler par le mufti de Jérusalem. Et, fait historique, le même gouvernement reconnaissait le 10 juillet de cette année le génocide des peuples herero et namas en Namibie, perpétré par les troupes du général allemand Lothar Von Trotha entre 1904 et 1905.

Une expédition militaire méconnue qu’il faut rappeler pour mieux apprécier la prise de position allemande[1].

L’Allemagne avait en effet reçu le protectorat d’un territoire s’étendant largement sur l’actuelle Namibie, entre le fleuve Cunene et le fleuve Orange, lors de la Conférence de Berlin de 1884 qui partageait l’Afrique entre les puissances occidentales. La première invasion allait intervenir l’année suivante. Digne d’un film de Werner Herzog, le représentant du Reich, Heinrich Göring, père du sinistre Reichsmarschall Hermann Göring, venait revendiquer les terres à la tête de … deux assistants. Le conquistador de Rhénanie allait passer les premières années à passer des accords avec les ethnies locales, réussissant à s’inféoder les Héréros.

En raison de guerres tribales, l’Allemagne allait dépêcher en 1889 un contingent militaire dans le Sud-Ouest Africain fort de vingt et un soldats. Dépassés par les conflits régionaux entraînant la mort de près de 200 colons allemands, l’autorité locale allait demander en 1904 l’aide de Berlin, qui ne tarda pas à envoyer Lothar Von Trotha à la tête d’un corps expéditionnaire. Doté d’un caractère violent, réputé pour sa discipline prussienne sans merci et la répression brutale qu’il avait exercé lors de la révolte des Boxers en 1900, le commandant en chef des forces armées allemandes en Afrique allait procéder à l’extermination systématique des populations locales, anéantissant près de 80% de la population herero. Prenant exemple sur les Britanniques qui avaient construit des camps de concentration en Afrique du Sud quelques années auparavant pour les Boers, Lothar Von Trotha allait faire enfermer les survivants dans des conditions effroyables. Ces exactions, qui intervenaient cinq ans après la Conférence sur la paix de La Haye, allaient scandaliser l’opinion publique allemande, obligeant Guillaume II à démettre de son commandement l’officier douteux le 19 novembre 1905.

L’Angleterre, à la sortie de la Première Guerre mondiale, allait rédiger en 1918 un rapport à charge, consignant les détails de la campagne de Von Trotha dans le « Report on the Natives of South-West Africa and their Treatment by Germany » intitulé The Blue Book. Un dossier constitué de photos et de témoignages permettant de démontrer la politique d’extermination menée sous le régime du Kaiser dans le Sud-Ouest Africain. Ce rapport qui intervenait à un moment crucial, et qui n’était pas sans rappeler les excès commis en Belgique par les armées allemandes lors de son invasion en 1914, confortait les mesures prises par les alliés dans le Traité de Versailles, et légitimait la confiscation des territoires du sud-ouest africain allemand.

À quand la reconnaissance de l’Angleterre de ses exactions coloniales, compilées dans le White Book allemand de 1926, et plus particulièrement de sa responsabilité du massacre qu’elle a commis sur les Béothuks de Terre-Neuve ? Il est vrai que faire accepter cette culpabilité sera plus difficile puisque la répression anglaise fut à ce point brutale que cette ethnie devait s’éteindre définitivement en 1829 ! Et à quand la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie, laquelle a préféré cette année déplacer la date de commémoration de la bataille de Gallipoli (25 avril 1915 – 9 janvier 1916) au 24 avril 2015, date événement rappelant le centenaire du massacre des Arméniens ?


[1] Horst Drechsler, Le Sud-Ouest africain sous la domination coloniale allemande : la lutte des Hereros et des Namas contre l'impérialisme allemand, 1884-1915, Akademie-Verlag, Berlin RDA, 1986.

 

La désinformation au service des puissances

2015, conflits et crises diplomatiques se succèdent à un rythme infernal. Mais quelle est la réalité des informations qui nous parviennent ? Car s’il est une vérité immuable dans l’art de la guerre, c’est bien de tenir son ennemi désinformé, autant que son « peuple » motivé et confiant.

