Demandeurs d’asile: du travail et non des limitations de mouvement

La Suisse n’échappe pas à la tendance croissante qui existe partout en Europe de restreindre la liberté de mouvement des demandeurs d’asile. Les Etats criminalisent toujours plus cette catégorie de migrants en les plaçant en détention (c’est le cas en Pologne et de plus en plus en Autriche et en Belgique notamment) ou en leur imposant des mesures de restrictions à leur liberté de mouvement qui, selon les cas, peuvent être tendanciellement tout aussi incisives. Dans bien des pays, les « cas Dublin » sont désormais systématiquement placés dans des centres de rétention.

L’ère du soupçon généralisé

En Suisse, si en général les demandeurs d’asile sont pour l’heure accueillis dans des centres dits « ouverts » durant la procédure d’asile, les risques de voir des pratiques de limitations de plus en plus incisives se banaliser ne sont pas anodins. Ainsi face à la pénurie de places d’hébergement et la nécessité de créer des nouveaux centres fédéraux, l’ODM expérimente actuellement de nouveaux modes de restrictions qui tendent à limiter de fait les périmètres de sortie des demandeurs d’asile. A Bremgarten où s’organise la mise en place d’un centre fédéral provisoire de 150 places, les résistances de la population et le refus des communes argoviennes à héberger des centres légitiment l’instauration de « zones sensibles » au régime peu transparent pour les demandeurs d’asile. La convention entre cette commune de 6400 habitants et l’ODM demeurant confidentielle, il est difficile à ce stade de se faire une idée exacte du nouveau régime. En l’état actuel des connaissances et bien que les 11 zones concernées touchent uniquement aux écoles et installations sportives dont la piscine, le principe de l’interdiction lui-même laisse songueur. Du moment où le principe est accepté, pourquoi ne pas l’étendre ?

D’abord, il importe de rappeler que la grande majorité des demandeurs d’asile ont besoin d’un encadrement sécurisant pour se reconstruire et doivent être placés dans des centres dotés d’un régime adapté à leur condition. Si la mise en place de règles strictes en lien avec l’organisation de la vie collective dans un centre peut se justifier s’agissant des horaires des repas et des sorties, il n’est pas inutile de rappeler que les restrictions à la liberté de mouvement touchent à une ingérence physique et psychologique dans une liberté fondamentale. Restreindre la capacité de se mouvoir librement d’une personne aussi vulnérable qu’un demandeur d’asile, c’est dominer pleinement son mode de vie. C’est l’empêcher d’interagir avec ses semblables et de nouer des relations en-dehors du périmètre auquel il aura été confiné.

Délire sécuritaire en Argovie

Certes, des limitations peuvent se justifier si elles sont prévues par la loi et pour autant que celles-ci soient efficaces pour atteindre un but légitime et proportionné. Or, en instaurant des « zones sensibles » qui requièrent des démarches administratives rigoureuses (obligation de motivation, explications en tous genres, délais nécessaires) à tous les demandeurs d’asile, l’ODM se rapproche dangereusement des interdictions de périmètre prévus dans la loi sur les étrangers (art. 74) qui restreignent la liberté de mouvement. Par ailleurs, la nouvelle loi sur l’asile (art. 26 al. 1bis) acceptée sous l’urgence en juin dernier prévoit des régimes spécifiques du genre mais uniquement pour les requérants d’asile « récalcitrants ». Le hic, c’est que les limitations légales ne sont prévues que pour ceux qui troublent ou menacent la sécurité et l’ordre publics. Ce sont les consommateurs et trafiquants de drogue ainsi que ceux qui sont soupçonnés d’être impliqués dans ce trafic qui sont essentiellement visés, le but étant de les empêcher d’accéder aux lieux d’écoulement de substances. Appliquée à titre préventif, cette disposition vise à empêcher que les migrants sans séjour fixe ne commettent des infractions pénales mais la loi requiert toutefois des indices concrets. Or dans le cas de Bremgarten, les restrictions s’appliquent pour tous les demandeurs d’asile sans même requérir l’existence d’indices. Autre problème : dans le cas d’une interdiction de périmètre, la personne peut recourir contre une telle décision et exposer ses arguments. A Bremgarten, on ignore totalement la manière dont va être géré l’arbitraire d’une décision de refus par la commune.

