Frontex: les dérives de la politique migratoire européenne

Dans son édition du 26 avril, Le Temps nous apprend qu’un article lié à Frontex est censuré par l’Office fédéral des douanes (OFDF). Le journaliste du Temps cherchait à répondre à la question fondamentale de cette votation : « En participant à Frontex, la Suisse renforce-t-elle la protection des droits fondamentaux des migrants ou ne se fait-elle pas la complice des corps nationaux de garde-frontières – notamment celui des Grecs – qui n’hésitent pas à les refouler sans scrupules ? »

 

Censure

L’OFDF n’a pas autorisé la parution de l’article qui contenait le portrait déjà réalisé d’un garde-frontière genevois et a refusé toute demande d’interview de son vice-directeur, membre du conseil d’administration de Frontex. On ne peut que regretter cette attitude, qui met forcément la puce à l’oreille.

La question du journaliste était pourtant dans le mille. En moins d’une décennie, des dizaines de milliers de personnes ont péri en Méditerranée. Aux portes de l’Europe, de ses ports, de ses plages, de ses stations balnéaires. Chaque année, ce drame humain se reproduit, et de nouveaux corps agrandissent le grand cimetière bleu, sous les yeux indifférents des dirigeant·e·s et des populations européennes. Ce tragique constat, il convient de le garder à l’esprit lorsque l’on parle de politique migratoire européenne et lorsque se pose la question de l’augmentation du budget de l’Agence Frontex.

 

Bafouement du droit international

Frontex, c’est l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Cette agence fait l’objet de nombreuses critiques, en raison notamment de son manque de transparence et des violations des droits humains qu’elle ne dénonce pas ou dont elle se rend coupable. Des enquêtes journalistiques et des rapports d’organisations d’aide aux réfugié·e·s font état de renvois collectifs et de refoulements bafouant le droit international. Des violences à l’encontre des personnes migrantes sont relatées aux frontières de l’Europe, sans que les pays membres de l’UE n’interviennent. Du fait des agissements de Frontex, les droits des réfugié·e·s ne sont pas respectés. L’agence est notamment accusée d’avoir participé à des opérations consistant à repousser des embarcations de migrant·e·s au large des côtes (opérations dites «push-back»). Le 27 avril, une enquête publiée par le quotidien Le Monde et Lighthouse Reports a démontré qu’entre mars 2020 et septembre 2021, Frontex a répertorié des renvois illégaux de migrants, parvenus dans les eaux grecques, comme de simples “opérations de prévention au départ, menées dans les eaux turques”.

Image: pixabay.com

En couvrant – voire en prenant part à – ce genre de pratiques au lieu de les dénoncer, Frontex empêche les personnes migrantes de faire valoir leurs droits et de déposer une demande d’asile, étape initiale et indispensable de toute procédure d’asile.

 

L’augmentation massive du budget de Frontex de la part de la Suisse et des autres États membres des accords Schengen contribuera à renforcer davantage la militarisation de l’Agence, alors même qu’elle souffre de graves dysfonctionnements.

 

La contribution de la Suisse à Frontex s’élevait à 24 millions de francs en 2021. L’extension prévoit une contribution de 61 millions en 2027. L’augmentation massive du budget de Frontex de la part de la Suisse et des autres États membres des accords Schengen contribuera à renforcer davantage la militarisation de l’Agence, alors même qu’elle souffre de graves dysfonctionnements, ayant entre autres conduit à la récente démission de son directeur le 28 avril dernier. L’objectif principal de cette augmentation de budget n’est pas de garantir un meilleur respect des droits humains des personnes migrantes, mais de continuer à fortifier les frontières européennes et à mener une politique de repli incompatible avec les traités internationaux relatifs aux droits des réfugié·e·s.

 

Plus simple de fermer les yeux?