Les situations actuelles en Ukraine et au Proche-Orient relèvent d’une complexité qui fera sans doute cas d’école dans les académies miliaires de ces prochaines décades. Syrie et Irak, ravagés par des mafias génocidaires, Turquie ou les progrès de la démocratie sont en train de fondre comme neige au soleil face à une répression de plus en plus aveugle, les pays du Levant sont devenus le champ de bataille de la planète. Les FA-18 Hornet de McDonnell Douglas rivalisent ainsi avec les Soukhoï 24 et 25, ou les Rafales de Dassault, et peut-être bientôt les Shenyang J-11, dans les cieux du désert syrien. Véritable who’s who militaire, cette guerre de coalisés non alignés ne peut être que sources d’ambiguïtés et de non-sens schizophréniques, tel ce récent accès de colère d’Ankara relayé par l’OTAN à la suite de la violation de l’espace aérien turc par des chasseurs russes se battant pourtant officiellement contre un ennemi commun. Une pétaudière dans laquelle le vétéran de la bataille de Stalingrad, le Generalfeldmarschall Erich von Manstein, y perdrait son Hochdeutsch !

Quel crédit accorder, dès lors, aux informations qui peuvent nous parvenir ? Des informations qui présentent des risques majeurs de manipulation, d’instrumentalisation et d’interprétations. Et si les journalistes portent une attention toute particulière à leurs sources, il n’en va pas de même des sites de « désinformation » qui se multiplient sur Internet et qui polluent les réseaux sociaux. Des sites dont il est difficile d’estimer l’audience et qui se plaisent à détourner, voire inventer l’information. Des sites qui prônent l’intolérance, la haine et, en fin de compte, la guerre.

« Rien de neuf à l’Est » toutefois, puisque ces procédés sont vieux comme le monde. Lors de la Première Guerre mondiale, cette guerre de l’information destinée à tromper l’ennemi, et à dire de manière très manichéenne qui étaient les bons des méchants, allait connaître une accélération, notamment grâce à la photographie. Chaque camp allait diaboliser son ennemi, les uns faisant des tirailleurs sénégalais des cannibales, les autres « arrangeant » les photographies à convenance en entassant, par exemple, des corps de victimes afin de mettre en évidence la cruauté de l’adversaire, les derniers faisant prendre des pauses théâtrales à des soldats simulant un combat dans le but de glorifier leur héroïsme.

Soumis à une consommation effrénée de l’information, nous perdons très souvent de vue que celle-ci prédispose l’opinion publique et qu’il n’est moralement pas possible de faire l’économie d’un regard critique.

La désinformation au service des puissances

2015, conflits et crises diplomatiques se succèdent à un rythme infernal. Mais quelle est la réalité des informations qui nous parviennent ? Car s’il est une vérité immuable dans l’art de la guerre, c’est bien de tenir son ennemi désinformé, autant que son « peuple » motivé et confiant.

Les situations actuelles en Ukraine et au Proche-Orient relèvent d’une complexité qui fera sans doute cas d’école dans les académies miliaires de ces prochaines décades. Syrie et Irak, ravagés par des mafias génocidaires, Turquie ou les progrès de la démocratie sont en train de fondre comme neige au soleil face à une répression de plus en plus aveugle, les pays du Levant sont devenus le champ de bataille de la planète. Les FA-18 Hornet de McDonnell Douglas rivalisent ainsi avec les Soukhoï 24 et 25, ou les Rafales de Dassault, et peut-être bientôt les Shenyang J-11, dans les cieux du désert syrien. Véritable who’s who militaire, cette guerre de coalisés non alignés ne peut être que sources d’ambiguïtés et de non-sens schizophréniques, tel ce récent accès de colère d’Ankara relayé par l’OTAN à la suite de la violation de l’espace aérien turc par des chasseurs russes se battant pourtant officiellement contre un ennemi commun. Une pétaudière dans laquelle le vétéran de la bataille de Stalingrad, le Generalfeldmarschall Erich von Manstein, y perdrait son Hochdeutsch !

Quel crédit accorder, dès lors, aux informations qui peuvent nous parvenir ? Des informations qui présentent des risques majeurs de manipulation, d’instrumentalisation et d’interprétations. Et si les journalistes portent une attention toute particulière à leurs sources, il n’en va pas de même des sites de « désinformation » qui se multiplient sur Internet et qui polluent les réseaux sociaux. Des sites dont il est difficile d’estimer l’audience et qui se plaisent à détourner, voire inventer l’information. Des sites qui prônent l’intolérance, la haine et, en fin de compte, la guerre.