Dans ce cas comme pour d’autres, il importe de rappeler que d’autres mesures beaucoup moins incisives ont déjà prouvé leur efficacité et permis de ménager les libertés personnelles des migrants face aux préoccupations sécuritaires des habitants. Il en va ainsi de l’obligation de se présenter à intervalles réguliers pour des contrôles ou du prononcé d’un couvre-feu. Plus largement, la meilleure façon de pallier aux potentiels problèmes serait de leur permettre de travailler ou, à tout le moins, de mettre en place des programmes d’occupation crédibles.

Toast à la patrie

Discours prononcé le 1er août 2013 à Yverdon-les-Bains

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La démocratie, la solidarité et le travail honnête : l’essence du patriotisme suisse

Chères et chers concitoyens et habitants d’Yverdon-les-Bains et d’ailleurs,

C’est pour moi un honneur de pouvoir porter un toast patriotique, en ce jour de Fête nationale. Une fête qui est devenue, après de longues tractations bien helvétiques, un jour férié dans notre pays depuis près de 20 ans maintenant. C’est également une fierté. Une patrie n’a en effet de sens que si les individus qui la composent la vivent et la ressentent. La patrie contribue au sentiment d’appartenir à une communauté. Elle signifie avoir conscience que l’on peut et que l’on doit progresser ensemble. Or, en Suisse et dans le Canton de Vaud, les valeurs patriotiques vont dans le sens de la démocratie, de la solidarité et du travail honnête. Ce sont ces valeurs-là qui se sont affirmées, dans différents domaines, avec une nouvelle vigueur ces derniers temps.

Le 1er août est une fête nationale inventée à la fin du 19ème siècle. Alors que l’ensemble de l’Europe se trouvait aspirée par une sorte de ferveur nationaliste, notre fête nationale puisait ses racines profondes dans des valeurs constructives. Ce n’est pas un hasard si l’émergence de cette fête coïncide avec l’élargissement des droits démocratiques, avec le début de la protection sociale et de l’assurance-maladie ou encore avec la première législation régulant le travail dans les fabriques. Notre fête coïncide aussi avec la consolidation et le plein essor de notre industrie et de nos entreprises de services ou encore avec la mise en place d’infrastructures publiques d’envergure suite à la nationalisation de la plus grande partie du réseau des chemins de fer de l’époque.

En ce 1er août 2013, les valeurs de la démocratie, de la solidarité et du travail honnête n’ont rien perdu de leur actualité et de leur importance. Et il est réjouissant de constater que, y compris dans notre Canton, elles ont connu ces dernières années une nouvelle jeunesse.

En matière de démocratie tout d’abord : rarement dans son histoire, le Conseil fédéral a aussi bien représenté l’intérêt général et une indépendance certaine vis-à-vis des lobbies, avec, par exemple, des conseillères fédérales qui se sont ouvertement faites les avocates de la fin du nucléaire ou du secret bancaire. Jamais, avant l’année passée dans l’histoire du Conseil d’Etat vaudois, notre collège gouvernemental cantonal n’a été composé par une majorité de femmes. Souvenons-nous par ailleurs qu’il y a moins de 20 ans, les chantres du libéralisme débridé nous prédisaient que c’est en dérégulant l’économie, en réduisant la taille de l’Etat et en baissant les impôts que notre pays allait trouver son salut. Grâce à la démocratie directe, ces projets ont pu être empêchés ou fortement freinés dans l’intérêt général. Aujourd’hui, la Suisse est un des pays où les libéralisations ont le moins avancé dans le monde. Or, nous constatons avec grande satisfaction que notre économie va bien en comparaison internationale, grâce, justement, au maintien d’un Etat démocratique fort.

En matière de solidarité ensuite : ces cinq dernières années le Canton de Vaud a été marqué par un dynamisme économique et social impressionnant. Nos finances sont saines, nous disposons d’une politique sociale et sanitaire parmi les plus progressistes de Suisse et d’Europe et nous pouvons affronter notre avenir commun avec une sérénité certaine.

En matière de travail honnête enfin : depuis les années 1930 au moins, certains milieux présentaient la défense d’un secret bancaire protégeant bien trop souvent les fraudeurs et les tricheurs (et quelques dictateurs aussi) comme une valeur suisse essentielle sans laquelle notre pays et son économie devait sombrer. Or, malgré l’effritement du secret bancaire à un rythme époustouflant, nous constatons avec satisfaction que c’est le travail honnête quotidien, dans nos industries et entreprises, dans nos services publics et dans les banques et assurances qui placent le travail bien fait au-dessus du secret bancaire, qui font, toujours, la prospérité de notre pays.