Contrairement à ce que l’on peut parfois entendre et lire autour de Frontex, la votation ne porte pas sur le retrait ou non de la Suisse de l’espace Schengen, avec ses conséquences en matière de sécurité ou de voyages touristiques. Les Vert·e·s soutiennent d’ailleurs les accords Schengen et la collaboration interétatique qu’ils prévoient. L’objet de la votation du 15 mai prochain, c’est l’arrêté fédéral ayant trait à l’extension de Frontex. En cas de non, la Suisse ne serait pas automatiquement exclue des accords Schengen mais des négociations avec les États membres de l’UE et la Commission européenne auraient lieu.

En effet, il serait plus simple de continuer à fermer les yeux sur ce qui se passe aux frontières de l’Europe. Mais au prix de rendre la Suisse coresponsable de violations des droits humains en soutenant une telle politique migratoire?

 

En s’opposant à l’extension de Frontex, le peuple suisse a la possibilité d’envoyer un signal fort non seulement au Parlement et au Conseil fédéral, en les exhortant de retravailler un projet davantage orienté sur le respect des droits humains.

 

Pourquoi ce référendum?

Durant les débats parlementaires concernant la reprise du règlement européen relatif à Frontex, des propositions visant un engagement plus important de la Suisse en matière de droits humains avaient été émises par les partis de gauche. Mais elles ont été refusées par le Parlement!

 

Image: flickr.com

En s’opposant à l’extension de Frontex, le peuple suisse a la possibilité d’envoyer un signal fort non seulement au Parlement et au Conseil fédéral, en les exhortant de retravailler un projet davantage orienté sur le respect des droits humains, mais aussi à l’agence Frontex elle-même, en montrant que ses actions et sa politique ne sont pas acceptables. De ce fait, la Suisse rejoindrait les critiques proférées par le Parlement européen ainsi que de nombreux médias et associations d’aide aux personnes migrantes à l’encontre de Frontex. Dans le but de conduire à une réforme plus large de la politique européenne, aujourd’hui dans l’incapacité de répondre aux défis migratoires avec humanité et respect de la dignité des personnes en exil. Les migrants ne sont pas des délinquants mais des personnes qui sont en situations de détresse !

 

 

Industrie du tabac: la Suisse gravement complice d’un business mortel!

La complaisance du monde politique suisse à l’égard de l’industrie du tabac est scandaleuse et inquiétante. Concernant les restrictions de la publicité pour le tabac, notre pays pointe à l’avant-dernier rang du classement 2019 du « Tobacco control Scale » en Europe. Cette échelle mesure depuis 2006 les politiques de prévention anti-tabac des pays européens

 

Un business mortel dont nous sommes complices

La cigarette tue chaque année prématurément 9500 personnes en Suisse, soit plus d’un décès sur 7.[1] Et un fumeur sur deux. Ce fardeau sanitaire global du tabac est colossal. À lui seul, il est responsable de 1 cancer sur 3, dont principalement ceux du poumon, de la gorge, de la bouche, des lèvres, du pancréas, des reins, de la vessie, et de l’utérus.[2] Le tabac cause aussi de graves pathologies cardio-vasculaires tels que l’infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux. Et 90% des personnes souffrant de broncho-pneumonie chronique obstructive (BPCO), une maladie terrible ayant un impact majeur sur la qualité de vie, sont des fumeurs ou d’anciens fumeurs.[3] Ainsi, un fumeur régulier sur deux mourra des conséquences de son tabagisme.[4] Drôle d’industrie que celle qui tue la moitié de ses consommateurs.trices…

57% des fumeurs ont commencé alors qu’ils étaient mineurs. Les cigarettiers le savent, les autorités politiques aussi. Pourtant, nous laissons faire.

La cigarette a été développée par une industrie particulièrement sans scrupule qui au cours de son histoire n’a pas hésité à mentir à plusieurs reprises lors d’importants procès (tant sur la nocivité de la cigarette que sur l’addictivité de la nicotine) pour éviter de devoir rendre des comptes et pouvoir étendre son business mortel.