« Rien de neuf à l’Est » toutefois, puisque ces procédés sont vieux comme le monde. Lors de la Première Guerre mondiale, cette guerre de l’information destinée à tromper l’ennemi, et à dire de manière très manichéenne qui étaient les bons des méchants, allait connaître une accélération, notamment grâce à la photographie. Chaque camp allait diaboliser son ennemi, les uns faisant des tirailleurs sénégalais des cannibales, les autres « arrangeant » les photographies à convenance en entassant, par exemple, des corps de victimes afin de mettre en évidence la cruauté de l’adversaire, les derniers faisant prendre des pauses théâtrales à des soldats simulant un combat dans le but de glorifier leur héroïsme.

Soumis à une consommation effrénée de l’information, nous perdons très souvent de vue que celle-ci prédispose l’opinion publique et qu’il n’est moralement pas possible de faire l’économie d’un regard critique.

La Suisse et la Guerre de 14-18

Le centenaire de l’ouverture de la Première Guerre mondiale a été l’occasion pour la Suisse de revenir sur cette période qui, durant des décennies, n’a guère suscité de passions jusqu’à ces dernières années. Peut-être fallait-il digérer l’épisode douloureux pour la fierté nationale de la Deuxième Guerre mondiale, rendu possible par le rapport Bergier mis en œuvre à la fin des années 90, avant d’aborder l’autre guerre, celle des poilus français et des Landsers prussiens, des trains de réfugiés sillonnant le pays en tous sens et des dragons montant la garde aux frontières? La Première Guerre mondiale allait influencer le destin de la Suisse de manière durable et entraîner l’établissement sur son territoire de la jeune Société des Nations, puis de l’Organisation des Nations Unies.

Le colloque international, tenu du 10 au 12 septembre 2014 au sein du château de Penthes à Genève, en présence de nombreuses personnalités officielles, a vu se succéder plusieurs dizaines de contributions, sur des sujets parfois inédits. Sont notamment abordés la scission linguistique de la Suisse, la propagande des pays en guerre, le rôle de l’armée suisse, la présence des révolutionnaires sur le territoire, l’action du CICR bien évidemment et les blessés accueillis dans les cantons, mais également les Suisses engagés dans les armées étrangères, le rapatriement de 500’000 réfugiés français de Bâle à Genève, ignorés des historiens jusqu’il y a peu de temps, les évolutions des partis politiques, l’affaire Grimm-Hoffmann, le pacifisme, la population juive du canton de Neuchâtel, ou les plans d’invasion suisses de l’Italie du Nord.

L’émission de radio « Histoire Vivante », animée par Jean Leclerc, qui a consacré une semaine thématique portant sur les sujets abordés au cours de ce colloque en évoquant largement ce dernier, une année après sa tenue[1], démontre que l’intérêt demeure !

Le livre de ce colloque paraît à présent, proposant près de 700 pages composées de 31 contributions, 41 pages de bibliographie thématique, plusieurs dizaines d’illustrations, un index de recherches et quelques 1'200 notes de bas de page. [www.slatkine.com/fr/slatkine-reprints-erudition/69332-book-07102745-9782051027458.html]

 

 

En coédition avec les éditions Slatkine, la Société d’Histoire de la Suisse Romande et la Fondation des Suisses de l’étranger

 

 

Le poids de l’histoire des réfugiés en Allemagne?

Connue avant toute chose pour son université mondialement célèbre, Heidelberg peut à présent se vanter d’un nouvel apanage.

Alors que l’Allemagne fermait sa frontière avec l’Autriche il y a quelques jours, le « Mannheim Morgen »[1] annonçait effectivement le 16 septembre que le gouvernement entendait installer un Erstaufnahmeeinrichtungen, à comprendre par établissement de premier accueil, dans le Baden-Württemberg, probablement à Heidelberg ou existe une ancienne base militaire américaine désaffectée il y a peu. Un complexe, nommé Patrick Henry Village, composé de plusieurs centaines d’appartements particulièrement bien entretenus, modernes et surtout ….. vides !

Heidelberg est déjà maintenant l’un des centres de réfugiés les plus importants du pays avec quelques 3'000 réfugiés logés dans les bâtiments de l’US Army, trois fois plus que prévu originellement. Prises d’empreintes et bilan de santé pour chaque arrivant sont à l’ordre du jour. Et si la République fédérale et le Land financent l’opération, la ville d’Heidelberg n’est pas en reste, coordonnant les soutiens, et notamment les aides spontanées de la population[2], qui porte un regard la plupart du temps bienveillant sur ces projets, alors même que le Bade-Wurtemberg attend cette année plus de 100 000 nouveaux réfugiés – ce qui serait près de quatre fois plus qu'en 2014.