Voilà, Mesdames et Messieurs, chères et chers concitoyens et habitants d’Yverdon-les-Bains et d’ailleurs, je nous invite à célébrer ces valeurs qui constituent l’essence patriotique de notre pays. Soignons la Suisse. Il ne doit y avoir aucune gêne à se l’approprier. Ce sont ces valeurs qui feront aussi notre fierté de demain. Parmi elles, rappelons nous de l’importance de l’ouverture aux autres qu’ils soient d’ici et d’ailleurs. Comme le disait l’écrivain Friedrich Dürrenmatt au sujet de la chance qu’a eu notre pays d’être préservé des guerres et d’autres ravages profonds : « avoir été préservé par le sort n’est ni un sujet de honte, ni un sujet de gloire, c’est un avertissement ». N’oublions donc jamais de chercher à rendre notre communauté toujours plus juste, toujours plus sociale, toujours plus ouverte et toujours plus démocratique. Ceci est le fondement indispensable au libre développement de chacun de nous.

Permettez-moi dès lors de vous souhaiter à toutes et à tous un magnifique 1er août. Maintenant, sur cette splendide place du nom de Pestalozzi, lui qui fût un patriote suisse au rayonnement européen. Plus tard, au bord du lac avec les jeunes de notre belle cité. Que nous puissions nous réunir à nouveau l’année prochaine avec la satisfaction d’avoir progressé ensemble.

Vive Yverdon-les-Bains!

Vive le canton de Vaud!

Vive la Suisse!

Asile : sept semaines pour convaincre

Partout en Europe, le droit d’asile est marqué par de fortes tensions provoquées par les révolutions arabes et leur impact migratoire et sécuritaire. Au cœur des controverses, se trouvent des initiatives politiques de plus en plus nombreuses, inspirées soit par l’objectif de contrôle du territoire et des frontières, soit par la volonté de mettre en place un nouveau système de soutien efficace qui permette à celui qui demande une protection d’être correctement et justement traité.

 

En Suisse, les trois révisions en cours de la Loi sur l’asile s’inscrivent en plein dans cette activisme politique ambivalent (cf. tableau ci-dessous). D’une part, certaines mesures proposées par ces révisions portent sur des durcissements classiques qui pérennisent une politique désuète et vieille de 30 ans. D’autre part, une part grandissante de ces mesures s’articulent autour de tentatives, plus ou moins réussies, de refondation de la politique d’asile par le biais de l’accélération des procédures (rapidité du système de traitement, nouvelles garanties procédurales, amélioration de la prévention des dysfonctionnements) et de la restructuration du domaine de l’asile (transfert de la grande majorité des procédures vers les centres fédéraux, nouvelles capacités d’accueil, amélioration de la solidarité entre autorités cantonales et fédérales). La mise en place de « phases-tests » durant ces deux prochaines années, la réduction drastique des délais de recours de 30 à 10 jours et de traitement à 140 jours ainsi que le projet de nouveau centre fédéral à Zürich qui accueillera près de 500 requérants d’asile, constituent des exemples récents de ce nouvel esprit de réforme.

 

La votation sur l’asile sur laquelle nous nous prononcerons le 9 juin prochain touche tant à des mesures de durcissements que d’accélération. Toutefois, seules quatre mesures particulières qui s’inscrivent pour l’essentiel dans une vieille logique de durcissement sont contestées:

 

1) Suppression de la « procédure d’ambassade » : le rendez-vous manqué d’une action concertée avec l’UE

La procédure d’ambassade permettait de déposer une demande d’asile à l’étranger. Cette possibilité constituait, pour les personnes qui nécessitent une protection et qui ont un lien fort avec la Suisse, une possibilité efficace d’éviter les itinéraires de fuite dangereux et le recours aux passeurs. Dorénavant, ces personnes devront venir déposer leur demande d’asile en Suisse et y accèderont soit par le biais d’un visa humanitaire, soit illégalement par le biais de passeurs. Avec cette procédure d’ambassade, la phase préparatoire du dossier avait lieu à l’étranger de sorte que la personne était directement informée pour le cas où sa demande n’avait aucune chance de succès. Dans ce dernier cas, on évitait des frais de renvois.