De plus, la publicité et la promotion des produits du tabac sont au cœur de la démarche marketing des cigarettiers et elles ciblent avant tous les jeunes. En effet, la nicotine contenue dans la cigarette est une aubaine pour l’industrie du tabac. Plus addictogène que la cocaïne, elle garantit la fidélité du client sans nécessité de carte cumulus ou de cadeaux annuels. Ainsi, l’essentiel du business model des cigarettiers est simple : trouver des nouveaux clients. En toute logique, les jeunes sont leur cible favorite. Et le constat est sans appel : 57% des fumeurs ont commencé alors qu’ils étaient mineurs.[5] Les cigarettiers le savent, les autorités politiques aussi. Pourtant, nous laissons faire.

La complaisance, ou même complicité, du monde politique suisse à l’égard de l’industrie du tabac a pour conséquence une mauvaise protection de notre jeunesse. 31.6% des jeunes de 15 à 25 ans fument quotidiennement ou occasionnellement dans notre pays.[6] Ce pourcentage élevé n’est malheureusement pas surprenant quand on sait que la Suisse est le seul pays d’Europe à ne pas avoir ratifié la convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. L’influence importante du lobby de la cigarette est la seule explication à cette passivité extrême des autorités helvétiques en matière de prévention antitabac.

 

Un cendrier pour illustrer la Suisse

Source: Tobacco Control

Les récents épisodes (2019) du financement du vernissage de l’ambassade suisse à Moscou[7] et celui prévu pour le pavillon suisse à l’expo universel de Dubaï[8] ont même mené à ce que la Suisse fasse la une de la revue scientifique « Tobacco Control » dans son numéro de septembre 2019. En effet, la couverture représentait une carte de l’Europe avec au centre une Suisse en forme de cendrier. L’éditorial de ce numéro était d’ailleurs sans appel, fustigeant la politique suisse en matière de prévention anti-tabac et l’influence malsaine de l’industrie du tabac sur le monde politique suisse.[9] Cette proximité douteuse entre industrie du tabac et monde politique et diplomatique suisse dure depuis trop longtemps et nous nous devons de faire passer l’intérêt public de la santé de notre jeunesse avant celui de quelques entreprises privées.

 

 

Source: https://www.tobaccocontrolscale.org/

Concrètement, comment se traduit cette influence du lobby de l’industrie du tabac sur le monde politique suisse ?

La réponse est peut-être à chercher dans la comparaison avec nos voisins européens. Ainsi, la Suisse pointe au 35ème rang sur 36 du classement 2019 du « Tobacco control Scale » en Europe. Cette échelle mesure depuis 2006 les politiques de prévention anti-tabac des pays européens. Ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que la Suisse était encore au 21ème rang en 2016. Pire, et comme mentionné plus haut, notre pays est dernier de classe concernant les restrictions de la publicité pour le tabac!

 

L’interdiction de la publicité auprès des mineurs est une des mesures les plus efficaces

 

Pourtant, la lutte antitabac existe maintenant depuis des décennies et nous savons parfaitement quels sont les outils de prévention efficaces. Selon l’OMS, il y en a 4 essentiellement[10] :

  1. Augmenter le prix du paquet de cigarette ;
  2. Sensibiliser et informer la population (paquet neutre, message choc, etc.) ;
  3. Soutenir les programmes d’aides au sevrage ;
  4. Interdire la publicité pour le tabac.

Selon l’OMS qui se base sur de nombreuses données scientifiques, une interdiction de la publicité qui atteint les mineurs a ainsi pour impact de réduire clairement la consommation à long terme.

L’interdiction concernant les produits du tabac de toute forme de publicité qui atteint les enfants et les jeunes est en vigueur dans la plupart des pays européens et dans 182 pays dans le monde. Mais pas en Suisse!

