Le manque de main d’oeuvre se fait ressentir au Japon

On ne peut pas les manquer. Partout dans les magasins et restaurants, des posters offrant des emplois. Cela n’a rien d’étonnant : la population japonaise est en train de diminuer, et les jeunes gens qui auparavant faisaient des petits boulots pour financer en partie leurs études se font plus rares et ont l’embarras du choix. Pourquoi servir dans un restaurant ou être caissier dans une supérette quand d’autres opportunités, offrant meilleures conditions et meilleur salaire, se multiplient ?

Le taux de chômage au Japon, qui a toujours été très bas, l’est encore davantage (3,2%). Le salaire horaire pour un petit boulot typique a augmenté, de ce que j’ai pu observer, de 30% ou plus. Certains commerces qui opéraient jusque tard le soir ou toute la nuit doivent réduire leurs heures d’ouverture. Et en tout cas dans le quartier central de Shinjuku, où je réside, la proportion d’employés chinois dans les commerces est impressionnante.

 

Les femmes à la rescousse?

Ce phénomène de baisse de la main d’œuvre active peut que s’aggraver, et pose au gouvernement japonais un dilemme difficile à résoudre. Le Premier Ministre, Shinzo Abe, veut promouvoir la présence des femmes dans le monde du travail, mais en réalité la plupart d’entre elles sont déjà professionnellement actives. Leur potentiel est certes fortement sous-exploité – elles font face à de grosses disparités de salaire, à une réticence certaine à leur donner des postes à responsabilité due aux probables interruptions de carrière liées à la maternité, et à une culture des affaires machiste. Remédier à ces problèmes serait indubitablement bénéfique pour la société japonaise dans son ensemble, mais même si cela pouvait se faire rapidement – ce dont l’on peut fortement douter –  le problème général du manque de main d’œuvre n’en serait pas résolu pour autant.

 

Ou les robots ?

Beaucoup de têtes pensantes japonaises placent leurs espoirs dans l’avancée de la robotique pour remplacer les humains dans toujours plus de domaines. Cela vaut bien entendu pour le secteur industriel, qui représente au Japon une bien plus grande partie de l’économie que dans la plupart des pays développés, mais également pour celui des services.

Les Japonais ont toujours eu une vision très positive des robots comme compagnons et protecteurs des humains – très loin, donc, de la menace qu’ils représentent souvent dans la culture populaire occidentale, comme on peut le voir dans des films tels que Terminator ou The Matrix. Beaucoup d’habitants de l’archipel espèrent donc que dans un avenir proche des robots pourront apporter réconfort et soins à une population vieillissante, accueillir les clients dans les commerces (un hôtel dont le personnel est presque entièrement robotique a déjà ouvert sur l’île de Kyushu dans le sud du pays), ou répondre aux demandes administratives des citoyens.

 

L’éternel problème de l’immigration

Là encore, cependant, il est difficile d’imaginer que les développements de la robotique pourront totalement répondre aux demandes de l’économie et de la société japonaise, ou résoudre le problème du manque de main d’œuvre. Reste donc la solution la plus évidente, accroître l’immigration.

Le gouvernement japonais est cependant réticent à faire le pas. J’ai parlé ailleurs de l’attitude ambiguë des habitants de l’archipel envers l’immigration et de la crainte que certains éprouvent quant à l’impact que l’internationalisation du Japon pourrait avoir sur la cohésion et l’ordre social du pays. En termes purement économiques, cependant, les avantages d’accueillir plus de travailleurs étrangers sont indubitables. Le gouvernement en est conscient, et a par exemple lancé un programme d’accueil d’infirmières venant d’Asie du Sud-Est pour travailler dans les maisons de retraite du pays. Cependant, les conditions d’entrée dans ce programme restent très contraignantes et cet exemple isolé.

M. Abe et son parti donnent donc encore la priorité à leur désir de préserver la société japonaise traditionnelle, et craignent l’impact potentiel de plus de multiculturalisme. Le problème du manque de main d’œuvre pour la bonne marche de l’économie reste pourtant pressant.

 

La solution chinoise

Un début de solution est cependant à mon sens à portée de main. J’ai dit plus haut avoir été impressionné par le nombre d’employés chinois dans les commerces autour de chez moi. Leur immense pays d’origine regorge encore d’hommes et femmes qui seraient ravis de pouvoir fuir la pollution des villes chinoises et de venir étudier et travailler au Japon. Leur intégration pourrait se faire sans grand heurt. Ils ont en effet selon mon expérience de la facilité à apprendre la langue et, même si la culture des affaires chinoise et japonaise diffère, beaucoup ont déjà relativement aisément intégré le monde du travail, surtout s’ils ont auparavant obtenu un diplôme ici.

Il est fort regrettable que le gouvernement japonais soit aussi méfiant face à l’immigration en général, mais cette politique ne semble pas prête de changer. Ouvrir les portes à l’immigration chinoise pourrait être un premier compromis, qui aurait peu d’effets perturbateurs sur la cohésion sociale japonaise et servirait de surcroît à renforcer les liens entre les deux pays, qui ont bien besoin de ce socle de stabilité dans leurs relations. Le gouvernement japonais aurait donc tout intérêt à simplifier les règles d’obtention de visas pour les Chinois et à tenter d’attirer encore plus d’étudiants (déjà omniprésents). Faute d’adopter une attitude plus ouverte envers le reste du monde, on peut au moins espérer qu’il saura saisir cette première opportunité.

 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.