L’expérience démontre que par le biais de la procédure d’ambassade, il est possible d’accorder une protection à des personnes véritablement persécutées et de contribuer à compenser les difficultés dans les cas de regroupement familial. Le nombre d’autorisations d’entrée délivrées et de décisions d’octroi de l’asile qui n’est que de quelques centaines, prouve l’importance de cette procédure qui correspond entièrement aux objectifs de la Convention relative au statut des réfugiés. Le visa humanitaire n’est pas un moyen de remplacement suffisant car son application est en principe plus limitée. Par ailleurs, ce sont les autorités consulaires, sans compétences en matière d’asile, qui examinent les dossiers.

La suppression de la procédure d’ambassade au moment même où le peuple syrien paye le prix fort de sa liberté et alors même que ce peuple a plus que jamais besoin du soutien humanitaire et politique de tous les pays démocratiques, est particulièrement choquant. Alors que les Syriens sont plus de 4 millions à demeurer dans des camps de réfugiés et que le HCR dispose de moyens limités, la Suisse n’a autorisé qu’un contingent de 73 personnes à venir en Suisse depuis septembre 2012. Pour un pays à tradition humanitaire, les procédures d’ambassade constituent un signe de solidarité important avec les pays du Sud qui accueillent plus de 80% des 43 millions de personnes déplacées dans le monde. Faut-il le rappeler : en Suisse, les réfugiés et les admis provisoires constituent 0.6% de la population totale et les demandeurs d’asile 0.3%. Au lieu de supprimer cette procédure, on aurait pu légitimement attendre de la Suisse qu’elle mène une action musclée auprès de ses partenaires européens pour une réinstauration commune de cette procédure.

2) Suppression de la désertion comme motif d’asile : un « frein migratoire » qui ne change rien  à la réalité

Est également contestée l’exclusion de la définition de réfugié des personnes qui objectent ou qui ont déserté. Théoriquement, l’énoncé légal signifie que la Suisse refuse de reconnaître le droit d'asile à des réfugiés de guerre même en cas de risque avéré de persécution. Ne pas collaborer activement à un conflit armé est perçu comme un acte de résistance à des régimes autoritaires et comporte donc un risque de traitement inhumain (détentions arbitraires, tortures, mort) et par conséquent un besoin de protection. Ne pas reconnaître ce besoin de protection constituerait une dérogation considérable à la Convention relative au statut des réfugiés. C’est pourquoi, malgré la modification de l’énoncé légal et sa mise en vigueur depuis six mois, les chiffres attestent que le taux de reconnaissance de l’asile des personnes provenant des pays touchés par cette problématique (Erythrée, Sri-Lanka, Colombie, Syrie) est resté inchangé. Cette politique qui consiste à voter des durcissements théoriques impraticables et dont on sait qu’ils ne pourront pas avoir d’effet sur la pratique, est inadmissible en démocratie.

 

3) Mise en place de centres spécifiques pour requérants d’asile « récalcitrants » : le choix de l’isolement plutôt que du travail

La nouvelle loi prévoit des « centres spécifiques » où seront placées des personnes qui n’ont commis aucun délit, mais dont le comportement pose problème. Le « centre spécifique » est une version édulcorée du projet de l’UDC et de la Lega qui souhaitent des camps d’internement (centres fermés). Il importe de s’interroger sur l’utilité de ces centres car les délinquants peuvent déjà être sanctionnés par le droit pénal et placés en détention à l’issue d’une procédure judiciaire. Par ailleurs, les personnes qui refusent de collaborer à leur renvoi peuvent déjà être l’objet d’une détention administrative contrôlée par un juge. L’introduction de ces centres et la notion imprécise de « récalcitrant » qu’ils impliquent risque de générer d’importantes disparités entre cantons et Confédération. Ces centres concernent en effet des requérants qui « menacent la sécurité et l’ordre public ou qui portent sensiblement atteinte au fonctionnement des centres d’enregistrement ». En pratique, il n’est objectivement pas possible de définir la notion de ce qui « porte sensiblement atteinte ». Ces critères flous constituent une menace concrète d’arbitraire. Plus inquiétant, on observe que les seuls centres actuels du genre déjà existants sont situés dans les Grisons. Isolés et livrés à eux-mêmes, les requérants tombent très souvent dans la délinquance. Tels que conçus, ces centres sont de véritables machines à produire de la délinquance et dangereux pour toute la collectivité. Au lieu d’entériner ce véritable régime d’isolement, les autorités auraient dû privilégier un usage musclé des programmes d’occupation, des lieux d’hébergement accessibles et des assouplissements pour les autorisations de travail.