Angela Merkel annonçait mardi soir que des « hub » de ce type étaient à présent nécessaires pour organiser correctement l’accueil des migrants arrivant en masse en Allemagne. Les demandeurs d’asile seront donc redistribués dans les communautés et les différents Lands à partir de ce centre, et devraient attendre trois mois seulement si Berlin accepte de raccourcir la durée des procédures d’asile.

Les Allemands qui ont vu plus de 200'000 demandes d’asile en 2014 demeurent majoritairement favorables à l’accueil des réfugiés syriens. Sans doute n’ont-ils pas oublié qu’eux aussi, ont connu des exodes, particulièrement à la fin de la guerre, fuyant devant l’avancée de l’armée rouge en 1944 et 1945, ainsi qu’après les accords de Potsdam du 2 août 1945. 12 à 16 millions de civils allaient ainsi prendre la fuite pour trouver des cieux plus cléments, laissant sur les bas-côtés des chemins de traverse près de 500'000 morts, épuisés par les privations, les maladies et les exactions. L’un des transferts de populations les plus importants de l’histoire contemporaine qui se prolongea jusqu’au début des années 50.

 

Les réfugiés des années 40

Septembre 2015. La question des réfugiés fait polémique, une fois encore ! Doit-on ? Ne doit-on pas ? Comment faire ? Ne faudrait-il pas se souvenir de notre histoire et des dispositions de la Berne fédérale il y a 73 ans, pour éviter de reproduire des erreurs dramatiques?

En ce temps-là, la Suisse connaissait une autre vague de migrants, celle des Juifs fuyant les pays sous occupation nazie. La question de ces réfugiés en 1942 n’était pas récente puisqu’en avril 1933, trois mois après l’accession d’Hitler à la chancellerie allemande, le Conseil fédéral édictait déjà un arrêté indiquant que «les Israélites ne doivent pas être jugés comme réfugiés politiques ». La Suisse allait encore réclamer aux sbires du Führer en 1938 l’inscription d’un tampon « J » sur les passeports des Juifs allemands et autrichiens face à l’afflux grandissant de réfugiés originaires de ces pays. Si ce n’est les vieillards ayant en Suisse de la famille répondant pour eux, seuls les émigrés disposant de moyens d’existence suffisants, en mesure de fournir une autorisation d’un consulat helvétique et de prouver qu’ils avaient la possibilité de quitter la Suisse pour un autre État, furent dès lors autorisés à séjourner dans le pays.

Le 17 octobre 1939, le Conseil fédéral prenait un nouvel arrêté qui précisait dans son article 7 que «Le Département de justice et police est autorisé, d’entente avec l’armée, à prendre toutes mesures utiles pour loger les internés…». La situation resta telle jusqu’au 13 août 1942, année de la mise en œuvre par le régime nazi de la solution finale. À partir de cette date, le Conseiller fédéral Édouard von Steiger, qui dirigeait alors le Département fédéral de justice et police, décida avec ses collègues la fermeture des frontières, cela alors même que son Département était au courant de la situation des Juifs en Allemagne et de leur sort dans les camps de concentration[1]. Les réfugiés, et plus particulièrement les Juifs fuyant les persécutions nazies, n’étant pas considérés comme réfugiés politiques, ne purent plus entrer en Suisse autrement que de manière clandestine. Une politique que la Suisse mena jusqu’en juillet 1944, date à laquelle Berne accepta d’accueillir tous les réfugiés civils dont la vie et l’intégrité corporelle étaient menacées. Le vent avait tourné ! Les Alliés venaient de débarquer en Normandie le mois précédent, un événement qui venait mettre un terme à l’esprit collaborationniste régnant sur le Conseil fédéral.

Les dossiers qu’Henry Spira[2] a patiemment instruits en marge de la Commission Bergier et de la sous-commission Lasserre indiquent qu’un certain nombre de personnes de confession juive ayant trouvé refuge dans le Canton de Vaud passèrent par la prison du Bois-Mermet au cours de la période troublée des années trente et de la Deuxième Guerre mondiale, ce que le rapport Bergier ne relève toutefois pas mais que les archives de la prison confirment. Et nombre de ces personnes allaient être expulsées !

Au total, entre 1933 et 1945, ce furent 155 civils réfugiés de confession juive qui furent incarcérés dans la Prison du Bois-Mermet, et 34 détenus israélites placés aux arrêts militaires. Sur ce nombre, 100 civils allaient être expulsés par ordre du préfet ou du Département de justice et police, ainsi que 3 détenus militaires.[3] Combien de détenus transférés en Suisse, qui dans un camp, tel autre dans une prison connurent le même sort ? Les sources ne nous le disent pas.

