Demandeurs d’asile: du travail et non des limitations de mouvement

La Suisse n’échappe pas à la tendance croissante qui existe partout en Europe de restreindre la liberté de mouvement des demandeurs d’asile. Les Etats criminalisent toujours plus cette catégorie de migrants en les plaçant en détention (c’est le cas en Pologne et de plus en plus en Autriche et en Belgique notamment) ou en leur imposant des mesures de restrictions à leur liberté de mouvement qui, selon les cas, peuvent être tendanciellement tout aussi incisives. Dans bien des pays, les « cas Dublin » sont désormais systématiquement placés dans des centres de rétention.

L’ère du soupçon généralisé

En Suisse, si en général les demandeurs d’asile sont pour l’heure accueillis dans des centres dits « ouverts » durant la procédure d’asile, les risques de voir des pratiques de limitations de plus en plus incisives se banaliser ne sont pas anodins. Ainsi face à la pénurie de places d’hébergement et la nécessité de créer des nouveaux centres fédéraux, l’ODM expérimente actuellement de nouveaux modes de restrictions qui tendent à limiter de fait les périmètres de sortie des demandeurs d’asile. A Bremgarten où s’organise la mise en place d’un centre fédéral provisoire de 150 places, les résistances de la population et le refus des communes argoviennes à héberger des centres légitiment l’instauration de « zones sensibles » au régime peu transparent pour les demandeurs d’asile. La convention entre cette commune de 6400 habitants et l’ODM demeurant confidentielle, il est difficile à ce stade de se faire une idée exacte du nouveau régime. En l’état actuel des connaissances et bien que les 11 zones concernées touchent uniquement aux écoles et installations sportives dont la piscine, le principe de l’interdiction lui-même laisse songueur. Du moment où le principe est accepté, pourquoi ne pas l’étendre ?

D’abord, il importe de rappeler que la grande majorité des demandeurs d’asile ont besoin d’un encadrement sécurisant pour se reconstruire et doivent être placés dans des centres dotés d’un régime adapté à leur condition. Si la mise en place de règles strictes en lien avec l’organisation de la vie collective dans un centre peut se justifier s’agissant des horaires des repas et des sorties, il n’est pas inutile de rappeler que les restrictions à la liberté de mouvement touchent à une ingérence physique et psychologique dans une liberté fondamentale. Restreindre la capacité de se mouvoir librement d’une personne aussi vulnérable qu’un demandeur d’asile, c’est dominer pleinement son mode de vie. C’est l’empêcher d’interagir avec ses semblables et de nouer des relations en-dehors du périmètre auquel il aura été confiné.

Délire sécuritaire en Argovie

Certes, des limitations peuvent se justifier si elles sont prévues par la loi et pour autant que celles-ci soient efficaces pour atteindre un but légitime et proportionné. Or, en instaurant des « zones sensibles » qui requièrent des démarches administratives rigoureuses (obligation de motivation, explications en tous genres, délais nécessaires) à tous les demandeurs d’asile, l’ODM se rapproche dangereusement des interdictions de périmètre prévus dans la loi sur les étrangers (art. 74) qui restreignent la liberté de mouvement. Par ailleurs, la nouvelle loi sur l’asile (art. 26 al. 1bis) acceptée sous l’urgence en juin dernier prévoit des régimes spécifiques du genre mais uniquement pour les requérants d’asile « récalcitrants ». Le hic, c’est que les limitations légales ne sont prévues que pour ceux qui troublent ou menacent la sécurité et l’ordre publics. Ce sont les consommateurs et trafiquants de drogue ainsi que ceux qui sont soupçonnés d’être impliqués dans ce trafic qui sont essentiellement visés, le but étant de les empêcher d’accéder aux lieux d’écoulement de substances. Appliquée à titre préventif, cette disposition vise à empêcher que les migrants sans séjour fixe ne commettent des infractions pénales mais la loi requiert toutefois des indices concrets. Or dans le cas de Bremgarten, les restrictions s’appliquent pour tous les demandeurs d’asile sans même requérir l’existence d’indices. Autre problème : dans le cas d’une interdiction de périmètre, la personne peut recourir contre une telle décision et exposer ses arguments. A Bremgarten, on ignore totalement la manière dont va être géré l’arbitraire d’une décision de refus par la commune.

Dans ce cas comme pour d’autres, il importe de rappeler que d’autres mesures beaucoup moins incisives ont déjà prouvé leur efficacité et permis de ménager les libertés personnelles des migrants face aux préoccupations sécuritaires des habitants. Il en va ainsi de l’obligation de se présenter à intervalles réguliers pour des contrôles ou du prononcé d’un couvre-feu. Plus largement, la meilleure façon de pallier aux potentiels problèmes serait de leur permettre de travailler ou, à tout le moins, de mettre en place des programmes d’occupation crédibles.

Celsa Amarelle

Professeure de droit à l'Université de Neuchâtel, Cesla Amarelle enseigne actuellement le droit constitutionnel, les droits humains et le droit de la libre circulation des personnes. Elle est également conseillère nationale (PS/VD), membre de la Commission des institutions politiques et de la Commission des finances (présidente de la sous-commission en charge de la santé), et vice-présidente des Femmes socialistes suisses.