 

4) Mise en place de phases-tests : une anomalie législative

Le Conseil fédéral pourra à l’avenir expérimenter des procédures tests, sans base légale et en dérogation à la Loi sur l’asile elle-même via une ordonnance (« OTest »). La séparation des pouvoirs et le fonctionnement démocratique de nos institutions en prennent pour leur grade. Sur le fond, la première mesure test annoncée porte sur la réduction drastique de 30 à 10 jours des délais de recours. Celle-ci s’appliquera de façon aléatoire pour un nombre indéterminé de demandes d’asile. En pratique et même avec le soutien d’un avocat expérimenté, il sera excessivement difficile pour un demandeur d’asile de recourir sérieusement en 10 jours contre une décision, sans connaître la langue, ni même nos lois. Ce délai de recours exceptionnellement bref risque de porter préjudice au principe d’équité et d’affaiblir la garantie de protection juridique.

 

Pour une nouvelle gouvernance migratoire

C’est à raison que le PS et les autres partis de gauche, les Femmes PDC, les sections genevoise et vaudoise du PDC, les associations de défense des migrants, les œuvres d’entraide et les Eglises, s’opposent à ces mesures de durcissement et soutiennent le référendum. Depuis 30 ans, une majorité politique dirigée par l’UDC s’acharne à concentrer sur l’asile toutes les expérimentations possibles en matière de durcissements et bloque toutes les réformes qui sont aujourd’hui nécessaires. Appliquée aux bouleversements migratoires que nous connaissons aujourd’hui, cette politique de durcissements désuète est devenue profondément inadéquate, dangereuse et génératrice de chaos. Cette politique est devenue une machine à produire de la délinquance, elle tue des gens comme à Landquart, elle maltraite des personnes fragiles et vulnérables, elle ne réduit en rien l’augmentation des demandes d’asile et elle empêche de mettre en place de véritables solutions. Dire non à ces mesures d’urgence, c’est dénoncer des durcissements indignes pour les requérants mais aussi inutiles, inefficaces et dangereux pour notre société.

 

Dire non, c’est aussi exiger que des solutions crédibles et équitables soient rapidement mises en place et, plus largement, c’est demander une nouvelle gouvernance migratoire. Car les principaux problèmes de l’asile sont connus : augmentation du nombre de demandes (45%) et des affaires en suspens, durée de la procédure d’asile trop longue, en particulier celle de Dublin (168 jours), capacité d’hébergement insuffisantes, mauvaise gestion des requérants d’asile délinquants, instruments d’aide au retour peu attractifs, mesures de contraintes non ciblées, augmentation des bénéficiaires de l’aide d’urgence de longue durée (plus de 15%) et manque d’intégration chez les admis provisoires. Prendre en charge ces problèmes, c’est défendre des solutions qui passent par une accélération maîtrisée des procédures et des traitements, un renforcement des structures du domaine de l’asile (nouvelle solidarité entre cantons et Confédération et nouvelles capacités d’accueil) et, plus largement, une simplification des statuts et des droits des requérants d’asile. En matière migratoire, l’impréparation et l'opportunisme d’une majorité de politiques est telle qu’ils ne savent plus que proposer de la poudre aux yeux. C’est déjà le cas en matière de libre circulation avec la clause de sauvegarde. C’est malheureusement aussi le cas en matière d’asile. Un changement profond est nécessaire.

Initiative UDC pour l’élection du CF par le peuple: une revendication pertinente, une réponse qui ne l’est pas

Par Cesla Amarelle et Pierre Dessemontet

 

L’élection du Conseil fédéral par le peuple est une question récurrente de la vie politique suisse depuis l’élaboration de la première Constitution. Ecartée de justesse en 1848, elle a été proposée et rejetée à deux reprises à la suite d’initiatives populaires socialistes, en 1900 et 1942. La question revient aujourd’hui avec une initiative UDC intitulée « Election du Conseil fédéral par le peuple » qui sera soumise au peuple le 9 juin prochain.