Au niveau national, la Commission Bergier estime qu’au printemps 1945, le nombre de réfugiés se montait à 12’574 dans les camps helvétiques[4]. Quant à ceux qui avaient été refoulés, leur nombre aurait été au minimum de 24’000. Et si le destin de ces malheureux qui ne purent rester en Suisse n’est pas inscrit dans nos carnets et nos répertoires, nous ne pouvons qu’imaginer le destin sinistre et dramatique qui fut le leur.

C’est ainsi un rôle particulier que le Bois-Mermet allait jouer à cette époque, cet établissement étant première étape en Suisse, du moins au cours des premières années de la guerre, des malheureux qui passaient la frontière du Canton de Vaud, prison où leur cas était étudié par un officier de la Police de sûreté. Si ce dernier n’était pas satisfait de son enquête, il plaçait la personne «à disposition » aux fins de son enquête, au terme de laquelle il statuait. Si le réfugié avait de la chance, il quittait les lieux pour gagner un camp d’internement. Le cas échéant, le transfert en cellule de la personne était immédiat, le temps d’organiser les mesures prises à son encontre. Un dispositif rapide et efficace pour lequel le Canton n’avait que peu à dire, tout comme d’ailleurs sur le choix des internés, puisque ces aspects relevaient dans un premier temps du Département fédéral de justice et police[5], puis à partir de 1942 de l’armée à qui fut confié le premier accueil des réfugiés. L’armée, si elle ne réquisitionna pas le Bois-Mermet qui continua à fonctionner et à assurer sa mission première, s’en servit pour son dispositif comme lieu de «triage ».

La prison proposait alors des cellules individuelles avec tinette. Sans doute aurait-elle remplie les conditions de l’OSAR[6] !


[1] Voir les travaux récents de Sacha Zala, directeur des Documents Diplomatiques Suisses.

[2] C. Vuilleumier, Ombres et lumières du Bois-Mermet, Histoire d’une prison lausannoise, (1905-2015), Infolio, Gollion, 2014, p. 97.

[3] Ibid., p. 101.

[4] A. Lasserre, La politique vaudoise envers les réfugiés victimes du nazisme, 1933 à 1945, 2000, p. 102.

[5] Ibid., p. 94.

[6] Le Temps, « Une salle de bain par requérant, l’argument dissuasif de l’OSAR »16 septembre 2015.

 

Les réfugiés des années 40

Septembre 2015. La question des réfugiés fait polémique, une fois encore ! Doit-on ? Ne doit-on pas ? Comment faire ? Ne faudrait-il pas se souvenir de notre histoire et des dispositions de la Berne fédérale il y a 73 ans, pour éviter de reproduire des erreurs dramatiques?

En ce temps-là, la Suisse connaissait une autre vague de migrants, celle des Juifs fuyant les pays sous occupation nazie. La question de ces réfugiés en 1942 n’était pas récente puisqu’en avril 1933, trois mois après l’accession d’Hitler à la chancellerie allemande, le Conseil fédéral édictait déjà un arrêté indiquant que «les Israélites ne doivent pas être jugés comme réfugiés politiques ». La Suisse allait encore réclamer aux sbires du Führer en 1938 l’inscription d’un tampon « J » sur les passeports des Juifs allemands et autrichiens face à l’afflux grandissant de réfugiés originaires de ces pays. Si ce n’est les vieillards ayant en Suisse de la famille répondant pour eux, seuls les émigrés disposant de moyens d’existence suffisants, en mesure de fournir une autorisation d’un consulat helvétique et de prouver qu’ils avaient la possibilité de quitter la Suisse pour un autre État, furent dès lors autorisés à séjourner dans le pays.

Le 17 octobre 1939, le Conseil fédéral prenait un nouvel arrêté qui précisait dans son article 7 que «Le Département de justice et police est autorisé, d’entente avec l’armée, à prendre toutes mesures utiles pour loger les internés…». La situation resta telle jusqu’au 13 août 1942, année de la mise en œuvre par le régime nazi de la solution finale. À partir de cette date, le Conseiller fédéral Édouard von Steiger, qui dirigeait alors le Département fédéral de justice et police, décida avec ses collègues la fermeture des frontières, cela alors même que son Département était au courant de la situation des Juifs en Allemagne et de leur sort dans les camps de concentration[1]. Les réfugiés, et plus particulièrement les Juifs fuyant les persécutions nazies, n’étant pas considérés comme réfugiés politiques, ne purent plus entrer en Suisse autrement que de manière clandestine. Une politique que la Suisse mena jusqu’en juillet 1944, date à laquelle Berne accepta d’accueillir tous les réfugiés civils dont la vie et l’intégrité corporelle étaient menacées. Le vent avait tourné ! Les Alliés venaient de débarquer en Normandie le mois précédent, un événement qui venait mettre un terme à l’esprit collaborationniste régnant sur le Conseil fédéral.