Dans ce cadre, l’initiative « Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac » comble une lacune importante de la politique sanitaire suisse. Cette initiative propose en effet d’inscrire dans la Constitution une interdiction concernant les produits du tabac de toute forme de publicité qui atteint les enfants et les jeunes. Cette interdiction est d’ailleurs en vigueur dans la plupart des pays européens et permettrait à la Suisse de respecter, sur ce point, la Convention cadre de l’OMS en matière de prévention contre le tabac, convention ratifiée par 182 pays (représentant plus de 90% de la population mondiale), mais pas par la Suisse (!).

Quant au contre-projet adopté par le Parlement, ce n’est qu’un exercice alibi : la publicité dans les médias gratuits, les festivals ou les réseaux sociaux, soit partout où l’on peut particulièrement bien atteindre les jeunes, resterait autorisée. Le contre-projet montre surtout qu’au Parlement les intérêts de l’industrie du tabac pèsent davantage que le bien-être et la santé des enfants et des jeunes.

Qu’en 2022 des politiciennes et politiciens osent encore tenir le discours du libre choix et de la liberté économique dans un contexte de dépendance à une substance psycho-active relève d’un aveuglement idéologique, d’une ignorance coupable ou d’une soumission aux intérêts privés du lobby du tabac.

5 milliards par année. C’est le montant des coûts socio-sanitaires du tabac en Suisse.  Ils sont répartis entre frais médicaux (3 milliards) et baisse de productivité (2 milliards).[11] Ces coûts dépassent donc largement l’impôt sur la cigarette qui a rapporté 2.08 milliards de francs en 2018.[12] Une diminution du nombre de fumeurs, objectif final de cette interdiction de la publicité auprès des enfants et des jeunes, sera donc bénéfique aussi pour les caisses publiques.

Contrairement à la rhétorique des opposants à l’initiative, fumer ne se limite pas à une question de libre choix. La publicité et la promotion des produits du tabac, ciblant tout particulièrement la jeunesse, influencent le consommateur jeune et l’incite à commencer à fumer. L’addictivité de la nicotine fait le reste pour que la dépendance s’installe rapidement. Qu’en 2022 des politiciennes et politiciens osent encore tenir le discours du libre choix et de la liberté économique dans un contexte de dépendance à une substance psycho-active relève d’un aveuglement idéologique, d’une ignorance coupable ou d’une soumission aux intérêts privés du lobby du tabac.

D’ailleurs, plus de 60% des fumeurs souhaiteraient arrêter la cigarette.[13] Mais face une substance aussi addictive, le défi est majeur. En légiférant sur la publicité et en soutenant cette initiative, on limite les tentations.

La question est simple : souhaitons-nous mieux protéger notre jeunesse contre un danger sanitaire majeur ou préférons-nous poursuivre cette publicité mortifère ? C’est à chacun.e d’entre nous d’en décider en son âme et conscience.

Protégeons nos enfants et nos jeunes contre les méfaits du tabac.  Stopper la publicité auprès de la jeunesse est une des meilleures façons de réduire cette importante cause de mortalité.

 

[1] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/determinants/tabac.html

[2] https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/tabac/articles/quelles-sont-les-consequences-du-tabagisme-sur-la-sante

[3] https://www.stop-tabac.ch/fr/risques-et-maladies/les-maladies-consecutives-au-tabagisme/bpco).

[4] https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/tabac/articles/quelles-sont-les-consequences-du-tabagisme-sur-la-sante

[5] https://enfantssanstabac.ch/arguments-2/

[6] https://enfantssanstabac.ch/arguments-2/

[7] https://www.letemps.ch/suisse/un-oligarque-russe-sponsor-lambassade-suisse-moscou

[8] https://www.letemps.ch/economie/philip-morris-sponsor-pavillon-suisse-dubai-tolle

[9] https://tobaccocontrol.bmj.com/content/28/5

[10] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/tobacco

[11] https://www.suchtmonitoring.ch/fr/1/8.html

[12] https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/politische-auftraege-und-aktionsplaene/politische-auftraege-zur-tabakpraevention/tabakpolitik-schweiz/tabaksteuer.html

[13] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/determinants/tabac.html