« Je n’arrive pas y croire ?!? » Comment vivre le sentiment de stupeur ?

« Il fait beau, j’ai du temps et pourtant je sens un danger ?!? ». Depuis quelques semaines, nous vivons une sorte de « tsunami émotionnel ». Nous nous sommes sentis effarés, abasourdis, abattus, consternés, agités… avec une sensation d’irréalité, de choc ou de confusion intérieure… Le virus est invisible, le danger peut être partout et tout devient alors inquiétant. Notre cerveau est à l’affut de la moindre nouvelle, notre attention se focalise sur les sources potentielles de danger. Cette réaction de peur est rationnelle dans le contexte actuel, elle nous permet de nous protéger ou de combattre ce qui menace notre intégrité.

“Nous ne sommes pas du tout habitués à réfléchir en termes de ressources limitées en Suisse, c’est un concept qu’on découvre avec cette épidémie. Par contre, c’est un concept très familier en Afrique. L’épidémie de coronavirus est déstabilisante. Elle a mis à terre une partie de notre système, on ne s’y attendait pas. Nous devons être très humbles pour essayer de comprendre ce qui se passe.” (Dresse Valérie D’Acremont, spécialiste en médecine tropicale au CHUV, interviewée par la RTS).

La crise du Covid19 bouleverse trois valeurs essentielles de notre équilibre intérieur : notre sécurité, notre santé et nos liens avec les autres. Nos émotions, à plein régime actuellement, influencent nos comportements et nos choix. Nos réactions et celles des autres peuvent être très variées, contrastées, irrationnelles ou archaïques :

  • La stupeur, être tétanisés par les informations qui tombent.
  • Rester focalisés sur les sources de danger potentiel et être à l’affut de la moindre nouvelle.
  • Un climat intérieur de suspicion et de méfiance (la théorie du complot !).
  • Le déni, la minimisation ou la bravade « même pas peur !».
  • La colère, l’hostilité ou le règlement de compte des « responsables » de ce chaos.
  • La panique, le niveau réel de menace n’est pas pris en compte, la réaction est alors compulsive et excessive, le stockage est irrationnel.
  • L’impossibilité de nous amuser ou de relativiser, le mental est suragité par les nouvelles et les préoccupations constantes.
  • Etre dans l’hyperactivité ou la distraction pour ne pas sentir l’angoisse.

Nous nous sentons vulnérables, notre monde s’écroule, nos repères de sécurité disparaissent et le sentiment d’impuissance se développe… attendre chez soi devient difficile. « Qu’est-ce que je dois faire ? » est une réaction mentale normale pour nous protéger de l’angoisse.

Afin d’intégrer cette crise intérieure, nous pourrions nous demander : « Comment être avec moi-même ? ». Quelle attitude intérieure pourrions-nous développer afin de nous accompagner au mieux ? Nos 3 besoins essentiels actuellement :

 Dans la stupeur, nous avons besoin d’intégrer la surprise, la perte de repères, la disparition de notre routine. Nos automatismes ne fonctionnent plus, nous avons besoin de :

  • nous mettre à l’abri ainsi que nos proches.
  • être rassurés et de prendre soin de nous et de notre santé (d’autant plus que la peur et le stress diminuent notre système immunitaire !).
  • reconstruire une routine, un rythme, un cadre conscient dans ce quotidien hors norme.
  • ramener le mental à l’ici et maintenant, ne pas le laisser se perdre dans les scénarios potentiels construits ou reçus des autres, réaliser le monde tel qu’il est et pas tels que nos écrans nous le montrent.
  • Accepter notre irrationalité temporaire et celles des autres.

Nous avons besoin d’accepter de sentir l’impuissance et notre vulnérabilité.

  • accepter ce qui est là, dans une attitude de non-combat…. Même si cela ne nous convient pas ou que nous ne sommes pas d’accord !
  • être présents à nous-mêmes, nous donner l’espace intérieur et le temps nécessaire pour intégrer les changements profonds ultra rapides ; revenir à nous humblement, nous poser dans le calme pour sentir l’impact intérieur.
  • Petit à petit nous pouvons intégrer ce que nous perdons, en nous déliant de nos projets avortés, de nos espoirs mis entre parenthèse, nos constructions, nos efforts inaboutis.

 Nous avons besoin de donner un sens intérieur à cette crise.

La réalité est telle qu’elle est, nous ne pouvons pas la changer, par contre, nous pouvons choisir avec quelle attitude nous vivons ces évènements.