Autant le dire tout de suite, nous pensons que l’élection du Conseil fédéral par le peuple est une question légitime et juste. Tous les cantons procèdent de la sorte, y compris les plus grands (Zurich, Berne) et les plus complexes du point de vue linguistique et confessionnel (Berne, Grisons). Et s’il est vrai que l’élection populaire peut mener à des gouvernements dysfonctionnels, on peut opposer tout aussi valablement que le mode actuel d’élection du Conseil fédéral n’a pas évité des erreurs de casting en série par le passé, dont certaines sont encore dans toutes les mémoires.

Face à cet enjeu de taille, l’initiative UDC comporte de nombreuses faiblesses. La question de la campagne électorale en cas d’élection du gouvernement fédéral par le peuple est des plus épineuse. Une élection au Conseil fédéral étant d’ampleur nationale – ce serait la seule élection de ce type –, la campagne serait avant tout menée via les mass-médias. La diversité du paysage médiatique suisse permettrait une couverture équitable de la campagne, même si on n’éviterait pas quelques biais régionaux. Le mode de financement des campagnes pose pour sa part un problème autrement plus grave, car seules les grandes formations politiques, celles qui sont convenablement financées, pourraient mener campagne « à armes égales » – et tout le monde sait que dans ce match, certaines formations sont plus égales que d’autres… Il manque ici clairement une loi de financement des partis et des campagnes politiques à la démocratie suisse, par ailleurs si exemplaire.

Une autre faiblesse réside dans le maintien du système majoritaire pour l’élection à l’exécutif fédéral. Actuellement, les formations politiques de taille moyenne (verts, verts libéraux, PBD selon les cantons) souffrent d’un système majoritaire trop favorable aux grandes formations. Avec la recomposition des forces politiques qui a eu lieu ces quinze dernières années, quatre des six groupes parlementaires actuels se considèrent mal représentés. Ceci dans un environnement où l’échiquier politique tend encore à se diversifier. Dans ce contexte, on aurait pu imaginer que l'élection se fasse au système proportionnel, comme au Tessin, pour garantir une meilleure représentativité des différents courants politiques suisses et offrir ainsi à la population un choix plus diversifié.

Ceci étant, entrons dans le vif du sujet. L’élection populaire du Conseil fédéral tel que proposée par l’UDC est un système mal conçu en lien, notamment, avec la représentation des régions linguistiques que les cantons ne connaissent pas réellement à ce niveau d’intensité.

L’initiative propose d’appliquer pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple le système d’élection au Conseil-exécutif du Canton de Berne en le transposant au niveau fédéral. Or, la transposition de ce système à l’échelon fédéral par la constitution d’une circonscription regroupant les aires linguistiques francophones et italophones de la Suisse pose à notre sens plusieurs problèmes.

En premier lieu, la circonscription latine telle que définie dans l’initiative amalgame la Suisse romande et la Suisse italienne, dont l’électorat est environ quatre fois moindre. Or, comme on vient de le voir en Valais, si la représentation linguistique est menacée, l’électorat fait bloc derrière ses candidats. Nous sommes malheureusement certains qu’en cas de candidatures émanant tant de Suisse romande que du Tessin, c’est ce qui se produirait : dans le cadre de cette initiative, un siège tessinois ne peut se concevoir, pratiquement, qu’au dépens de l’un des deux sièges romands. Or, le rapport de forces entre romands et italophones (4 à 1) est tel qu’au sein de la circonscription latine, les romands sont pratiquement certains d’imposer leurs candidats – le seul moyen, dès lors, pour la Suisse Italienne d’obtenir un siège étant de le faire imposer aux romands par l’élection générale, c’est-à-dire par les alémaniques. Pratiquement – sinon de droit –, le mécanisme exclu la possibilité d’élire un conseiller fédéral provenant de la Suisse italienne, sauf à le faire aux dépends des romands. Cette disposition introduit de la sorte un ferment de dissension entre francophones et italophones.

Ensuite, l’initiative institue une circonscription latine, d’ailleurs taillée au mépris de l’histoire et des cantons, qui se voit garantir deux places dans les sept du Conseil fédéral. En revanche, pas de circonscription alémanique : leur place au Conseil fédéral n’est donc pas garantie. Cela introduit, de manière insidieuse, une inégalité constitutionnelle entre alémaniques ne bénéficiant pas de la garantie constitutionnelle, et latins qu’il faut protéger. Cela va totalement à l’encontre du principe selon lequel la Suisse est un  pays formé de communautés diverses et variées, mais strictement égales entre elles. Cette inégalité introduit en effet deux catégories de citoyens. 