Les dossiers qu’Henry Spira[2] a patiemment instruits en marge de la Commission Bergier et de la sous-commission Lasserre indiquent qu’un certain nombre de personnes de confession juive ayant trouvé refuge dans le Canton de Vaud passèrent par la prison du Bois-Mermet au cours de la période troublée des années trente et de la Deuxième Guerre mondiale, ce que le rapport Bergier ne relève toutefois pas mais que les archives de la prison confirment. Et nombre de ces personnes allaient être expulsées !

Au total, entre 1933 et 1945, ce furent 155 civils réfugiés de confession juive qui furent incarcérés dans la Prison du Bois-Mermet, et 34 détenus israélites placés aux arrêts militaires. Sur ce nombre, 100 civils allaient être expulsés par ordre du préfet ou du Département de justice et police, ainsi que 3 détenus militaires.[3] Combien de détenus transférés en Suisse, qui dans un camp, tel autre dans une prison connurent le même sort ? Les sources ne nous le disent pas.

Au niveau national, la Commission Bergier estime qu’au printemps 1945, le nombre de réfugiés se montait à 12’574 dans les camps helvétiques[4]. Quant à ceux qui avaient été refoulés, leur nombre aurait été au minimum de 24’000. Et si le destin de ces malheureux qui ne purent rester en Suisse n’est pas inscrit dans nos carnets et nos répertoires, nous ne pouvons qu’imaginer le destin sinistre et dramatique qui fut le leur.

C’est ainsi un rôle particulier que le Bois-Mermet allait jouer à cette époque, cet établissement étant première étape en Suisse, du moins au cours des premières années de la guerre, des malheureux qui passaient la frontière du Canton de Vaud, prison où leur cas était étudié par un officier de la Police de sûreté. Si ce dernier n’était pas satisfait de son enquête, il plaçait la personne «à disposition » aux fins de son enquête, au terme de laquelle il statuait. Si le réfugié avait de la chance, il quittait les lieux pour gagner un camp d’internement. Le cas échéant, le transfert en cellule de la personne était immédiat, le temps d’organiser les mesures prises à son encontre. Un dispositif rapide et efficace pour lequel le Canton n’avait que peu à dire, tout comme d’ailleurs sur le choix des internés, puisque ces aspects relevaient dans un premier temps du Département fédéral de justice et police[5], puis à partir de 1942 de l’armée à qui fut confié le premier accueil des réfugiés. L’armée, si elle ne réquisitionna pas le Bois-Mermet qui continua à fonctionner et à assurer sa mission première, s’en servit pour son dispositif comme lieu de «triage ».

La prison proposait alors des cellules individuelles avec tinette. Sans doute aurait-elle remplie les conditions de l’OSAR[6] !


[1] Voir les travaux récents de Sacha Zala, directeur des Documents Diplomatiques Suisses.

[2] C. Vuilleumier, Ombres et lumières du Bois-Mermet, Histoire d’une prison lausannoise, (1905-2015), Infolio, Gollion, 2014, p. 97.

[3] Ibid., p. 101.

[4] A. Lasserre, La politique vaudoise envers les réfugiés victimes du nazisme, 1933 à 1945, 2000, p. 102.

[5] Ibid., p. 94.

[6] Le Temps, « Une salle de bain par requérant, l’argument dissuasif de l’OSAR »16 septembre 2015.

 

