Les djihadistes suisses, un phénomène ancien

Envoûtés par des chimères assassines, séduits par quelques Raspoutines promettant pouvoir et considération, nombre de personnes en Occident rejoignent les rangs des djihadistes, se faisant mercenaires à la solde d’égorgeurs, sans autre cause que celle leur ayant été vendue au détour d’une vie sans lendemain. Des janissaires d’occasion, comme cet apprenti de Winterthur[1] ou ces Romands anonymes[2], s’impliquant dans les crimes les plus odieux !

Ces sicaires du XXIème siècle ne sont pourtant pas un phénomène nouveau. L’histoire, qui ne doit pas servir pour autant d’absolution à ces tueurs sans scrupules, révèle d’autres cas.

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, un grand nombre de ressortissants non allemands, relevant en quelque sorte d’une Internationale nazie, rejoignirent les rangs des armées du Reich. Des Anglais, prisonniers de guerre, allaient ainsi former le Corps SS des volontaires britanniques. 29 amateurs d’Hitler au total dont le leader, un certain John Amery, allait être exécuté pour trahison à la fin de la guerre ! Des Espagnols, plus nombreux, puisqu’ils allaient former la Division Azul (Spanische Freiwilligendivision), et se battre sur le front de l’Est. Des Français également, incorporés dans le 33rd SS nommé Division Charlemagne. Des Hollandais, des Norvégiens, des Danois, des Belges Wallons, des Croates, etc. recrutés à force de propagande.

Et des Suisses, comme Emil Seibold, qui appartenait au régiment blindé de la 2e SS-Panzer Division, ou Johann Corrodi, commandant de la 29e Division Waffen-Grenadier SS, ou encore Franz Riedweg, chargé par Heinrich Himmler justement du recrutement et de l’«éducation politique» des volontaires de la Waffen-SS[3]. 700 Suisses, si l’on en croit l’ouvrage de Lothar van Greelen[4], assez ancien, auraient ainsi revêtu l’uniforme allemand.

Sans remonter au temps du service étranger, on pourrait également évoquer ces Suisses qui s’étaient enrôlés dans les armées des pays belligérants lors de la Première Guerre mondiale, en France et en Allemagne notamment. Ils furent au cours de ce conflit suffisamment nombreux pour que la Confédération songe en 1915 à prendre des dispositions législatives afin d’empêcher sa jeunesse résidant à l’étranger de servir dans les armées des pays d’accueil. Mais ce n’allait être qu’en 1927 que le code pénal militaire suisse devait interdire le service étranger[5].

L’engagement actuel de ressortissants helvétiques dans les djihads ne relève pourtant pas de la même notion juridique puisque ces mouvances extrémistes ne sont pas reconnues, fort heureusement, comme des états. Ainsi, le Ministère public de la Confédération reproche à ces aventuriers de transgresser l’article 2 de la loi fédérale sur l’interdiction des groupes Al-Qaida et État islamique, et de leurs organisations affiliées, et de contrevenir à l’article 260ter du Code pénal, qui réprime le soutien ainsi que la participation à une organisation criminelle.

Il n’en demeure pas moins que l’obscurantisme religieux ou politique égare sur les chemins de la folie de trop nombreuses personnes, et que les remèdes tardent à faire sentir leurs effets.


[2] https://www.rts.ch/emissions/temps-present/6095937-sur-la-piste-des-djihadistes-suisses.html

[3] Marco Wyss, Un Suisse au service de la SS -Franz Riedweg (1907-2005), éd. Alphil – Pressses Universitaires Suisses à Neuchâtel, 2010.

[4] Lothar van Greelen, Les Waffen SS au combat (1944-1945), Paris, 1965.

[5] La Suisse et la guerre de 1914-1918, éd. Slatkine, à paraître en octobre 2015.

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.