Enfin, la circonscription latine pèserait entre 25% et 30% de l’électorat du pays. Il s’agit là d’une part suffisante pour influer significativement sur le résultat final de l’élection. En revanche, le système électoral proposé a pour résultat que les deux sièges latins seraient essentiellement désignés par le résultat de l’élection dans la circonscription latine. En d’autres termes, l’électorat alémanique ne jouerait pas de rôle significatif dans l’élection des conseillers fédéraux latins, alors que l’électorat latin jouerait un rôle significatif dans l’élection des conseillers fédéraux alémaniques. Cela nous semble introduire une discrimination de fait entre les électeurs des deux régions germanophone et latine.

En conclusion, il importe de rappeler que l’un des problèmes institutionnels les plus délicat que traverse notre pays depuis 1999 concerne la représentation de la Suisse italienne au Conseil fédéral. Le nombre actuel de conseillers fédéraux ne permet pas de régler ce problème tout en respectant la représentation romande et la proportionnalité entre les langues. Parvenus à ce stade, on ne peut s’empêcher de revenir à l’initiative de 1942, laquelle instituait l’élection par le peuple d’un Conseil fédéral à neuf membres dont au moins trois latins et au moins cinq alémaniques – une solution qui, à une modification près, c’est-à-dire le splitting de la garantie des trois sièges latins en deux sièges romands et un italophone, permettrait de régler tous les problèmes que nous venons de mentionner. On se prend donc à rêver que la prochaine fois, le PSS reprenne ce texte à son compte: il trouverait alors beaucoup d’alliés pour la campagne qui suivrait.

Femmes et politique : conjurer le sort à Neuchâtel

 

L’accès des femmes au pouvoir politique a toujours et en tous lieux été difficile. Avec 29% de femmes représentées dans son parlement, la Suisse se classe à la 25ème place du classement mondial, soit en dessous du seuil critique des 30% considéré comme nécessaires pour que les femmes y soient réellement représentées. C’est bien au sein du pouvoir politique lui-même que les inégalités demeurent criantes. Si les femmes poursuivent leur progression dans d’autres domaines comme celui du marché du travail, il y a lieu de s’interroger sur ce décalage. Le retard spécifique au politique laisse songueur. Certes, les causes sont connues : la lenteur des mentalités, l’ancrage des traditions, la résistance du cadre politique formaté par une histoire et une pratique créées uniquement par et pour des hommes (cf. les systèmes électoraux, le cumul des mandats, etc.), une époque marquée par de multiples vapeurs de repli, mais aussi le peu d’élan des femmes elles-mêmes à participer à la vie publique par trop absorbées par des obligations professionnelles, familiales et domestiques qui laissent peu de marge à l’investissement politique.

Depuis les années 1990, la représentation des femmes en politique stagne de sorte à constater qu’il n’y a pas de progression linéaire en matière d'égalité. Aujourd’hui, on observe même que les retours en arrière sont possibles, comme cela a déjà été le cas, par exemple à Genève. En l’espace de deux mois, voici deux élections cantonales dans lesquelles les femmes se mobilisent non pour conquérir des sièges mais pour préserver un siège à l’exécutif cantonal. Rappelons qu’elles ne sont que 22.4% de femmes dans les Conseils d’Etat. L’exercice a été réussi pour le Valais. Reste à espérer que Neuchâtel ne se retrouve pas le 14 avril prochain avec un Conseil d’Etat uniquement masculin. Un possible retour en arrière de 16 ans et une perspective inconcevable pour un canton qui, souvent, a été à l’avant-garde en Suisse. Par ailleurs, on imagine mal comment un canton aujourd’hui en crise et en mal de crédibilité se ressaisirait avec un gouvernement caricatural où la moitié de sa population ne serait plus représentée. L’enjeu dépasse les clivages partisans. Avec une personnalité très engagée pour la création de places de crèches et de structures parascolaires, attentive à ne pas opposer les modes de familles et pionnière pour organiser dans son canton le dépôt des armes à l’arsenal, la candidature solide de Monika Maire-Hefti est là pour conjurer ce sort.