La poudrière du Levant

Les années qui précédèrent la Grande guerre de 1914 sont un modèle du genre pour politologues, stratèges en herbes et observateurs intéressés par les jeux de pouvoir entre nations. Les historiens reviennent périodiquement sur cette période pour essayer d’en décortiquer les moindres aspects afin de déterminer les causes de la guerre. L’enjeu d’un tel exercice ne s’arrête évidemment pas à une simple démarche académique puisqu’il met forcément en lumière les responsabilités que l’on aime tant attribuer dans n’importe quel conflit. Responsabilité partagée, responsabilité amoindrie, responsabilité probante, une rhétorique de la culpabilité dont l’historien devrait pourtant s’efforcer de s’éloigner s’il veut conserver une part d’objectivité. Le livre exemplaire du professeur Christopher Clark, « Les Somnambules »(1) , revient sur l’imbroglio politique des Balkans à la veille de l’éclatement de la Première Guerre mondiale, montrant de manière convaincante les jeux politiques, les lignes de force internes à la Serbie, à l’empire austro-hongrois ou à la Russie, les coulisses de pouvoirs autocrates, les clivages mouvants entre intérêts particuliers et les errements de certains acteurs ayant pris part aux événements menant à l’explosion. En 1910, les projets ambitieux d’une Grande Serbie animaient de nombreux nationalistes dont les plus furieux avaient rejoints l’organisation secrète de la « Main noire » – elle n’aurait existé que Conan Doyle l’aurait inventé – fomentant complots, actes terroristes ou assassinats. 
 
Un livre à conseiller pour tout amateur de la période qui, pourtant, laisse un certain malaise à celui qui appliquerait une grille de lecture similaire aux événements contemporains qui se déroulent aux portes de l’Europe. 
 
Le lecteur un peu troublé par les équations politico-militaires dessinées brillamment par Christopher Clark, pourrait en effet interpréter le développement de la situation proche-orientale en lien étroit avec la crise ukrainienne, voyant dans l’expansion islamiste des visées territoriales destinées à s’assurer la main mise sur des ressources pétrolières sous couvert d’une guerre de religion spectaculairement cruelle, et dont l’hémoglobine mise en scène n’aurait d’autre but que d’attirer l’attention pour mieux dissimuler les enjeux, à l’instar des propagandes militaires qui allaient se développer au cours de la Première Guerre mondiale, sur les soldats allemands violeurs et infanticides pour les uns, ou sur les tirailleurs sénégalais mangeurs de chair humaine pour les autres. 
 
Une expansion en conflit avec des mouvances ethniques, religieuses ou nationalistes, syrienne, chiite ou kurde, dont certaines fractions sont à présent prises à revers par le puissant voisin turc dont le gouvernement conservateur et favorable à l’islamisation joue un rôle ambigüe. Une guerre de conquête en marche vers Damas dont le maître, Bachar el-Assad, ancien secrétaire régional du parti Baas, occupe la position d’un satrape sanglant comptant plus de victimes que l’État islamique. Verrons-nous une suite à la confrontation entre les mercenaires du Calife encadrés, dit-on, par d’anciens cadres du parti Baas irakien (2), et les légions du pseudo-séleucide, ou plutôt une conjonction mortifère ? Ce dernier scénario faisant sans doute le jeu de l’allié moscovite, dont le leader fait volontiers « resurgir une atmosphère de Guerre froide en vantant les valeurs conservatrices de son pays, en tant que contrepoids idéologique d’un ordre mondial libéral conduit par l’Amérique » (3). Un allié dont la base navale de Tartous, sur la côte syrienne, face à Chypre, constitue la seule alternative sérieuse en Méditerranée à la base de Sébastopol bâtie du temps de la tsarine Catherine II, sur la Mer noire, et dont la pérennité est remise en question par la situation ukrainienne. Tartous, une base navale plantée en plein Moyen-Orient, tellement évidente aux yeux occidentaux que même Google Map permet de recenser le nombre de bâtiments militaires battant pavillon russe amarrés aux pontons.
 
Le lecteur intéressé par les corrélations interdépendantes et les inéquations adéquates aura dès lors tôt fait de s’apercevoir à quel point les derniers accords passés entre l’Iran et l’Occident, négociés, et espionnés, en partie en Suisse romande, à l’instar des accords de Lausanne de 1923 qui redessinaient les frontières de cette même partie du monde, tombent à point nommé. Un Iran chiite dont l’influence s’étend sur le sud Irak, développant un contre-pouvoir aux prétentions de Daesh. Un Iran redevenu un concurrent redoutable pour les pays du Golfe, un nouvel ami pour les États-Unis dont les experts militaires accompagnent les Peshmergas kurdes sur le terrain contre les djihadistes, et dont le matériel s’accumule à Bagdad ! 
 
Un scénario, bien entendu inspiré de l’échiquier politique du début du XXème siècle, faisant des pays européens des figurants dans une tragédie en deux parties, une première ukrainienne et une seconde orientale. Une Europe ayant punie d’embargo la Russie, figée à présent devant cette poudrière du Levant ressemblant à celle des Balkans, il y a un siècle, derrière laquelle se profilaient les ombres des grands empires d’alors, un théâtre pour lequel, il faut l’espérer, nous n’aurons pas de Sarajevo en ouverture du troisième acte. 
 
