L’amour des Chinois pour les slogans

Les « quatre compréhensifs ». Les « trois strictes, trois honnêtes ». Les « huit devoirs ». Et dernièrement les « deux études, une action ». Depuis son accession à la tête du pouvoir, le Président de la République Populaire de Chine, Xi Jinping, a multiplié les campagnes idéologiques visant à guider le Parti Communiste (PCC) et le pays sur la « correcte » voie politique et économique.

Il s’inscrit dans une longue tradition d’amour des dirigeants chinois pour ce genre de slogans. Son prédécesseur, Hu Jintao, avait adopté l’idée d’une « société harmonieuse » balançant croissance économique et égalité sociale, et dans les années 90 le Président Jiang Zemin, avait promu les « trois représentants », faisant référence à l’importance pour le Parti de représenter non seulement la classe ouvrière, mais également les forces de production de l’économie capitaliste et la société chinoise dans son ensemble.

 

La tradition marxiste-léniniste

Pourquoi donc les dirigeants chinois sont-ils si friands de ces slogans qui paraissent si lourds quand ils sont traduits en anglais ou en français ? Ce type de vocabulaire est d’abord typique de la tradition marxiste-léniniste du PCC, notamment dans son insistance à lister un petit nombre d’actions à entreprendre, où de principes à respecter. Si le Parti n’a plus de communiste que le nom, il n’en reste en effet pas moins très fidèle à ses racines. Cela signifie entre autre qu’il garde une obsession pour le contrôle, le développement et la promotion de l’idéologie étatique.

L’élaboration de slogans est donc impérative pour les têtes pensantes du régime, comme moyen de contrôler le discours public, d'alimenter l'appareil de propagande étatique, et d'apporter leur pierre à l’édifice idéologique du Parti. Ces slogans sont destinés parfois à la population chinoise dans son ensemble mais plus important encore à l’immense appareil bureaucratique du pays. Ils servent à mobiliser celle-ci, apposant un entête facile à retenir aux vastes programmes de réforme que le régime doit constamment mettre en place pour soutenir la croissance économique et tenter de contrôler une société en permanente évolution.

Ces programmes peuvent ensuite être promus dans des campagnes médiatiques auxquelles tous les journaux participent en soulignant l’importance de suivre la dernière campagne en cours, et dans une série de séances d’étude auxquelles tous les membres du PCC doivent participer (mes amis qui en font partie n’hésitent d’ailleurs pas à se plaindre de la lourdeur et de l’ennui de ces campagnes d’éducation).

 

Une tradition millénaire

Les campagnes idéologiques accompagnées de slogans sont donc un important outil de la gouvernance chinoise. Ces slogans ont cependant une résonnance culturelle bien plus profonde, liée à la nature du langage chinois lui-même. En effet, grâce à la richesse symbolique et à la flexibilité des idéogrammes, celui-ci se prête particulièrement aux idiomes (chengyu) concis et évocateurs.

Un exemple célèbre en est « le ciel est haut et l’empereur et loin », qui en chinois s’écrit shan gao huangdi yuan (山高皇帝远, littéralement « montagnes hautes, empereur loin »), et fait référence au fait que le pouvoir de l’empereur chinois a toujours été difficile à imposer sur les autorités des provinces éloignées. Encore aujourd’hui, l’idiome est fréquemment utilisé en allusion à la difficulté pour le pouvoir central de Pékin de faire appliquer ses politiques par la bureaucratie aux quatre coins du vaste pays. La langue chinoise contient une quantité étourdissante d’expressions de la sorte, qui font partie de l’imaginaire collectif de la population.

 

La politique par slogans

Il est donc naturel pour les dirigeants d’aujourd’hui de faire appel à cette tradition et d’élaborer leurs propres idiomes, faciles à retenir et à communiquer, et – espèrent-ils – à faire entrer dans le langage commun.

Il ne faut donc pas s’étonner de voir les responsables chinois faire appel de façon répétée à des expressions telles que « un nouveau type de relations entre grandes puissances » en matière de diplomatie (xinxing daguo guanxi, l’idée que la Chine et les Etats-Unis surtout doivent éviter les antagonismes des grandes puissances du passé et respecter leurs intérêts respectifs) ou « sévir contre les tigres comme les mouches » en politique intérieure (laohu cangyin yiqi da, l’idée que la campagne anti-corruption en cours doit toucher les petits fonctionnaires comme les hauts dirigeants). Ce genre de slogans viennent naturellement aux Chinois, et s’introduisent facilement dans l’imaginaire collectif promu par le régime. Le PCC ne fait en somme que récupérer et amplifier une tradition millénaire.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.