 

 

Loi sur la nationalité : une attaque en règle contre les jeunes

La forte proportion d’étrangers en Suisse (plus de 20%) s’explique non seulement par la forte immigration mais également par les obstacles importants de la procédure de naturalisation. Il y a encore quelques années les conditions nécessaires à la naturalisation étaient en effet plus restrictives qu’aujourd’hui en comparaison internationale. Depuis la révision de 1992, le taux de naturalisations a progressivement augmenté de manière à rejoindre celui observé dans l’Union européenne. Quant au triple refus en 1983, 1994 et 2004 par le peuple d’accorder la naturalisation facilitée pour les jeunes étrangers, il n’a pas contribué à bloquer cette évolution. Par ailleurs, la Suisse souffre d’importantes disparités entre les régions. Les cantons pouvaient attribuer jusqu’en 2003 les naturalisations à des autorités très diverses et même aux électeurs sans avoir à motiver leurs décisions. Le corps électoral pouvait ainsi prendre connaissance des informations privées sur les candidats, traiter de façon différente ceux qui correspondaient pourtant aux mêmes critères et agir de manière discriminatoire envers les personnes de certaines ethnies. Le Tribunal fédéral a mis un terme à la naturalisation par les urnes en garantissant des décisions motivées et le droit de recours.

Le 13 mars prochain, la nouvelle révision de la loi sur la naturalisation qui sera discutée au Conseil national marque clairement un changement d’orientation de sorte à réduire le nombre de naturalisations d’au moins 10% (de 35'000 à moins de 30'000 naturalisations par an). L’objectif affiché du Conseil fédéral a l’air a priori sans réelle conséquence. Il s’agit pour lui d’harmoniser et de simplifier les procédures, d’éviter les doublons administratifs et de garantir que seuls les étrangers qui sont « bien intégrés » obtiennent la nationalité suisse. La nouvelle loi devrait ainsi définir ce qu’on entend par « intégration réussie » et par « connaissance d’une langue nationale » sur le plan national, réduire la durée de résidence afin d’encourager une intégration « rapide », restreindre l’éligibilité aux résidents de longue durée et introduire des délais pour accélérer les procédures.

Dans les faits, le projet limitera de manière drastique l’accès à la procédure de naturalisations aux jeunes étrangers. Dans le viseur, il y a surtout les jeunes détenteurs de permis F, des personnes dites « admises provisoires » dont le renvoi au pays d’origine n’est pas exigible en raison notamment de situations générales de violence (Syriens, Afghans, Somaliens, Erythréens, Irakiens, Sri-Lankais). La première mesure contre ces jeunes prévoit que l’autorisation fédérale de naturalisation ne peut être octroyée qu’à des titulaires d’un permis d’établissement (permis C). La deuxième mesure est d’instaurer une nouvelle règle pour calculer la durée du séjour effectué en Suisse préalablement à la demande de naturalisation qui ne tienne pas compte des années vécues au bénéfice d’une admission provisoire. Ceci entraîne des délais considérables pour certaines catégories d’étrangers, en particulier pour les jeunes détenteurs de permis F.

Aujourd’hui, environ 500 personnes titulaires d’un permis F obtiennent chaque année leur naturalisation. Plus de 80% d’entre elles ont moins de 25 ans. Bien souvent, les jeunes concernés n’ont pas d’accès au permis de séjour (B), puis d’établissement (C). Malgré leur intégration réussie, ils proviennent de familles qui sont dépendantes de l’aide sociale et cette situation ne leur permet pas de se voir attribuer un permis de séjour, et encore moins un permis d’établissement. La précarité sociale des parents bloque la consolidation du statut de séjour de ces jeunes qui en subissent fortement les conséquences au plan professionnel et social. Entreprendre un apprentissage et/ou trouver un emploi avec un permis F constitue un problème presqu’insoluble compte tenu des exigences particulières liées à la prise d’emploi pour cette catégorie de personnes étrangères. Ainsi, le refus de prendre en compte ces années de séjour en Suisse et de leur bloquer l’accès à la procédure est parfaitement cynique et contreproductif : on immobilise de manière durable leur progression. Pourtant – malgré la précarité de leur statut –, ces jeunes font des efforts souvent considérables pour s’en sortir. Les chiffres actuels en matière de naturalisation l’attestent. Limiter l’octroi du passeport suisse aux seuls permis C, c’est d’office mettre la vie de ces jeunes entre parenthèses. Faire tomber dans l’impasse des centaines de jeunes détenteurs de permis F doit être comprise comme une fissure supplémentaire de la cohésion du pays. Priver ce dernier de ses forces vives dont ces jeunes font partie est tout simplement inadmissible.