(1) Les Somnambules : Été 1914 : Comment l'Europe a marché vers la guerre, Paris, Flammarion, 2013, 668 pp. (édition de proche dans la collection « Champs Histoire »)
(2) www.hebdo.ch/les-blogs/vuilleumier-christophe-les-paradigmes-du-temps/les-combattants-de-l%E2%80%99oubli
(3) http://www.letemps.ch/Page/Uuid/9c7c9584-557c-11e5-8005-b2819b48d67e/Le_r%C3%AAve_sovi%C3%A9tique_de_Vladimir_Poutine
 

Les djihadistes suisses, un phénomène ancien

Envoûtés par des chimères assassines, séduits par quelques Raspoutines promettant pouvoir et considération, nombre de personnes en Occident rejoignent les rangs des djihadistes, se faisant mercenaires à la solde d’égorgeurs, sans autre cause que celle leur ayant été vendue au détour d’une vie sans lendemain. Des janissaires d’occasion, comme cet apprenti de Winterthur[1] ou ces Romands anonymes[2], s’impliquant dans les crimes les plus odieux !

Ces sicaires du XXIème siècle ne sont pourtant pas un phénomène nouveau. L’histoire, qui ne doit pas servir pour autant d’absolution à ces tueurs sans scrupules, révèle d’autres cas.

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, un grand nombre de ressortissants non allemands, relevant en quelque sorte d’une Internationale nazie, rejoignirent les rangs des armées du Reich. Des Anglais, prisonniers de guerre, allaient ainsi former le Corps SS des volontaires britanniques. 29 amateurs d’Hitler au total dont le leader, un certain John Amery, allait être exécuté pour trahison à la fin de la guerre ! Des Espagnols, plus nombreux, puisqu’ils allaient former la Division Azul (Spanische Freiwilligendivision), et se battre sur le front de l’Est. Des Français également, incorporés dans le 33rd SS nommé Division Charlemagne. Des Hollandais, des Norvégiens, des Danois, des Belges Wallons, des Croates, etc. recrutés à force de propagande.

Et des Suisses, comme Emil Seibold, qui appartenait au régiment blindé de la 2e SS-Panzer Division, ou Johann Corrodi, commandant de la 29e Division Waffen-Grenadier SS, ou encore Franz Riedweg, chargé par Heinrich Himmler justement du recrutement et de l’«éducation politique» des volontaires de la Waffen-SS[3]. 700 Suisses, si l’on en croit l’ouvrage de Lothar van Greelen[4], assez ancien, auraient ainsi revêtu l’uniforme allemand.

Sans remonter au temps du service étranger, on pourrait également évoquer ces Suisses qui s’étaient enrôlés dans les armées des pays belligérants lors de la Première Guerre mondiale, en France et en Allemagne notamment. Ils furent au cours de ce conflit suffisamment nombreux pour que la Confédération songe en 1915 à prendre des dispositions législatives afin d’empêcher sa jeunesse résidant à l’étranger de servir dans les armées des pays d’accueil. Mais ce n’allait être qu’en 1927 que le code pénal militaire suisse devait interdire le service étranger[5].

L’engagement actuel de ressortissants helvétiques dans les djihads ne relève pourtant pas de la même notion juridique puisque ces mouvances extrémistes ne sont pas reconnues, fort heureusement, comme des états. Ainsi, le Ministère public de la Confédération reproche à ces aventuriers de transgresser l’article 2 de la loi fédérale sur l’interdiction des groupes Al-Qaida et État islamique, et de leurs organisations affiliées, et de contrevenir à l’article 260ter du Code pénal, qui réprime le soutien ainsi que la participation à une organisation criminelle.

Il n’en demeure pas moins que l’obscurantisme religieux ou politique égare sur les chemins de la folie de trop nombreuses personnes, et que les remèdes tardent à faire sentir leurs effets.


[2] https://www.rts.ch/emissions/temps-present/6095937-sur-la-piste-des-djihadistes-suisses.html

[3] Marco Wyss, Un Suisse au service de la SS -Franz Riedweg (1907-2005), éd. Alphil – Pressses Universitaires Suisses à Neuchâtel, 2010.

[4] Lothar van Greelen, Les Waffen SS au combat (1944-1945), Paris, 1965.

[5] La Suisse et la guerre de 1914-1918, éd. Slatkine, à paraître en octobre 2015.