  • absorber cette situation difficile et en faire une expérience constructive, réinventer notre attitude, notre regard sur ces bouleversements.
  • l’apaisement nous permet de retrouver une forme de liberté intérieure et de créativité. L’absence de routine nous donne l’occasion de vitaliser, de révéler notre curiosité naturelle.
  • nous relier aux autres, cultiver notre sentiment d’appartenance en étant solidaires et au service des autres ou de notre clan, notre société, notre pays…

 

Prenez soin de vous et de vos proches avec bienveillance…

Catherine Vasey

Catherine Vasey

Catherine Vasey, psychologue et gestalt-thérapeute, auteur, spécialiste du burn-out depuis 2000. Elle anime des séminaires de prévention du burn-out en entreprise, donne des conférences, traite les patients en burn-out et accompagne aussi les professionnels de la santé en supervision dans son cabinet à Lausanne, en Suisse. Références : Le site de Catherine Vasey : www.noburnout.ch Publications : « Comment rester vivant au travail ? Guide pour sortir du burn-out », C.Vasey, éd. Dunod 2017 « Burn-out le détecter et le prévenir », C. Vasey, éd. Jouvence 2015 « Vivant au travail », jeu de cartes, C. Vasey, éd. Noburnout 2012

3 réponses à “« Je n’arrive pas y croire ?!? » Comment vivre le sentiment de stupeur ?

  1. Merci Catherine pour ce message empreint de sagesse. Sois bénie dans tout ce que nous apportes et merci pour la belle personne que tu es. Bérénice Castella

  2. Merci Catherine, il est bon d’avoir ces clés de lecture dans le foisonnement d’émotions, de sentiments confus qui nous habitent dans cette situation si incroyable ! Inspirant, bienveillant (comme toujours) et si utile pour accompagner nos parents ou nos proches dans leur vécu de ce sentiment de stupeur.

  3. « Se sentir très bien assez souvent, dans une situation qui n’a rien de drôle, est-ce que c’est permis ? ». Je me suis posé la question pendant que je roulais sur une route vide, traversais la ville, regardais le soir les fenêtres des immeubles toutes allumées, les files de magasins aux stores baissés… Je me suis senti si bien, et je me réjouis chaque fois de partir au volant pour parcourir de nouvelles routes, places, rues vides… comme si c’était un immense jardin que je possède rien que pour moi, une paix encore jamais vécue en tous ces endroits. Je m’en veux un peu de me sentir si bien, et fais alors mon propre avocat : « Tu n’as tué personne, mais ne dis rien sur ce que tu vis maintenant, sinon on te regardera d’un très mauvais œil, les gens diront que tu es porteur d’un autre virus et que ce serait mieux que tu en meures… »

    Ce soir je vais repartir, après avoir sprayé avec ma lance à Lysoform le corridor d’accès à mon appartement et celui du voisin, puis quand j’aurai refermé la porte derrière moi je pourrai ôter mes gants de Vinyl et m’engouffrer dans ma voiture toute propre, pour un voyage de liberté ! Mon équipement ne date pas de cette année, je m’en sers depuis cinq ans à cause de la poignée d’entrée qui colle, des cacas de chien qui restent trois semaines dans le corridor, du rat mort dans l’escalier qui s’est transformé en galette noire toute plate, et aussi à cause de ce qui ne se voit pas mais s’entend et se sent : les gueulées au premier étage, les portes claquées, les injures, les rires. L’odeur de pourri des sacs blancs pas encore pleins qui se mêle au bon parfum de la lessive qui goutte au-dessus de ma tête… Je ne pense pas particulièrement à Covid-19, parce que Hépatite-C ou d’autres me tiennent compagnie déjà sans lui ! Je pense plutôt à mon voisin que j’entends tousser, ou vomir au milieu de la nuit avec ses potes éméchés. Personnes à risque ? Rationnellement oui, mais si je me trompe cela ne change rien, heureusement que je ne vis pas au Tessin où à 67 ans je serais la personne reconnue à risque interdite de sortie.

    Le dernier jour avant la fermeture des bistrots, je voulais saluer un gars à qui je serrais la main encore la veille, mais lui : « Ah non, je ne serre plus les mains ». Et aussitôt la jeune femme à côté, que je n’avais jamais saluée jusque-là, m’a tendu la main… Un beau geste. Mais et la rationalité ? J’ai sorti de ma poche mon flacon d’alcool-glycérine, en lui disant : « Si vous voulez, pour être plus sûre… » Elle : « Non ». Et ma réponse : « Moi non plus ». Une irrationalité peut-être, mais volontaire comme la sienne. C’est une personne que je me réjouis de saluer quand le bistrot rouvrira, je lui proposerai de boire au bar avec moi un verre de bon vin à 12 %, au lieu d’un gel à 80 % sur les mains.

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