Contingents pour la Syrie: réactiver la tradition humanitaire de la Suisse

La crise migratoire massive qui touche le Moyen Orient est imprévisible et inquiétante à plus d’un titre. D’abord, cette crise est d’une ampleur qui s’apparente déjà à celles survenues durant les guerres civiles au Liban, en Algérie, durant les conflits en ex-Yougoslavie et, dans une mesure moindre, en Irak depuis l'invasion de 2003. Aujourd’hui ce ne sont pas moins de 4 millions de personnes qui sont déplacées. Parmi elles, il y en a deux millions qui sont enregistrées comme réfugiées et 1 million d’enfants…  Ensuite, c’est une crise imprévisible car elle évolue avec des pays voisins de la Syrie tels que le Liban, la Jordanie, la Turquie, l’Egypte et I’Irak qui sont instables politiquement. Mais surtout, bon nombre de ces pays (Liban, Jordanie, Irak) ne sont pas signataires de la Convention de Genève sur le statut de réfugié de 1951. Ceci signifie que ces pays n’ont pas prévu de statuts de longue durée à offrir aux réfugiés et qu’ils ne disposent pas d’outils de régulation migratoire pour y remédier. La crise en Syrie donne l’horrible sensation que l’histoire est en train de tourner à l’envers. Tout le monde aujourd’hui doit avoir à l’esprit ce que sont les camps de Palestiniens dans la région du Liban, de Jordanie et de Cisjordanie. Il faut se remémorer la misère, le désespoir et souvent la terreur au quotidien des habitants de Sabra et Chatila. Dans ces camps où s’entassent des millions de personnes, il se dégage le sentiment d'être réfugié à jamais. Une situation où le désespoir, la désolation et l’humiliation peuvent facilement entraîner tout un peuple vers la haine et tous les extrêmes. Y faire grandir des centaines de milliers d’enfants est une aberration humaine.

Dans ce type de crise humanitaire, il y a trois solutions qui peuvent être envisagées : le retour volontaire, l’intégration dans le pays d’accueil ou la réinstallation (resettlement) de réfugiés dans un Etat tiers après avoir séjourné dans des camps. Ici, compte tenu de la situation et face à une guerre civile qui ne peut que durer, il est plus que logique que le HCR demande aux pays occidentaux d’accueillir des contingents de réfugiés syriens. Il faut se souvenir que le HCR, créé en 1951, a eu pour but au départ d’aider un million de personnes encore déracinées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à rentrer chez elles. Par la suite, il a contribué à trouver des solutions durables pour des dizaines de millions de réfugiés. Aujourd’hui, le nombre de réfugiés s'élève à 10,4 millions (et 4,7 millions de réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient – UNRWA).

Les pays de réinstallation traditionnels, appelés «pays à tradition humanitaire», sont principalement les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Suède, la Norvège, le Danemark et les Pays-Bas et sont en augmentation. Quid de la Suisse ? Le Conseil fédéral doit être chargé d’établir, en collaboration avec le HCR, un nouveau programme de réinstallation de réfugiés sur la base des articles 56 et 57 LAsi. La Suisse a participé dès le début aux travaux du HCR. Entre 1950 et 1995, elle a contribué à la réinstallation de groupes de réfugiés provenant du Tibet, de Hongrie, d’Ethiopie, du Soudan, etc. En 1995, cette admission fut provisoirement suspendue en raison des guerres en ex-Yougoslavie, les réfugiés de cette région étant considérés comme une priorité. En 1998, la Suisse suspendit formellement l’admission de contingents de réfugiés et transmit cette décision au HCR. A ce jour, la Loi sur l’asile contient toujours les bases pour « l’octroi de l’asile à des groupes de réfugiés » (articles 56 et 57 LAsi). Aujourd'hui, une nouvelle réactivation de la politique d’admission de groupes de réfugiés (resettlement) se justifie pour des motifs humanitaires et de solidarité évidents.

Celsa Amarelle

Professeure de droit à l'Université de Neuchâtel, Cesla Amarelle enseigne actuellement le droit constitutionnel, les droits humains et le droit de la libre circulation des personnes. Elle est également conseillère nationale (PS/VD), membre de la Commission des institutions politiques et de la Commission des finances (présidente de la sous-commission en charge de la santé), et vice-présidente des Femmes socialistes suisses.