François-Alphonse Forel, l’illustre naturaliste et limnologue suisse, disait en 1898 à propos de l’introduction de la perche soleil (espèce nord-américaine) : «Il est à espérer que cette jolie espèce se reproduira dans notre lac et enrichira définitivement nos eaux…». (1)
Aujourd’hui, les temps on bien changé. Chaque fois qu’une nouvelle espèce apparaît dans un écosystème, tout le monde se demande quel déséquilibre catastrophique cette dernière va bien pouvoir produire.
Le silure glane, maintenant bien présent dans le Rhône et le Léman n’échappe pas à la règle. Il a été cité dans un nombre record d’articles de presse, alors même qu’une étude récente suggère que sa présence n’a que peu d’impact sur les peuplements piscicoles du Rhône français.
Le prochain à faire parler de lui sera probablement le black bass, originaire d’Amérique du Nord, dont les captures deviennent régulières dans le Rhône. Sur lui, on dira, comme on l’a fait pour le silure, qu’il va détruire les stocks de perches, ou alors qu’il a un appétit démesuré, comme on a pu l’entendre autrefois sur le brochet, dont on disait qu’il mangeait chaque jour son propre poids en poissons…
Qui se souvient que les barbeaux, qui constituent la majeure partie de la biomasse piscicole de nos cours d’eau, ont été introduits dans le Léman, tout comme les carpes, les brèmes et les lottes ? Et que dire des végétaux cultivés ici, dont la plupart ne sont pas européens? Même nos vénérables platanes ne sont pas indigènes. Ni la classique luzerne, originaire de la région Caspienne, et amenée ici par les hommes il y a plus de 8000 ans.
Ainsi, c’est un fait incontestable, peu d’espèces exotiques on réellement un impact négatif sur la nature. Les quelques cas problématiques qui sont mis en avant sont toujours les mêmes, et on passe sous silence – stratégie sciemment développée par la frange la plus conservatrice des biologistes – les nombreuses espèces non indigènes qui se sont acclimatées ici sans poser problème.
Alors que nos populations de poissons d’eaux vives sont en régression constante depuis 50 ans, et que leurs conditions de vie continuent à se dégrader en raison des activités humaines, ne pourrait-on pas cesser de crier au loup, et reconnaître que certaines espèces venues d’ailleurs ont leur place dans un environnement que, nous tous, avons tellement transformé qu’elles seront celles qui s’y sentiront le mieux dans un futur proche ?
Christophe Ebener
(1) http://www.unige.ch/sphn/Publications/ArchivesSciences/AdS%202004-2015/AdS%202005%20Vol%2058%20Fasc%203/183-192_58_3.pdf