La biologie n’a-t-elle rien d’autre à offrir que sa vision la plus conservatrice ?

L’histoire du monde vivant est imprévisible, parsemée d’extinctions, d’apparitions de nouvelles espèces, de pertes de territoires et de reconquêtes. Les espèces les plus fécondes sont favorisées tant que le milieu naturel leur permet de croître. Lorsque le milieu change, pour une raison ou pour une autre, les espèces, elles aussi, changent, ou disparaissent.

On continue à lire partout que la conservation de la nature existante est la seule option possible…

Aujourd’hui, plus personne ne se souvient que le changement est la norme pour la nature. Des campagnes sans vignes ou des montagnes sans alpages paraissent impensables, tant elles définissent depuis des générations nos paysages et notre conception de la nature. Cette vision pastorale, quasi immuable, va cependant disparaître prochainement. En raison du réchauffement rapide du climat, le monde vivant s’apprête à dévoiler, sous nos yeux, sa véritable nature.

Un bouleversement qui va continuer

Cette fois, ce ne sont plus les espèces liées aux milieux humides, aux forêts primaires de plaine ou aux rivières libres qui seront concernées (elles ont déjà disparu ou régressé depuis longtemps), mais celles, bien plus nombreuses et proches de nous, qui sont intolérantes à la sécheresse et aux températures élevées. Même si la Suisse n’émettait plus un seul gramme de gaz carbonique demain matin, ces espèces continueront à se retirer peu à peu des régions qu’elles avaient colonisées il y a quelques milliers d’années, pour laisser la place à celles de méditerranée, ou à d’autres, allez savoir, aux origines bien plus lointaines.

On aimerait entendre les biologistes raconter une autre histoire que celle qui promet l’enfer et la désolation à ceux qui survivront à la sixième extinction de masse

Face à cette réalité, qui transforme en profondeur nos milieux de vie et les espèces qui les peuplent, le discours dominant n’a pourtant pas changé d’un iota, et on continue à lire partout que la conservation de la nature existante est la seule option possible.

L’écologie doit faire face à nos attentes

Il faudra pourtant bien, un jour, questionner l’intérêt de vouloir à tout prix conserver des espèces dont la tolérance au réchauffement climatique, ou aux milieux transformés par les humains, est faible. Et énoncer, pour une fois, des objectifs de conservation réalisables. La moindre des choses, vu le nombre d’espèces qu’on ajoute chaque année à nos listes rouges, serait de reconnaître qu’on ne sauvera qu’une partie de ce que l’on connaît. Et dans la foulée, annoncer ce qui devra être abandonné…

Guider nos nouveaux écosystèmes dans une direction où le monde vivant, nous compris, se sentira bien

Dès lors, là où conserver les espèces sur le déclin n’apparaît plus possible, pas souhaitable, ou trop cher, on aimerait entendre les biologistes raconter une autre histoire que celle qui promet l’enfer et la désolation à ceux qui survivront à la sixième extinction de masse. Nous avons besoin d’une écologie scientifique qui réponde aux attentes des collectivités publiques, afin qu’elles gèrent au mieux leurs écosystèmes anthropisés, de manière à offrir des espaces fonctionnels aux humains et aux nombreuses espèces animales et végétales, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs, domestiquées ou sauvages, qui les habiteront dans le futur.

L’écologie qu’on entend, arcboutée sur l’idée fixe que la seule nature qui fonctionne est celle d’il y a deux cent ans, ferait bien mieux de nous aider à concevoir, dans un futur incertain qui ne dépend pas entièrement de nous, un environnement dans lequel diversité biologique et culture humaine ne se regardent pas en chien de faïence, mais coopèrent, dans le but de guider nos nouveaux écosystèmes dans une direction où le monde vivant, nous compris, se sentira bien.

Aujourd’hui, cette biologie progressiste et utile, libérée du mythe d’Adam et Eve et de sa nature créée par dieu, existe, mais est inaudible.

C’est bien dommage, car elle nous est indispensable.

Christophe Ebener

En savoir plus sur cette écologie progressiste et optimiste :
Christian Levêque, Quelles rivières pour demain?, 2016
Alexandra Liarsou, Biodiversité, entre nature et culture, 2013
François Terrasson, Un combat pour la nature : Pour une écologie de l’Homme, 2011
Andreas Malm, The Progress of This Storm – Nature and Society in a Warming World, 2018

Christophe Ebener

Né à Genève en 1975. Licence de biologie à l’Uni de Genève, ensuite master à l’EPFL . Siège à la Commission de la Pêche du canton de Genève. Président de la Fédération des Sociétés de Pêche Genevoises. Membre des Verts depuis 2003. Réveillé la nuit par l’argumentation et la controverse. Pêche les truites dans les eaux claires et limpides.

3 réponses à “La biologie n’a-t-elle rien d’autre à offrir que sa vision la plus conservatrice ?

  1. C’est ça, laisser aller et demander à ceux qui ont créé le problème le soin de trouver une solution, qui devra forcément être rentable… on peut s’attendre à payer le prix fort. Je n’aime pas votre vision.

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